Tunisie: Transport public, des orientations stratégiques à revoir
Par Ridha Bergaoui - La circulation routière à Tunis et dans les grandes villes ne cesse de se compliquer. Le nombre des voitures immatriculées annuellement augmente à vue d’œil. Avec les vacances, la séance unique, le retour des tunisiens à l’étranger et l’arrivée des touristes des pays voisins, les routes débordent et la circulation devient très difficile. Les jours de pluie, les routes sont inondées, les voitures bloquées et la circulation impossible.
Un secteur en très grandes difficultés
Les moyens de transport publics réguliers sont dans un piteux état : des sociétés de transport en faillite, des infrastructures délabrées et un service lamentable (retards, pannes, surcharges…). Le citoyen trouve, surtout aux heures de pointe et les journées de mauvais temps, de plus en plus de difficultés pour se déplacer et se rendre à son travail dans des conditions de dignité, de sécurité et de confort les plus rudimentaires. Harcèlement sexuel, braquage, pannes et accidents sont le lot quotidien des utilisateurs des transports collectifs réguliers.
Durant les journées de grande affluence, comme lors des fêtes, les congés scolaires et universitaires, la rentrée… les gares et stations routières sont assaillies par les citoyens qui trouvent, avec beaucoup de peine et de sacrifice, une place dans un quelconque moyen de transport. Spéculation, arnaque et transport illicite deviennent la règle.
L’indiscipline, le relâchement total de nos concitoyens et l’absence de contrôles, de sanctions et condamnations sérieuses de la mauvaise conduite sur nos routes, viennent aggraver une situation déjà très délicate. Presque partout le code de la route est malmené, les feux ignorés, le stop et la signalisation complètement occultés. Il faut le reconnaitre, c’est l’anarchie la plus complète qui règne sur nos routes et presque seuls les apprenants des écoles de conduite respectent encore le code de la route.
Parmi les problèmes auxquels sont confrontés les touristes, dès leur arrivée à l’aéroport, le transport est une véritable source de stress et de phobie. Ils sont exposés à l’arnaque, des moyens de transport sales et vétustes, un service lamentable…). L’état du transport en Tunisie ne fait nullement honneur à un pays qui compte sur l’activité touristique comme l’un des principaux piliers de son développement.
Plusieurs facteurs sont responsables de cette situation problématique. Le choix stratégique de développer le transport individuel aux dépens de transport collectif et public, l’état déplorable de nos infrastructures routières, la mentalité du Tunisien et son manque de civisme sont autant de facteurs qui peuvent être incriminés dans cette situation devenue critique.
Des routes parmi les plus meurtrières
Nos routes sont parmi les plus meurtrières dans le monde. Quoiqu’en légère baisse, la mortalité par accident de la route se situerait, selon l’Organisation mondiale de la santé (Rapport sur la situation mondiale de la sécurité routière), pour 2016, à 23 décès pour 100 000 habitants. Ce taux serait de 17 pour l’année 2019.
Pour 2021, l’observatoire national de la sécurité routière avance le chiffre de 6559 accidents de la circulation faisant 1109 morts et 8091 blessés. Le ministre de la santé avait indiqué en mai dernier que les accidents de la circulation font en moyenne quatre morts par jour.
Ces accidents sont dû essentiellement au manque d’attention de la part du conducteur ou du piéton et du non-respect du code de la route. Ils ont lieu soit entre voitures (44%), voiture et moto (31%) et voiture et piéton (25%).
Le comportement de certains professionnels de la route est particulièrement mis en cause. Il s’agit essentiellement de certains chauffeurs des taxis collectifs qui sont pointés du doigt par nos concitoyens et sont responsables de multiples accidents de la circulation parfois très graves. De nombreux conducteurs de motos sont également à l’origine d’accidents des fois mortels.
Des chauffeurs de Taxis collectifs et des conducteurs de moto hors la loi
Les taxis collectifs sont sensés rendre de précieux services aux citoyens surtout ceux des classes pauvres et déshéritées, qui ne disposent pas de moyens de transport personnel. Femmes de ménage, ouvrières, étudiantes, employés, artisans et journaliers … trouvent, dès les premières heures de la matinée ainsi que tard le soir, près de chez eux un moyen de transport rapide, bon marché et place assise garantie. Les utilisatrices de ce moyen de transport ne risquent généralement ni vol, ni harcèlement sexuel ou braquage auxquels elles sont exposées dans le métro ou les bus surchargés surtout aux heures de pointe.
Malheureusement le secteur des taxis collectifs semble mal organisé et certains conducteurs font fi du code de la route et des règles les plus élémentaires de sécurité. Ces chauffeurs un peu trop pressés veulent faire le maximum de voyages et récupérer le maximum de clients même en sacrifiant la sécurité des voyageurs et des autres usagers de la route. A côté d’une conduite fantaisiste et à gros risque, le véhicule lui-même peut être dans un piteux état, délabré, mal entretenu, sale avec parfois le pot d’échappement qui fume comme une cheminée et un conducteur mal habillé et mal rasé.
Suite à certaines plaintes de citoyens, des conseils de discipline se réunissent au niveau régional pour statuer sur les sanctions à prendre envers les chauffeurs contrevenants. Ces sanctions, si elles sont prises, dépassent rarement la suspension de l’autorisation de conduire de quelques jours à peine. On dirait que ces chauffards ont la main haute ou sont sérieusement protégés.
Certains conducteurs des deux roues (vélo, cyclomoteurs et motocyclettes) représentent un réel danger pour la circulation, de nombreux décès enregistrés sont dus à ce genre de véhicules. Plus de 30% des accidents de la route sont provoqués par les deux roues.
Les conducteurs de ces engins ignorent complètement le code de la route et les consignes de sécurité se faufilent dans la circulation pour avancer le plus rapidement possible sans se gêner des autres usagers.
Le plus grave c’est de voir parfois des cyclomoteurs avec toute une 3 ou 4 personnes à bord et ce n’est nullement rare sur certaines de nos routes nationales ou secondaires. Le comble c’est que ces engins de la mort roulent parfois le soir sans feux. Le casque, dans la plupart des cas, est absent et les véhicules ne disposent d’aucune assurance.
Fin 2020, l’Agence nationale de transport terrestre (ANTT) avait annoncé qu’à partir de janvier 2021, un permis de conduire serait obligatoire pour pouvoir conduire une moto même de petite cylindrée. Toutefois, à ma connaissance, rien n’est fait et comme pour tous les secteurs, il est beaucoup plus facile de publier des réglementations que de les appliquer.
Des projets de transport collectif qui tardent à se concrétiser
Les grands projets de transport en commun sont constamment retardés. Le Réseau ferroviaire rapide de Tunis (RFR) devait faciliter la circulation sur les routes de la capitale et améliorer la mobilité du citoyen. Ce projet, lancé en 2007, qui doit relier Tunis à de nombreux quartiers périphériques de la Capitale est toujours à l’arrêt. La mise en fonction du RFR, annoncée à plusieurs reprises comme imminente, a été constamment reportée à une date indéterminée.
Le projet du métro de Sfax a été lancé en 2015. Il devait doter la deuxième ville du pays d’un réseau moderne de métro pour répondre aux besoins croissants des citoyens. Ce projet est encore à l’étape des études. Les travaux de construction démarreront peut être en 2023. Il y a quelques jours, la Société du métro léger de Sfax (SMLS) avait annoncé l’approbation officielle du Ministère des Finances pour une formule de partenariat public/privé (PPP) du projet. La prochaine étape serait la publication d’un cahier des charges pour lancer un appel d’offres international afin de choisir les bailleurs de fond et les entreprises chargées de la réalisation du projet. Beaucoup de chemin reste à faire avant de voir démarrer la première rame de ce métro.
Un projet d’un TGV reliant le Nord au Sud de la Tunisie, a été annoncé par le Président de la République depuis 2020. Ce projet sera-t-il concrétisé un jour ? Le Président de la BEI (banque européenne d’investissement) à qui on demandait de financer le projet avait souligné, à juste raison, la nécessité d’améliorer le réseau ferroviaire existant, actuellement en très mauvaise posture, avant de penser à de nouveaux projets.
Revoir la stratégie du transport terrestre
Jusqu’ici la Tunisie a choisi de privilégier le transport individuel aux dépens du transport collectif et le transport routier aux dépens du transport ferroviaire (chemin de fer et métro). La politique de la voiture populaire et l’ambition de chaque ménage de disposer d’une voiture particulière ont entrainé la sursaturation des routes et la dégradation des infrastructures routières.
L’extension des zones urbaines et l’étalement des villes ont entrainé un éloignement des citoyens de leurs lieux de travail et des stations de transport collectif et l’accroissement des besoins de mobilité. La concentration des administrations et des usines dans les grandes villes et à la périphérie est également une cause importante de l’encombrement des routes.
Partout ailleurs, grâce aux progrès de la technologie, du développement du numérique et des NTIC, le transport connait une véritable révolution. L’électrique, le transport écologique et propre, devient la règle. Par ailleurs on parle de plus en plus du transport intelligent et connecté. Grâce à l’intelligence artificielle, de nombreuses innovations font leur entrée dans le domaine du transport (voitures et bus autonomes, véhicules connectés, trains à très grande vitesse, taxis volants et bien d’autres inventions jusqu’ici inimaginables.
Dans la plupart des pays, le transport collectif (surtout le métro souterrain) a été la solution pour résoudre les problèmes de circulation, assurer la mobilité des citoyens dans les meilleures conditions et préserver l’environnement. De nombreuses études ont montré que l’investissement dans les transports publics peut être rentable, source d’emplois et de croissance.
La Tunisie demeure à la traine avec un système de transport obsolète, une infrastructure désastreuse et un taux annuel inadmissible de victimes des accidents de la circulation. Elle peine à trouver des solutions adéquates aux problèmes de la circulation routière et mobilité de ses citoyens dans des conditions satisfaisantes de rentabilité et de sécurité.
Ridha Bergaoui