Bouden appelle l’Europe à miser sur l’Afrique, et la France, à investir en Tunisie (discours intégral)
Lorsqu’elle doit s’adresser à un public francophone, voire anglophone, vous pouvez lui faire confiance. Najla Bouden sait délivrer ses messages et conquérir son auditoire. Reprenant elle-même les discours que lui prépare son équipe, ciselant ses phrases, et mettant du sien, dans une parfaite diction, elle y va de sa douce voix. La cheffe du gouvernement a réussi une fois de plus cet exercice en s’adressant au patronat français réuni sous la bannière du Medef, depuis lundi à l’hippodrome de Parislongchamp, dans le cadre des Rencontres des Entrepreneurs de France 2022.
Invitée d’honneur avec le président du Bénin, elle devait succéder au président de l’Ukraine, au Premier ministre polonais et et à son homologue française Elizabeth Borne pour plancher devant un public attentif, et plusieurs délégations étrangères dont celle de l’UTICA. Thème assignée à Mme Bouden : Quelle coopération Europe-Afrique dans un monde en crise ?
Fière de la réussite de la TICAD 8 qui vient juste de clôturer ces travaux le week-end dernier, la cheffe du gouvernement a souligné les messages forts adressés par le continent africain à la communauté internationale. Passant en revue les multiples richesses du continent et ses immenses potentialités, elle a indiqué que l’ampleur des transformations nécessaires exigent des financements appropriés à des conditions préférentielles. C’est ainsi qu’elle a appelé l’Europe à miser sur l’Afrique, le retour sur investissement étant garanti.
S’agissant de la Tunisie, le message est encore plus direct, séducteur. « La guillotine des procédures est déjà emballée », lancera-t-elle pour rassurer les investisseurs quant à la suppression d’un grand nombre de procédures et d’autorisations et les convaincre de venir en Tunisie.
Discours intégral
Excellence Monsieur Patrice Talon, Président de la République du Benin,
Monsieur Geoffroy Roux de Bézieux, Président du MEDEF,
Monsieur Samir Majoul, Président de l’UTICA
Mesdames et Messieurs,
Il m’est agréable d’être parmi vous aujourd’hui pour échanger sur la thématique pertinente de la coopération entre l’Europe et l’Afrique dans un contexte de crise.
Je salue le MEDEF pour la qualité de ces « Rencontres économiques », devenues désormais une tradition ancrée dans le milieu de la réflexion économique et dans le monde des affaires.
Je viens de Tunis armée de détermination et d’espoir.
Nous venons de clôturer à Tunis la 8ème conférence Internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (le TICAD. Environ 4.000 participants ont pris part à cette nouvelle édition de la TICAD dont 500 entreprises et hommes d’affaires et startupeurs talentueux tunisiens, africains et japonais et autant de journalistes. Le business Forum qui lui a été adossé a été l’occasion de la signature d’une centaine de conventions entre opérateurs économiques tunisiens, africains et japonais dans des secteurs aussi variés que prometteurs de l’Economie verte et bleue, du digital, de l’intelligence artificielle et technologies de l’espace, de la Pharmaceutique et du médical, du Secteur industriel, des Infrastructures et logistique et des Finances.
Ce fut surtout un moment fort, d’échanges et de communion, durant lequel les états africains se sont exprimés sur leur vision partagée -unanime- d’une coopération saine et durable avec le Japon, qui rappelons le, soutient le Continent dans ses efforts de développement, depuis déjà 3 décades.
Cette vision se décline en trois piliers stratégiques et prioritaires qui consistent (1) à réaliser une transformation structurelle pour une croissance économique et un développement social durables, (2) à construire une société résiliente et durable basée sur la sécurité humaine et la réalisation de l’Agenda 2063 de l’UA et des ODD et (3) à réaliser une paix et une stabilité durables, partant du fait qu’une bonne gouvernance, que la démocratie et que l’état de droit sont essentiels pour le développement, la paix et la stabilité. Il est donc possible -à travers cette vision-de retrouver des réponses à la question qui nous réunit aujourd’hui : quelle coopération entre l’Europe et l’Afrique en temps de crise ?
Mesdames et Messieurs,
Le continent africain dispose d’énormes potentialités et ressources, et constitue un vaste marché avec une population de 1,4 milliard, essentiellement jeune, représentant près de 17.5% de la population mondiale. La croissance moyenne de ces dernières années a été supérieure à 5% avec une amélioration notable des niveaux de vie durant la dernière décennie.
L’Afrique dispose également d’un important potentiel d’énergie renouvelable, notamment solaire. Selon l’Agence Internationale des Énergies renouvelables, en 2040, l’Afrique consommera 2321 TWh/an d’électricité et serait en mesure de produire mille fois plus (soit 2,4 millions de TWh/an).
L’Afrique connait également une dynamique pilotée par les instances africaines et nourrie par les bienfaits d’une intégration interafricaine plus poussée. Cette tendance s’est concrétisée, à titre d’exemple, à travers l’adhésion des pays africains à la Zone de Libre Echanges Africaine ZLECAF, pilier de l’agenda Afrique 2063.
L’Afrique est consciente de ce potentiel et de ses atouts, de ce qu’elle peut apporter au reste du monde et en particulier à une l’Europe, en temps de crise ; elle plaide pour une coopération internationale selon les principes directeurs de l’appropriation africaine, du partenariat international, de l’inclusivité et de l’ouverture.
Cette coopération devrait pouvoir investir les domaines à même d’atténuer les effets des crises comme ceux des énergies renouvelables et autres technologies d’énergie propre, y compris l’hydrogène et l’ammoniac combustible, et les technologies d’efficacité énergétique. Il en est de même pour le domaine de l’agriculture, des systèmes alimentaires et des chaînes de valeur résilients et durables, qui résistent au changement climatique et aux perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales. Soulignons également l’importance d’investir dans la transformation numérique de l’Afrique et dans les infrastructures TIC, y compris les infrastructures de données, de mettre en place des politiques industrielles numériques et de développer les compétences appropriées.
Mesdames et Messieurs,
La pandémie de la Covid-19 a eu des répercussions économiques, politiques, environnementales et sociales sans précédent à l’échelle mondiale. La pandémie a mis en évidence l’urgence et l’importance de l’intégration, de la solidarité et de « l’investissement dans les personnes », lesquelles renforceront le potentiel considérable de l’Afrique en tant que moteur de la croissance mondiale.
Nous rappelons à ce propos l’importance de promouvoir l’enseignement des Sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques (STEM), l’utilisation des technologies numériques, les échanges de connaissances dans l’éducation, la diplomatie scientifique et technologique, la recherche et l’innovation, le transfert des technologies et du savoir-faire, le reskilling ainsi que le soutien aux populations socialement vulnérables.
Cette transformation nécessite des financements conséquents. Malheureusement, les possibilités de financement des pays africains ont été fortement réduites dans les conditions de marché défavorables marquées par la remontée des taux et la réduction de la liquidité sur fonds de surévaluation des risques.
Il est temps que l’Europe investisse davantage dans l’Afrique. Aujourd’hui, le Royaume Uni et la France sont les plus grands investisseurs, détenant respectivement 65 Mds USD et 60 Mds de USD d’actifs en Afrique en 2021. Pour la Tunisie, la France est le premier partenaire économique et le premier investisseur.
L’Europe gagnerait à miser dès à present sur l’Afrique, à travers :
(1) Les ESG: qui attirent de plus en plus de liquidité internationale, surtout depuis la pandémie, avec 26 Mds USD dédiés aux énergies renouvelables en 2021
(2) le Financement de Projets sous un format de (PPP) qui facilite la diversification économique et soutien les priorités : 116 projets financés en 2021
(3) le soutien africain pour accéder à des financements directs et indirects (Garantis par l’UE)
(4) l’émergence de champions africains dans des domaines clés tels que l’énergie, l’agriculture et les Fintechs. Il est à souligner le rôle transformateur des start-ups ainsi que l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes, en tant que force motrice émergente pour résoudre les défis sociaux en Afrique.
(5) L’augmentation de la part des Droits de Tirage Spéciaux (DTS) du FMI pour l’Afrique devraient permettre ainsi aux pays africains d’accéder à des financements perpétuels à un taux extrêmement bas de 0,05%. Les pays développés qui n’ont pas vraiment besoin des DTS ont souvent une part bien plus importante que celle de tout le continent africain. C’est le cas de la France dont la part représente 84% de celle de toute l’Afrique. Dans le contexte actuel marqué par les crises économiques, énergétique et alimentaire, Il devient de plus en plus vital pour les pays africains d’avoir plus de DTS afin de pouvoir faire face à leurs besoins de financement immédiats, pour les transformations et coopérations souhaitées et éventuellement pour rembourser par anticipation d’autres dettes plus chères.
Mesdames et Messieurs,
Il ne peut y avoir de développement, ni de coopération possibles et durable sans paix et sécurité et sans stabilité politique. La question de la paix et de la sécurité a été évoquée par les pays africains à Tunis comme une urgence qui doit être traitée par les Nations Unies et les organisations internationales avec la même acuité que pour les autres crises sécuritaires. Rappelons que le continent africain est confronté au terrorisme, à la criminalité transnationale, à la corruption, à la piraterie, et au trafic humain.
C’est à ce titre que les pays africains ont rappelé leur requête que l’union africaine dispose d’un siège permanent au conseil de sécurité et également au G20.
Mesdames et Messieurs,
Notre Continent ne cesse de faire l’objet d’un intérêt croissant de la part des principaux acteurs économiques dans le monde, à travers la multiplication des initiatives de partenariat à l’égard de l’Afrique.
A cet égard, il est important de souligner que le programme des réformes présenté par le Gouvernement tunisien au Fonds Monétaire International ambitionne d’accroître la résilience économique et de renforcer la soutenabilité à travers l’amélioration du climat des affaires et ce, en facilitant l’accès au marché, la modernisation de l’infrastructure, la promotion de l’inclusion économique, financière et sociale ainsi que l’accélération de la transition énergétique.
L’ensemble de ces réformes structurelles qui s’insère dans un cadre de processus de réformes plus large, est conforté par la Vision Tunisie 2035 consacrant un nouveau modèle de développement articulé autour de nouvelles stratégies sectorielles, des niches régionales et du renforcement du partenariat public-privé et de la promotion des énergies renouvelables.
Il va sans dire que la Tunisie, qui a constamment misé sur son capital humain, place, aujourd’hui, l’innovation, l’entreprenariat et le développement des startups au cœur de son modèle de développement futur.
Mesdames et Messieurs,
Le contexte de crise que nous vivons aujourd’hui nous incite également à œuvrer, plus que jamais, avec beaucoup de responsabilité, afin de mieux gérer les contraintes qui s’imposent à nous et d’asseoir les bases d’un partenariat mutuellement bénéfique impulsé par le secteur privé.
C’est dans cette optique que la Tunisie, consciente de ses déficiences, s’attèle à instaurer un climat des affaires plus attractif en privilégiant le dialogue entre le secteur public et le secteur privé. A cet effet, le gouvernement vient d’engager un programme d’appui à l’initiative privée qui s’articule particulièrement autour de l’assouplissement des procédures en actionnant la guillotine, de la digitalisation du parcours de l’investisseur, la modernisation des infrastructures industrielles, et d’autres mesures encore.
L’objectif de cette démarche étant de mieux positionner le site tunisien sur le radar des investisseurs internationaux, à travers le développement de projets structurants, notamment dans le secteur industriel et les services à forte valeur ajoutée. A cet égard, le projet ELMED d’interconnexion électrique entre la Tunisie et l’Italie constitue une nouvelle preuve de ces investissements mutuellement bénéfiques pour les deux continents.
La Tunisie dispose, de surcroit, d’atouts majeurs en matière de production d’énergie solaire et d’hydrogène vert au moment où l’Europe fait face à un défi de diversification de ses sources d’approvisionnement en énergie.
Mesdames et Messieurs,
Tous les facteurs sont réunis pour nous inciter à repenser les relations économiques entre l’Europe et l’Afrique, en imaginant de nouveaux mécanismes de coopération qui dépassent ceux mis en place dans la foulée de la période de décolonisation.
Dans un contexte économique mondial marqué par les pénuries des matières premières et les difficultés d’approvisionnement, l’Afrique, avec toutes les richesses dont elle regorge et par la vitalité de sa jeunesse, peut devenir un partenaire privilégié de l’Europe et constituer ainsi une partie de la solution aux problèmes auxquels nous faisons face aujourd’hui.
Et le secteur privé doit, lui aussi, assumer ses responsabilités et œuvrer en vue d’imaginer des solutions nouvelles et innovantes pouvant relever les défis économiques, climatiques et énergétiques auxquels nous faisons face sans oublier l’emploi de nos jeunes cols blancs et cols bleus selon un modèle qui m’est cher qui est celui de « l’internationalisation at home ».
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais vous rassurer et confirmer de nouveau que La Tunisie s’est engagée, depuis le 25 juillet 2021, dans un processus de transition démocratique irréversible, en concordance avec la volonté et les choix exprimés par les tunisiens et leur désir ardent de vivre dans une société démocratique respectueuse de l’Etat de droit et des valeurs universelles.
La Tunisie est déterminée à avancer sur cette voie corrective visant à mettre en place des institutions démocratiques réelles et pérennes, à asseoir les véritables fondements de l'Etat de droit et à lutter contre la corruption, dans le respect des principes de la démocratie et des libertés fondamentales et en parfaite harmonie avec les choix du peuple tunisien.
Le calendrier de la transition mis en place par le Président de la République, se décline en trois étapes, que nous franchissons surement :
1) Il y a eu d’abord les consultations nationales électroniques qui se sont poursuivis de la mi-janvier jusqu’au 20 mars 2022.
2) Puis, il y a eu l’organisation du referendum Constitutionnel le 25 juillet 2022, avec un taux de participation exceptionnel et un nombre de votants similaire à celui des élections législatives de 2019 (2 millions 850 mille votants) et dont 95 % ont approuvé le projet de Constitution. Cette dernière est entrée en vigueur après la proclamation des résultats définitifs par l’Instance Supérieure Indépendante des Elections et l’épuisement des voies de recours juridictionnels.
3) La troisième et dernière étape de ce calendrier sera celle de l’organisation des élections législatives anticipées, le 17 décembre prochain pour un retour à la normale de toutes les institutions démocratiques. Entre temps, la Tunisie connaitra de grands chantiers à travers l’avènement d’un nouveau Code électoral, la mise en place de la Cour constitutionnelle. Le but de tous ces changements profonds est de redonner aux tunisiens confiance en leur Etat et ses institutions et d’assurer durablement une stabilité politique retrouvée.
Je vous remercie de nouveau pour votre aimable invitation et pour votre attention et vous dis à très bientôt à Jerba, en novembre prochain pour le sommet de la francophonie et son forum économique.
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