Ahmed Ounaïes: La Palestine et le double standard
Vendredi 23 septembre, le Président Mahmoud Abbès a présenté, à la tribune de l’Assemblée Générale des Nations Unies, la réalité et les espoirs du peuple palestinien sous l’occupation. Aux prises avec Israël, la puissance occupante, il décrit, argumente et conclut. Il partage ses conclusions, interpellant l’auditoire : comment s’explique la politique de destruction qui se poursuit contre notre peuple ? Comment admettre l’impunité des bandes de colons racistes qui sévissent dans nos cités ? Comment se justifie la démolition de la maison familiale du palestinien à ses frais, sinon par ses propres mains ? Comment vivre chez soi quand les ressources naturelles, y compris l’eau de pluie, sont détournées systématiquement par l’appareil colonial qui investit nos terres ? Pourquoi la mère d’un prisonnier palestinien n’a-t-elle pas le droit de revoir son fils – tout juste le revoir – alors qu’il souffre d’un mal incurable et qu’il vit ses derniers jours en cellule ? Pourquoi tuer par dizaines les enfants palestiniens dans les villes, dans la campagne, partout à Gaza ? Pourquoi interdire en Palestine des organisations civiles qui veillent impartialement sur le strict respect des droits de l’homme ? Pourquoi s’attaquer dans l’église et dans la rue au cortège funéraire de Shirin Abou Aqleh ? Pourquoi donc son assassin n’est-il pas jugé pour son acte ?
C’est le tableau de l’Etat israélien qualifié expressément par le Président Biden, à la même tribune, d’Etat démocratique. Bien d’autres questions se posent certes, mais nous distinguons le fait démocratique parce que l’Administration Biden cautionne toute violation commise par Israël et qu’elle valide les violations commises par l’Administration Trump : elle les maintient, relativement au monde arabe, sans sursaut démocratique.
Quels Etats membres des Nations Unies reconnaissent dans la politique de l’Etat israélien une démocratie ? Mes collègues américains au Conseil de Sécurité, dans les années 1980, qualifiaient en effet l’Etat d’Afrique du Sud, en dépit de l’apartheid, d’être le seul Etat démocratique en Afrique. Où en sont-ils aujourd’hui ? En ont-ils loyalement tiré la leçon ?
A travers le discours très clair de Mahmoud Abbès, nous réalisons que le double standard communément dénoncé chez les Etats-Unis et la majorité des membres de l’Union Européenne n’est que le reflet d’une dualité plus profonde. Si l’Organisation des Nations Unies existe légalement, elle est astreinte par certaines puissances à la paralysie et à l’inefficacité quand elle entreprend de mettre en œuvre ses propres résolutions.
Or, nous réalisons qu’une autre institution existe de facto : elle inclut Israël, les Etats-Unis et d’autres alliés répartis en Amérique, en Asie et encore davantage en Europe. Cette institution est efficace et plus sûre parce qu’elle supplante l’ONU. Les Etats-Unis y contribuent en mettant à son service les attributs de sa souveraineté, ses ressources stratégiques et son veto. La finalité de sa politique est de faire prévaloir, par ce moyen, la politique de puissance, le choix impérial sur la légalité internationale, sacrifiant les principes du droit, les droits de l’homme et le caractère universel des valeurs. C’est le choix réel, le double standard n’en est que le reflet.
L’institution seconde ne recule devant rien : assassinats, changement de régimes, marchandages, votes contradictoires, sanctions diplomatiques. Rappelons que les Etats-Unis quittent les Institutions spécialisées des Nations Unies qui reconnaissent la Palestine comme Etat membre : c’est le cas de l’UNESCO en octobre 2011. Les Etats-Unis quittent le Conseil des droits de l’homme, l’un des cinq organes de l’ONU. Les Etats-Unis votent à la Conférence Générale de l’AIEA contre les projets de résolution arabes qui visent à proclamer le Moyen Orient zone exempte de l’arme nucléaire. Israël doit donc détenir le monopole de l’arme nucléaire au Moyen Orient. Autant de diktats, de forfaits, de dérobades, de dissimulations. La réalité et la puissance de l’institution seconde expliquent l’impunité d’Israël, la brutalité et l’arrogance des actes racistes couverts par tant de pays qui se posent néanmoins en démocrates, voire en censeurs des principes démocratiques. Les impérialismes et les colonies sont toujours là, nous en sommes les témoins sur plus d’un siècle.
Nous réalisons les souffrances du peuple palestinien, sa résistance infinie et l’héroïsme incommensurable du peuple et de ses alliés déclarés dans la région et dans le monde. Nous avons grandi, en Tunisie, dans la culture de la lutte contre l’occupation, contre le colonialisme et la discrimination. Nous combattons l’hégémonie et la politique de puissance. Nous ressentons à vif la tragédie du peuple palestinien et nous situons parfaitement l’hypocrisie qui sape l’Organisation des Nations Unies et qui ternit la civilisation de notre temps.
Nous avons foi dans les principes. Comme la Palestine, nous soutenons un plan de paix fondé sur le droit, sur la légalité internationale et sur le principe du respect égal des peuples, l’un des principes inscrits dans la Charte des Nations Unies. Nos choix sont nets.
Nous osons croire qu’une forme inavouable de culpabilité, un sentiment d’échec, une conscience malheureuse rongent le substrat d’humanité qui subsiste dans le fond des hommes d’Etat acquis à la dualité… des êtres humains comme nous. La faute, la turpitude et l’esquive ne sont pas tout. Les espoirs de Mahmoud Abbès se fondent après tout sur ce résidu de conscience humaine.
Ahmed Ounaïes
24 septembre 2022