Dr Hamed Karoui, Ancien Premier Ministre, ancien Vice-Président du RCD
Onze ans après avoir passé la main, le 17 novembre 1999, à M. Mohamed Ghannouchi, à la tête du Premier Ministère, et deux ans après avoir quitté, le 5 septembre 2008, la vice-présidence du RCD, le Dr Hamed Karoui, qui s’apprête à célébrer le 30 décembre prochain, son 83ème anniversaire, coule une retraite paisible, sans renoncer à aucun de ses sports et loisirs préférés. Frais, pimpant, élégant dans son costume bleu nuit bien coupé, l’oeil vif et taquin, derrière de fines montures, il promène, avec beaucoup d’humour un regard serein et comblé sur son parcours.
Dans sa modeste villa d’El Menzah 7, noyée parmi celles des voisins, où il reçoit Leaders, l’unique signe distinctif est celui des photos qui ornent les murs du salon, à côtés des tableaux de maître. On l’y voit le jour de son mariage, avec sa chère et fidèle Rafiaa, mais aussi et surtout au côté du Président Ben Ali. «Un vrai patriote et un grand Homme d’Etat», comme il le qualifiera affectueusement.
Du Dr Karoui, on ne connaît pas, finalement, grand-chose. On sait surtout qu’il est médecin, qu’il a été président de la fédération de France du Néo-Destour, co-fondateur de l’Uget (son secrétaire général), président de la municipalité de Sousse (1985) et de l’Etoile Sportive du Sahel (de 1963 à 1981). Parlementaire, il a été élu à trois reprises à l’Assemblée Nationale (1964, 1981, 1989) dont il deviendra vice-président (1983-1986). Militant avant-gardiste, le Dr Karoui était proche de Bourguiba, dans les années 50 à Paris. Rentré de France à l’aube de l’Indépendance, auréolé et de son titre de médecin pneumo-phtisio et de son passé de militant, il avait renoncé à toute ambition politique gouvernementale, s’attachant à sa ville natale où il était resté 30 ans, avant de se «résigner» à monter à Tunis et accepter sur le tard, à 59 ans, en 1986, après s’en être dérobé longtemps, son premier poste de ministre (de la Jeunesse & des Sports).
Très timide, durant sa prime jeunesse, et ne s’adonnant qu’au football comme tous les enfants de son âge, il connaîtra le grand changement de sa vie en adhérant aux mouvement scout. C’est là, qu’il fera ses classes de patriotisme, acquerra l’esprit d’équipe et de leadership, le sens du volontariat et les nobles valeurs du sacrifice. Avec une poignée de camarades dont il n’oubliera jamais le souvenir (Habib Osman, Abdelhamid Ernez, Mustapha Driss, Mahjoub Hamdouni), il prendra en charge l’édition et la diffusion du journal clandestin Al Kifah, dans le centre du pays. Un récit émouvant de cette épopée nous est restitué dans le livre «Jil Atthaoura» (Génération de la Révolte) de Hamed Zeghal. A 17 ans, chef de district scouts, et tout en préparant son baccalauréat, il bravera courageusement peur et oppression, pour porter la voix des jeunes militants, au grand dam des autorités coloniales. Soucieux de le préserver, alors qu’il devait réussir son bac et partir en France, ses camarades de lutte l’avaient adjuré de se mettre en hibernation, ce qu’il ne pouvait accepter. Bien au contraire, galvanisé par le défi, il redoubla d’activisme et d’assiduité scolaire.
Dès lors, la réputation de ce grand timide qui a été complètement transformé par le scoutisme et l’engagement militant, est rapidement bien assise.
Sage, impartial, très respecté et grand patriote. La légende raconte qu’un jour de grand match à Sousse où l’ESS subissait les décisions fantaisistes d’un arbitre dévoyé, déclenchant l’ire dans les gradins, il lui a suffi de s’adresser aux foules indomptables par un simple geste du doigt sur la bouche demandant le silence pour qu’il soit immédiatement obéi. D’où viennent ces traits de caractère ? De son oncle maternel, feu Ahmed Noureddine, ancien professeur de maths-physiques qui sera dans les années 60, ministre des Travaux publics ? Certainement, en bonne partie, mais aussi, de son père qui s’est employé à lui inculquer de nobles valeurs. «A 3 ou 4 ans, se souvient-il, l’un de mes oncles paternels avait attrapé la tuberculose et pour me prémunir de toute contagion, j’étais confié à mes grands- parents chez qui oncle Ahmed m’avait pris sous son aile». Notez bien! la tuberculose et toute l’attention de son père.
Bachelier et devant se rendre en France pour poursuivre ses études de médecine, son père le confiera à l’un de ses amis d’enfance, le Dr Ahmed Somiaa, grand pneumologue à l’hôpital franco-musulman de Bobigny. Si Hamed débarquera, le 1er novembre 1946, dans un Paris assombri par la guerre et la pénurie, comptant sur le pain sec, l’huile d’olive et les sardines, fournis par son père et les menus coupons J3 de rationnement pour obtenir quelques vivres. Le Dr Somiaa, en véritable «consul général de tous les Tunisiens», lui sera d’un grand secours. C’est lui d’ailleurs qui l’orientera vers la pneumo et l’accueillera dans son service.
Les années parisiennes de Si Hamed seront doublement laborieuses. D’abord pour réussir ses études, mais aussi pour s’acquitter de son devoir de militant, surtout au milieu de ces tumultueuses péripéties du «dernier quart d’heure» avant l’indépendance, avec tous les tiraillements entre bourguibistes et youssefistes, entre partisans de l’autonomie interne et jusqu’au-boutistes. Evidemment, avec les Brahim Zitouni, Hamed Zeghal, Laroussi El Mekki, Mansour Moalla, Béchir Ben Yahmed, Abdelmajid Chaker, Hédi Baccouche et d’autres jeunes militants, il avait fait son choix en faveur de Bourguiba. Il aimait aller lui rendre visite dans son exil à l’île de Groix avec Ben Yahmed, puis au Château de La Ferté à Amilly, ou encore, plus tard, à l’hôtel Intercontinental où, d’ailleurs, les jeunes avaient organisé le 50ème anniversaire de Bourguiba. Si Hamed fait partie des fidèles parmi les plus fidèles, mais était à la tête des étudiants aux idées progressistes, ce qui ne semblait pas plaire à certains anciens youssefistes reconvertis au bourguibisme, après l’indépendance, et pressés d’occuper le devant de la scène.
Témoin de l’ascension de Bourguiba et de sa déchéance, puis du geste salutaire …
Le destin aura voulu qu’il assiste de près «à la grande ascension de Bourguiba, dans les années 50, puis à sa déchéance, au milieu des années 80, n’était-ce le geste salutaire en sa faveur, par l’un de ses fils fidèles, le Président Ben Ali», comme il le remarquera. Nullement intéressé par un poste politique, ou de se mettre dans la course aux maroquins ministériels, Si Hamed était décidé, en rentrant en Tunisie en mai 1957, après 11 ans passés en France, de porter sa blouse blanche de médecin (spécialisé en pneumo-phtisio), de s’installer à Sousse et d’y ouvrir son cabinet, parallèlement à ses activités hospitalières. «Je suis chevillé à cette ville merveilleuse dont je n’arrive pas à m’extraire», ne cessera-t-il de répéter. Il y garde tous ses repères, ses amis d’enfance et de toujours, sa famille et son club fétiche, l’Etoile. Comblé de bonheur parmi les siens, il n’en continue pas moins à suivre les échos de Tunis, participant aux congrès du parti. Son beau-frère Ahmed Ben Salah était au faîte de son pouvoir, son oncle Ahmed Noureddine, ministre des Travaux Publics, et nombre d’amis au gouvernement ou dirigeants de grandes banques et entreprises publiques. Il gardait le contact avec Bourguiba, surtout en été lorsque le Zaim allait passer ses vacances à Monastir, ce qui lui permettait de lui rendre visite plus souvent, avec les militants de la région.
Début des années 80, après le départ de feu Hédi Nouira, et le renforcement de l’équipe au pouvoir, premier appel fort vers Tunis. Mongi Kooli, alors directeur du Parti, lui fait part de sa désignation au Bureau Politique. Venir à Tunis tous les mercredis après-midi pour assister à la réunion hebdomadaire ne perturbait pas beaucoup sa quiétude soussienne. Jusqu’à ce dimanche, 6 avril 1986 où il reçoit un coup de fil énigmatique du directeur du protocole présidentiel, feu Moncef Ben Mahmoud, l’invitant à une audience, le lendemain, lundi matin, avec Bourguiba au Palais de Carthage. Pour toute allusion sur le cadre de cette audience, Si Moncef répondit avec un ton affectueux et doux : «Ma thamma ken El Khir !». C’était la série des fameux lundis durant lesquels Bourguiba limogeait l’un après l’autre les proches de Mzali. Sentant le piège d’un poste au gouvernement, c’est-à-dire d’un «exil à Tunis» se refermer sur lui, Si Hamed se déploya pour échapper. Mohamed Mzali, Premier ministre, se contentera de lui répondre : «Binek oubinou. Dabbar rassek maa Bourguiba. J’y suis pour rien, je n’y peux rien».
Une remise en selle qui le portera loin
Arrivé à Carthage lundi matin, Si Hamed retrouve, dans la bibliothèque qui servait de salle d’attente, Mzali, Béji Caïd Essebsi, ministre des Affaires étrangères qui était de retour d’une mission à Paris, le Dr Hédi Bouricha qui avait succédé à Mohamed Kraiem à la tête du ministère de la Jeunesse et des Sports et n’arrivait pas à se dédouaner du mauvais procès que lui faisait son prédécesseur, et Mezri Chekir. Au fait des rumeurs de Carthage, et soupçonnant l’intention de Bourguiba de limoger Bouricha et de le désigner ministre de la Jeunesse et des Sports, il s’est mis à prier pour que l’entretien Bouricha-Bourguiba se passe très bien, ce qui lui épargnera de monter à Tunis. «Je me suis dit, cela dépendra du temps que durera l’audience. Si elle se prolonge, c’est un bon signe : j’y échappe. Si elle est raccourcie, je n’aurais plus le choix.» Quelques minutes après avoir été introduit au cabinet de Bourguiba, le Dr Bouricha en ressort furtivement, avec des éclats de voix qui parviennent à tous. Le sort de Si Hamed Karoui était scellé.
«D’emblée, Bourguiba me lance : on me dit que vous avez le diabète et vous préférez ralentir vos activités. Mais ce n’est rien. Même Wassila l’a eu et elle s’en sort très bien. De toute façon, j’ai besoin de vous auprès de moi et vous avez beaucoup de travail à faire à mes côtés. Vous savez dans quelle estime je vous tiens et là, je dois compter sur vous». Aucun de mes propos ne suffira pour m’en échapper. D’ailleurs, Bourguiba me gardera auprès de lui pour continuer à recevoir, successivement, Caïd Essebsi, intarissable sur la considération dont jouit Bourguiba en France, Chekir qui essaye courageusement et dignement de défendre sa cause et Mzali qui, vainement, défend bec et ongle son protégé.
Le reste, on le connaît. Si Hamed sera ministre de la Jeunesse et des Sports jusqu’en octobre 1987, pour prendre la direction du Parti, avant d’être nommé en 1988, ministre de la Justice (1988 - 1989). A cette même époque, son collègue à la tête du ministère de la Santé Publique n’était autre que l’éminent juriste, Dali Jazi. Du coup, on avait le médecin à la Justice et le juriste à la Santé.
Il conservera ce poste jusqu’à sa nomination en tant que Premier ministre le 27 septembre 1989. Dix ans durant, jusqu’au 17 novembre 1999, date à laquelle il cède le flambeau à M. Mohamed Ghannouchi, il apportera au Président Ben Ali sa contribution loyale à l’immense oeuvre de renouveau amorcée par le Changement. Entrant au bureau politique du RCD, le 12 avril 1989, il en devient vice-président le 9 octobre de la même année, puis premier vice-président le 26 janvier 2001, jusqu’au 8 septembre 2008. Le triple pontage qu’il a subi en octobre 2007, après une redoutable attaque cardiaque, l’incite à réduire ses activités officielles, sans le priver cependant de vaquer à ses loisirs. Chasseur invétéré, mordu de football, esprit scientifique toujours curieux des avancées de la recherche et ami fidèle qui sait cultiver les nobles valeurs, il n’a presque pas une minute pour lui.
Alors l’interroger sur ses mémoires, serait trop lui demander: «Je n’ai pris aucune note, ni écrit la moindre ligne. Mes vrais Mémoires, elles se résument aujourd’hui en une seule phrase: heureux, mais vraiment très heureux, de voir aujourd’hui les Tunisiens accéder à ce niveau d’éducation, de savoir, de bien-être et de prospérité dans une Tunisie qui, grâce au Président Ben Ali, vogue harmonieusement de succès en triomphe».
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