De Kaboul à Kiev, pour un nouvel ordre mondial: Acte IV, l’Otan aboie à la porte de la Russie
Par Abdelaziz Kacem - Dans le journal italien Corriere della Sera en date du 3 mai 2022, le pape François déclarait que les «aboiements de l’Otan à la porte de la Russie» seraient à l’origine de l’intervention militaire de Moscou en Ukraine. Natif de Buenos Aires, et de sensibilité sociale affichée, le souverain pontife sait les malheurs que l’hégémonisme américain et la haute finance infligent à l’Amérique latine depuis des lustres. Réitérant sa solidarité avec les peuples palestinien, irakien, yéménite, syrien et libyen, il se veut le continuateur de Jean-Paul II. Pour ses détracteurs, la métaphore canine qu’il colle à l’Otan corrobore les soupçons de ses sympathies communistes.
Moins d’un mois après le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne, dans un discours prononcé, le lundi 21 mars, devant un parterre de chefs d’entreprise, le président Joe Biden annonce : «C’est le moment où les choses changent. Il va y avoir un nouvel ordre mondial et nous devons le diriger», et appelle à «unir le reste du monde libre» derrière les États-Unis.
Pour sa part, ne voulant pas demeurer en reste, George W. Bush tint à se rappeler à nos mauvais souvenirs. Le 18 mai dernier, à Dallas, à l’institut qui porte son nom (allez savoir quels savoirs un tel organisme pourrait ajouter à l’intelligence du monde), l’ancien président des États-Unis ne déroge pas aux bévues dont il est coutumier. Il gratifie ses spectateurs d’un lapsus qui vient du tréfonds de son subconscient. Désirant condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il fustige « l’absence d’équilibre des pouvoirs en Russie et la décision d’un seul homme de lancer une invasion totalement injustifiée et brutale de l’Irak ». Devant la stupéfaction de l’assistance, il secoue la tête et se reprend : «Je veux dire de l’Ukraine». Mais ce fut un incroyable aveu du génocide, plus d’un million de civils qu’il avait fait commettre, dix-neuf ans auparavant, en cette terre de Mésopotamie où l’Occident est né.
Pourquoi cette guerre ? Tous les analystes savent bien que pour encourager un idiot utile, Gorbatchev, à donner le coup de grâce à l’Urss, James Baker, au nom du gouvernement américain, lui avait promis en 1990 - promesse réitérée un an plus tard - que l’Otan ne bougerait pas d’un pouce vers l’Est. Mais Horace le disait : «Verba volant, scripta manent.» Avec les Américains, les écrits s’envolent aussi. L’Otan finit par absorber la majorité des pays de l’Est et son appétit est de plus en plus dévorant.
Pour le politologue américain, le Pr John Maersheimer, de l’Université de Chicago, «la guerre en Ukraine est le conflit international le plus dangereux depuis la crise des missiles cubains de 1962». L’Occident, à ses yeux, en est le principal responsable. Il s’en explique:
«Les troubles concernant l’Ukraine ont en fait commencé au sommet de l’Otan à Bucarest en avril 2008, lorsque l’administration de George W. Bush a poussé l’alliance à annoncer que l’Ukraine et la Géorgie «deviendraient membres». Les dirigeants russes ont immédiatement réagi avec indignation, qualifiant cette décision de menace existentielle pour la Russie et promettant de la contrecarrer».
Nous n’allons pas revenir sur tous les tenants et aboutissants de cette guerre. Force est de constater cependant que, depuis plus d’une décennie, l’Ukraine est de facto membre de l’Otan et de l’UE et que l’Occident est décidé à se battre jusqu’au dernier Ukrainien pour réduire la Russie et détruire Poutine.
Poutine est un homme avisé et réfléchi. Il parle couramment l’anglais, l’allemand, voire le suédois, et connaît de ce fait mieux que tous ses prédécesseurs la pensée et l’arrière-pensée occidentales. Peut-être a-t-il sous-estimé le degré de vassalisation de l’Europe aux USA. La Grande-Bretagne, capitale Londonistan, est devenue la colonie de son ancienne colonie. Cela Poutine le savait parfaitement. Mais l’Europe latine et l’Allemagne ?
Pour ce qui est de la France, il pensait sans doute au souverainisme gaullien.
«Les Européens, disait le Général, n’auront pas recouvré leur dignité, tant qu’ils continueront à se ruer à Washington pour y prendre leurs ordres».
Le problème actuel de l’Union européenne, c’est son gigantisme. Dès 1963, de Gaulle, mettait en garde contre « l’élargissement de l’Europe, sous peine d’une apparition d’une communauté atlantique colossale sous dépendance et direction américaine, et qui aurait tôt fait d’absorber la communauté européenne ». Le mal est fait. Tous les pays anciens membres du Pacte de Varsovie, se trouvant orphelins de tutelle, se sont jetés dans les bras de l’Otan. Admis au sein de l’UE, ils sont totalement inféodés aux É-U.
La France est membre de l’Otan, depuis sa création, en 1949. Mais le Général, dès son retour au pouvoir, en 1958, signifie dans un mémorandum adressé aux Américains et aux Britanniques, que «l’Otan ne correspond plus aux nécessités de notre défense».
Mais ce n’est que le 7 mars 1966 qu’il écrit à son homologue américain Lyndon B. Johnson, en des termes quelque peu abrupts, que « la France se propose de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté, actuellement entravé par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation qui est faite de son ciel, de cesser sa participation aux commandements intégrés et de ne plus mettre de forces à la disposition de l’Otan. » (art. 1966: la France tourne le dos à l’Otan, Le Monde du 10 mars 2009).
Dans un dernier sursaut gaullien, le président J. Chirac réaffirme l’indépendance de la France en refusant de s’aligner sur les Américains dans leur guerre injustifiée contre l’Irak. Son successeur prend le contrepied de cette politique indépendantiste. Dans une interview accordée au Figaro Vox du 31 juillet 2015, sous le titre : «La France doit cesser d’être le caniche des États-Unis», un grand reporter international, Renaud Girard, déclarait : « De Gaulle en son temps avait recadré les choses en affirmant que nous étions alliés, et non alignés. Mais nous sommes aujourd’hui alignés. Sarkozy a commis une erreur en faisant retourner la France dans le commandement intégré de l’Otan, une organisation militaire aux résultats médiocres. C’est un signe de sujétion et de soumission qui n’était même pas réclamé par les Américains ». À vrai dire, ces derniers n’avaient pas à le réclamer.
Zbigniew Brzezinski, conseiller à la sécurité nationale du président des États-Unis, Jimmy Carter, et grand fomentateur de la première guerre d’Afghanistan, écrivait : «Pour le dire sans détour, l’Europe de l’Ouest reste dans une large mesure un protectorat américain et ses États rappellent ce qu’étaient jadis les vassaux et les tributaires des anciens empires».
La guerre russo-ukrainienne est voulue par les États-Unis. Mais le zèle britannique est surprenant, inouï. Boris Johnson rivalise avec le patron américain en matière de fourniture d’armes sophistiquées à la nomenklatura de Kiev, ses apparitions aux côtés du petit Zelenski lui donnent l’illusion d’être un nouveau W. Churchill.
Les centaines de milliards de dollars investis en Ukraine sont prélevées dans les salaires du contribuable qui subit le boomerang des sanctions imposées à la Russie. Pour anesthésier les sujets de sa majesté ainsi que tous les citoyens du Nouveau monde et du Vieux Continent, ils sont soumis à une propagande antirusse généralisée. Tous les médias sont domestiqués. Les vrais spécialistes sont écartés. Aucune fausse note n’est permise. Seuls pérorent sur les plateaux des journaleux de pacotille.
Mais cette descente au caniveau, la presse britannique l’a entamée bien avant le conflit en cours. Un homme politique des plus intègres, Jeremy Corbyn, chef du Parti travailliste de 2015 à 2020, ne s’y reconnaît plus.
Dès son accession à ce leadership, il tint à se démarquer du virage que prit le Labour sous Tony Blair. Du temps où il était un simple député, Corbyn s’était montré très hostile à l’engagement de son parti aux côtés des Américains dans leur guerre illégale contre l’Irak.
Treize ans après, et au moment où Tony Blair se félicite encore, toute honte bue, de s’être attelé au plus rétrograde des présidents américains, Jeremy Corbyn présente les excuses de son parti au monde entier : «Je veux aujourd’hui m’excuser au nom de mon parti pour la décision désastreuse de partir en guerre en Irak». D’autant que le rapport Chilcot (du nom du président de la commission d’enquête) sur l’engagement du Royaume-Uni dans cette guerre vient d’être publié après sept ans d’atermoiements. Long de 2,6 millions de mots, il est accablant pour Tony Blair. On a beau traiter ce dernier de caniche de G.W. Bush, sans son appui total et inconditionnel, le cow-boy américain n’aurait jamais attaqué l’Irak.
Mais Jeremy Corbyn sera contraint à la démission. Dans une interview accordée, dimanche 31 juillet, à la Chaîne libanaise Al-Mayadeen, il relate les raisons de son ostracisme: «Je n’ai absolument aucun doute que mon soutien clairement déclaré au droit du peuple palestinien de pouvoir vivre en paix, sans occupation, sans être assiégé comme à Gaza, et pour ceux qui vivent dans des camps de réfugiés, a joué un rôle dans tout cela». Il dit s’être trouvé, depuis sa candidature à devenir chef du Parti travailliste, face à des «forces puissantes », il en cite un personnage des plus influents au Royaume-Uni: Benjamin Netanyahu. Oui, Netanyahu avait le pouvoir de faire et défaire des destins politiques au Royaume-Uni.
Concernant la guerre en Ukraine, il condamne l’agression russe mais considère que le surarmement de Kiev « n’apportera pas une meilleure solution, cela ne fera que prolonger et amplifier cette guerre » qui pourra durer des années encore.
Le lendemain, la presse londonienne stipendie Corbyn pour ses positions politiquement toujours incorrectes et pour avoir accepté d’être l’hôte d’une chaîne proche de la Syrie et de la résistance. Ce grief prend toute son ampleur, par les temps où, au mépris de la liberté de l’information, l’Union européenne a suspendu d’urgence les activités de diffusion de Sputnik et de RT/Russia Today, la même chaîne qui avait plus d’une fois invité Jeremy Corbyn, et que ce dernier trouvait souvent plus objective que les médias de son pays.
Entre-temps, seules des négociations de paix peuvent arrêter le massacre. L’Occident s’y refuse tout en sachant que la Russie n’acceptera jamais de perdre cette guerre, fût-ce au prix d’une déflagration nucléaire.
Et tout cela pourquoi ? se demande François Asselineau, pour permettre à l’Ukraine d’entrer dans l’Otan?
Entre-temps, sur le terrain, des êtres humains continuent de mourir et, dans l’Europe assujettie, l’inflation s’aggrave. Et l’hiver, faute de gaz russe, s’annonce plus froid que jamais.
Entre-temps, pour accélérer l’avènement de son nouvel ordre mondial, le président Biden multiplie ses provocations et entend faire de Taiwan l’Ukraine de la Chine
Abdelaziz Kacem
- Ecrire un commentaire
- Commenter