Ahmed Ben Hamouda - Tunisie: gare aux dérives populistes !
L’époque n’est plus aux lumières.
Les élections, même celles parées du sceau de la vraie démocratie, attirent les suffrages vers les démagogues et les populistes… Il en est ainsi partout et il en sera ainsi, aussi chez nous, lors du vote référendaire du 25 Juillet 2022!!! …Voilà ce qui se dit et se discute dans les cabinets conseils et entre les coachs des politiques et les analystes avertis des opinions publiques.
Décryptées par les œillères patriotes et ayant le souci du pays, ces remarques et recommandations ne sont pas recevables. La fibre patriotique n’autorise pas qu’on suive en tout les démocraties les plus traditionnelles et les plus attrayantes; même si la dynamique des victoires politiques y est souvent de ce côté là…Partout, en effet, les prétendants au suffrage du peuple mettent de l’eau dans leur vin et cherchent la proximité avec le penser commun et l’émotionnel ambiant…
Au grand dam de ceux qui sont à de plus belles ambitions, ce choix a souvent généré la victoire!
La découverte que le peuple n’aime pas les profils pondérés et justes ne date pas d’aujourd’hui. En France, Lamartine qui disait des choses très raisonnables et qui était un orateur écouté lors du déclenchement de la révolution de 1848, a eu à peine 0,29% aux élections législatives… (Sfir fassel diraient certains).
Les écrits de Reich qui présageaient du fascisme naissant en Europe entre les années vingt et trente et qui dépeignaient la psychologie des masses et les ressorts cachés des personnalités anti-démocratiques, offrent sur un plateau le succès à quiconque sait surfer sur l’émotionnel et les humeurs…
Pourquoi s’en offusquer chez nous alors qu’il est évident que l’intellectualisme de certains bien-pensants et leur propension à expliquer rationnellement et à convaincre par la force des arguments et parfois des chiffres et des comparaisons auront très peu d’impact sur le vote pour le référendum de 25 Juillet? …N’est-ce pas souvent, des éléments affectifs, émotionnels et irrationnels qui prennent le dessus sur la retenue, la discrétion et la lucidité des prétendants politiques?…
Il n’est pas bon pour un politique de se laisser aller à des dérives populistes. Je n’irais pas jusqu’à dire que de telles dérives sonnent le glas pour la démocratie! Un scénario d’arrêt du processus démocratique, pourtant réalité historique qui pourrait survenir rapidement s’il s’enlisait dans les méandres du populisme n’est pas non plus une réalité partout observée et vérifiée. L’évoquer pour le cas de notre pays décevrait beaucoup d’entre –nous, longtemps frustrés de liberté et serait quasiment une souffrance que je n’ose pas «nous» infliger.
Tenons-nous alors avec Aristote à cette vérité que «tout comme l’anarchie, la démagogie est une maladie de la démocratie» qu’il faut dans la mesure du possible en prémunir le pays!
C’est que partout où l’inculture politique domine, le peuple aime donner les clés de la maison à ceux qui ont des «réponses simples et fausses à des problèmes complexes» et à ceux qui savent le bercer et le berner.
Or, face au populisme, la raison commande d’alerter et de prévenir!
Notre tolérance naïve nous a déjà conduits là où nous sommes. A chaque élection de l’ère transitionnelle démocratique, nous sommes tombés dans le piège de la crédulité …Notre tolérance de 2019 est d’autant plus impardonnable qu’elle est venue juste après d’autres qui l’ont devancée. En effet, à l’élection présidentielle de cette année là, l’opinion publique voulait elle-même d’un scenario de clivage.
C’était à ses yeux, le seul audible, le seul qui réponde au pays d’en bas; celui qui gémissait parce que, spolié, désabusé, trompé et en souffrance….Evidemment, ce n’était pas au goût de beaucoup d’entre nous de céder aux élans populistes, mais ce choix s’était fait et s’était porté sur le candidat qu’on dépeignait, propre, sincère, non politique et loin de l’establishment. Il s’était alors imposé à nous qui espérions en d’autres visions…
Ceux d’entre nous qui se fantasmaient une démocratie moins populiste se sont résignés au temps, disaient «wait and see» et cela, malgré l’évidence d’un oiseau déniché par Ennahdha et d’un soupçon de son alignement sur une idéologie sectaire…
Ceux de ma communauté enseignante, se réjouissaient même qu’un propret, représentant d’une corporation normalement acquise aux valeurs de lumière et d’ouverture, arrive par la voie de la démocratie et loin des appareils; à la magistrature suprême du pays!
A l’usage et, après des années de mauvais choix, de tergiversations, de confiance désabusée et d’indélicatesse à l’égard de collègues appelés à la rescousse et au vu du glissement d’un article 5 polémique, enrobé de démocratie, voilà notre destinée de pays prise au piège des mêmes manœuvres dolosives qu’avant! Plus grave encore, ces manœuvres sont celles d’un président de tous les Tunisiens, qu’on découvre également, tout aussi nourri aux chimères, avec un esprit de vendetta et de haine, le même que celui de ses prédécesseurs de la troîka; mis à l’épreuve et rejetés…
Un président censé rassembler un pays, qui vient ajouter à l’inculture populaire ambiante , cautionner les plus inavouables élans des excités, biberonner le peuple d’illusions, le pousser à la vindicte et à la balkanisation et tout essayer pour le détourner de la possible et nécessaire concorde d’un rêve éveillé d’inclusion et de socialité apaisée! Quel gâchis!
A cette échéance de référendum et pour la postérité, il y a alors nécessité de certains rappels pour que nous ne retombions pas dans les marécages des divisions, que nous sortions de notre malheureux enlisement et que nous nous détournions du populisme:
1er rappel: un référendum sur une constitution, est un vote qui institutionnalise. Désormais, en plus des douteux articles insérés dans la constitution, «le peuple veut» ne sera plus un slogan perdu dans la cacophonie de la société mais un programme à assise constitutionnelle!!.
Je ne sais pas si mes concitoyens mesurent aujourd’hui la portée de la situation que créera le vote par oui au référendum?
A l’issue de ce vote par un oui, notre récit national n’aura plus le même contenu. Ce récit qui était fédérateur à l’Indépendance et qui a duré un bon moment, a été porté par la bannière de la République et par quelques ordres, gardiens du temple (une administration, une justice, une école, un Etat, des profils de gouvernants et un peuple qui acquiesçait…). Qu’en sera-t-il du «peuple veut»?
2ème rappel: après le 25 juillet, nous ne serions plus institutionnellement une communauté culturelle diverse et soudée par les mêmes référents sociétaux propres et reconnaissables, ceux qu’on pensait dignes de notre identitaire, de qui nous sommes, du minimum de communion qui a été bâti et de ce que nous ambitionnions paisiblement être et devenir…
Le populisme que sous-tend «le peuple veut», signifie que nous Tunisiens qui pourrions y adhérer en «toute démocratie» par un oui , sommes et serons dans le clan des bons, contre ceux qui voteront non et qui sciemment se rangeront du côté des «moins bons» …Dés lors, tous ceux qui sont contre le oui sont à combattre puisqu’ils ne sont pas dans le camp qui ne croit pas au «peuple qui veut», donc fatalement, dans celui des méchants à marginaliser et à réduire au silence et à la soumission.
J’exagère sûrement, mais tout populisme joue sur l’exclusion, la peur, la haine et la préférence exclusive, pourquoi pas celui du peuple veut?
3ème rappel: au lieu d’apaiser, le populisme attise la haine et alourdit le climat. En cela, il occasionne le naufrage du politique et finit par faire croire à un possible surréel. Tout deviendra permis : la pureté des traits du peuple, les valeurs perçues de sa vertu et de sa rectitude, la haine de l’élite et l’obsession de l’ennemi et du complot.
Un populisme bien «démocratique» et constitutionnel fera que les idées fixes les plus folles deviendront bienvenues, désirées, applaudies et plébiscitées. L’article 5 autorisera les injonctions quotidiennes de faux moralisateurs, les rappels à l’ordre vestimentaire dans nos mairies et nos administrations, les remarques désobligeantes relatives aux comportements à observer dans les lieux publics, le harcèlement signifié à ceux qui osent afficher une différence, l’imposition des restrictions aux droits des femmes, à ceux des minorités et la tolérance de toutes les formes possibles d’incivilité qu’autorisent la morale publique et les bonnes mœurs!…
4ème rappel: lorsqu’en plus, ce populisme se nourrit d’un schisme qui va au-delà des sphères du tolérable et installe dans une idéologie à relent passéiste pan islamique, il devient une menace grave pour la concorde et l’union de l’humain intra pays et au-delà, de la sphère nationale.
Comment cautionner une telle posture de conspiration? Comment s’installer dans les incriminations et comment accepter d’être porte parole des idéologies de clash de civilisations?
Il est vrai que nous vivons en Tunisie des temps difficiles, que notre pays n’est pas à ses ondes positives et qu’il a tendance à épouser tous les excès et les dérives… Mais l’acception de ce que devrait être le monde et de la place que nous devrions y occuper incite à repousser toutes les indignes manœuvres d’embrigadement et de rabaissement... N’est-ce pas là une raison pour neutraliser cette ambiance à contre courant de notre histoire de pays et de notre ADN de peuple; héritier de Carthage et d’un Islam apaisé et de lumière?
5ème rappel: Nous ne devons pas incriminer le peuple, mais toujours compter sur son possible apaisement et son ralliement. Nous ne connaissons pas de posture plus ajustée et plus digne! Nous devons alors nous en tenir à une pédagogie intelligente et à un argumentaire fort qui viennent à l’encontre des chimères et des illusions populistes.
Ne laissons pas ceux qui ont perdu toute légitimité parler à notre place! Rassemblons nous pour nous faire entendre et partageons par tous les moyens que permet la civilité notre soif de voyage et d’aura, ce quelque chose qui nous grandirait et qui nous inscrirait dans le vrai humanisme.
Non, notre pays n’est pas condamné à vivre les marécages des divisions et des postures démagogiques. Se détourner de ce qui s’y passe, démissionner, laisser tourner les voleurs et les cyniques dans cette maison de Tunisie étrangement vidée de ses ressources est une insulte à notre histoire et à nos lumières… Une telle forme de résignation est une trahison à nous-mêmes, à l’espérance de nos prédécesseurs, au rêve de nos bâtisseurs et au souvenir de nos martyrs…
Ne nous laissons pas désabuser…
Ahmed Ben Hamouda