L’«Économie casino»: Un obstacle au développement sociétal et à la transition écologique
«Plus on a de raisons objectives d’être optimiste, plus on se doit d’être catastrophiste et de se tenir sur ses gardes, car le terme est sans doute proche». Maxime
Par Mondher Khaled - Expert en planification stratégique. Dans un article intitulé «Où va le monde? Dans le mur si nous laissons faire», publié en 2010, Susan George, présente l’organisation du monde, en cercles concentriques, où la finance occupe le premier et plus grand cercle. Pour démontrer la domination absolue de celle-ci, Susan George se réfère aux chiffres de la Banque d’Angleterre, qui indiquent que 14 000 milliards de dollars ont été injectés depuis 2008, au début de la crise financière. Ce montant sans précédent a été alloué dans le but de sauver les banques et de remettre le système financier et le statu quo ante, en place. Ces 14 000 milliards correspondent à la dépense de 1 dollar par seconde pendant 450 000 ans.
Une année plus tard, le rapport d’audit élaboré en 2011 auprès de la Réserve fédérale par le Government Accountability Office (GAO), a estimé le montant des prêts et garanties d’urgence, alloué aux banques américaines et étrangères, à 16000 milliards de dollars. La même année, un chercheur indépendant, du nom de James Felkerson, a conduit une étude qui a estimé le montant des transferts de la Réserve fédérale aux banques centrales de l’Europe et du Japon en prêts et garanties, à 29000 milliards.
D’après Susan George, ce pouvoir absolu que détient la finance, obligera les peuples et les services publics de continuer à payer, les uns par leurs retraites, les autres par la baisse du nombre de fonctionnaires et de leurs salaires, plaçant ainsi le monde entier dans une crise morale, où l’on récompense les coupables et l’on punit les innocents. Cette situation risque fort bien de perdurer dans la mesure où, les banques sont certaines d’être sauvées quelles que soient leurs incartades et quels que soient les risques qu’elles prennent. Elles continueront de ce fait de contribuer, grâce à cet appui, à créer les conditions d’une autre crise financière qui sera plus dévastatrice à cause de la prolifération de «l’Economie de casino» qui risque de faire encore plus de ravages.
Le deuxième cercle, qui suit la finance, est celui de l’économie réelle qui étranglée par les banques accaparant tous les capitaux, celle-ci n’arrivera jamais à optimiser ses performances et à créer de l’emploi. Le meilleur exemple est celui de la Banque Centrale Européenne qui prête aux grandes banques à un taux avoisinant 1%. Ces dernières reprêtent aux très grandes entreprises à 3-4% et aux États de la périphérie européenne comme l’Irlande, le Portugal ou l’Espagne, à des taux qui excédent les 8%.
Est-ce qu’on peut changer la donne et inciter la Banque Centrale Européenne à prêter directement aux États membres? Politiquement, il sera très difficile de le faire tant que la BCE est statutairement protégée contre toute ingérence politique et qu’elle demeure intrinsèquement néolibérale.
Quant à l’Euro, aucun État membre du système monétaire, n’a intérêt à en sortir, y compris l’Allemagne qui n’a aucun intérêt à forcer les plus petits États à sortir de l’Euro, car ils seraient immédiatement écrasés par les spéculateurs et subiraient des inflations inouïes. Les États seraient ainsi, incapables de rembourser leurs dettes et les peuples vivraient une situation terrible, comme cela a été le cas en Argentine en 2001-2002. Cela nuirait en général à l’Europe toute entière, et en particulier aux banques allemandes et françaises qui possèdent beaucoup d’obligations irlandaises, grecques, etc. Les autorités allemandes jouent le jeu de sa presse populaire, en la laissant répandre le message «Nous sommes les fourmis et nous refusons de payer pour ces cigales qui sont les gouvernements européens irresponsables».
En réalité cela ne lui coûte pas très cher de sauver ses propres banques et ses clients, en garantissant et en abondant le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF), sans parler de la construction européenne elle-même.
En continuant à être affamées de crédits, les PME -PMI qui fournissent 90% de l’emploi en Europe, vont contribuer à la hausse du chômage. Il y aura de petites compensations pour les chômeurs, mais ils seront de plus en plus relégués. Les inégalités qui n’ont cessé de croître depuis trente ans, vont continuer à le faire mais d’une manière plus grave. La situation est plus flagrante aux États-Unis où des millions de familles perdent quotidiennement leurs logements et se voient par conséquent, mis au ban de la société.
Dans le troisième cercle, on retrouve la société qui est de plus en plus confrontée à la difficulté de préserver le plus grand acquis de tous les temps, à savoir le triomphe des valeurs de l’esprit des Lumières, incarné par les idées de liberté, de démocratie et de justice. Cette belle idée des Lumières, sera la grande perdante de notre époque et de la prétendue avancée de l’Occident. Elle sera combattue par les néolibéraux et tous ceux qui refusent, pour des raisons idéologiques, la réduction des inégalités et de la pauvreté.
Enfin, le dernier cercle est la protection de la planète et son corollaire l’écologie. Source supposée inépuisable de matières premières, la planète souffre du comportement irresponsable de ses habitants qui la sur exploitent sans se gêner de la pourrir en y rejetant leurs déchets nocifs et en y propageant du CO2 et autres gaz à effet de serre. Le pire viendra en conséquence de ce quatrième cercle. L’accélération et l’emballement de la destruction de la nature, que beaucoup ont annoncés, ont d’ores et déjà commencé. La glace du Groenland, pas seulement le permafrost mais aussi la glace terrienne, est en train de fondre avec une rapidité que personne n’avait imaginée. Cela signifie une augmentation immédiate du niveau des mers. La fonte des permafrosts autour du cercle polaire et, comme on le sait, le méthane qui s’en échappe est vingt fois plus puissant que le CO2. Par ailleurs, une des conséquences insoupçonnées du réchauffement climatique, serait la prolifération des conflits consécutifs à l’augmentation de la migration des populations.
Il s’agit donc de choisir entre un système qui serait plus juste et efficace – avec une économie organisée loin des principes capitalistes axés sur l’accroissement des inégalités et l’accaparements de ressources – et un système totalement autoritaire qui aurait pour mission de réduire drastiquement la population, non par des méthodes hitlériennes, trop visibles, mais en laissant se propager les nouvelles maladies, les pandémies, l’extrême pauvreté, les famines, la baisse du pouvoir d’achat, la difficulté d’accéder aux produits de base, les crises sociales, l’instabilité politique, etc.
“Tout pour nous-mêmes et rien pour les autres” semble avoir été à toutes les époques du monde, la vile maxime des maîtres de l’humanité. C’est le diagnostic que portait Adam Smith, qui connaissait le capitalisme et les capitalistes de son époque. Alors, soit on accepte d’avoir une solution autoritaire, grâce à laquelle survivront les plus aptes et surtout les plus riches qui seront les plus protégés, soit il va falloir changer de méthode et de destination.
Nous nourrissons tous, le vœu pieux de voir les dirigeants du monde comprendre que le moment est venu de résoudre la crise écologique et la crise des inégalités et de la pauvreté, en arguant la crise de la finance pour mettre les banques et le système financier sous contrôle, et opérer une conversion massive et salutaire vers l’économie verte.
L’objectif premier étant d’inverser l’ordre des cercles concentriques, en accordant à la planète la priorité absolue en la considérant comme la «loi suprême» et la préoccupation cruciale de l’humanité. Car on ne peut jamais gagner une guerre contre la nature. Ensuite viendrait le cercle de la société, qui devrait être en mesure de décider démocratiquement de la manière dont elle souhaite s’organiser pour une meilleure socio-diversité, où l’économie réelle servirait les besoins de chaque société. Enfin, la finance, le plus petit et le moins important des cercles, serait simplement un outil au service de l’économie. C’est une tâche colossale, jamais entreprise dans toute l’histoire de l’humanité, mais indispensable.
Mais ce choix, c’est maintenant, et pas plus tard.
Mondher Khaled
Expert en planification stratégique
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