Taoufik Charfeddine: «L’humain reste profondément ancré en moi»
Discret, silhouette frêle, attentif à chacun de ses gestes et chacune de ses expressions, Taoufik Charfeddine sait qu’il marche sur des braises. A 53 ans, cet avocat de profession, père de trois enfants (une fille et deux garçons), installé paisiblement à Sousse, s’est vu subitement plonger dans le chaudron de la politique, encore plus à la tête du ministère de l’Intérieur. En deux ans, il aura tout vu, tout enduré. Sa première nomination remonte à septembre 2020 dans le gouvernement Mechichi. Cinq mois plus tard, Mechichi le limogera en janvier 2021, dans un bras de fer engagé avec Carthage. Taoufik Charfeddine ne retournera pas à son cabinet d’avocat. Kaïs Saïed, qui le connaissait de longue date, le gardera à ses côtés. Il le nommera président du Comité supérieur des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, relevant de la présidence de la République. L’éclipse ne durera pas longtemps : il reviendra à la tête du ministère de l’Intérieur en octobre 2021, dans le gouvernement Bouden.
Taoufik Charfeddine est né le 24 novembre 1968 au sein d’une famille originaire de Menzel Mehiri, dans le Kairouanais. Son père, policier, issu de la première génération de l’indépendance, était affecté à Tunis. C’est ainsi que Taoufik passera toute son enfance et sa prime jeunesse à Tunis. Il fréquentera l’école primaire de la rue Sidi Ali-Azzouz dans la médina, puis le lycée Sadiki, avant d’être inscrit au lycée de garçons de Sousse, lorsque son père y sera muté. De ces années, il gardera le souvenir encore vivace d’un père affectueux et attentionné, imprégné de patriotisme et de discipline, soucieux de ranger soigneusement à clé son arme de service en dehors des heures de travail.
L’univers de la police ne lui était pas totalement inconnu, jouant avec ses camarades non loin d’El Gorjani, fréquentant le dispensaire réservé aux sécuritaires et à leurs familles. Il en fera plus ample connaissance lorsqu’à l’issue de ses études à la faculté de Droit de Sousse, il entamera sa carrière d’avocat. Son atterrissage, des années plus tard, à la tête du ministère de l’Intérieur sera doux. «J’ai constaté d’emblée de bonnes dispositions et trouvé de hautes compétences animées d’un esprit patriotique et un sens aigu de la discipline, confie-t-il. Ce professionnalisme auquel j’œuvre sans cesse est salué par nos partenaires étrangers.»
Un moule fondateur
Pour toute armure, Taoufik Charfeddine s’inscrit dans un carré fait d’honneur, de justice, de loyauté et de valeurs. «De son père, il a hérité le sens du devoir patriotique, de l’honneur, confie un ami de longue date. L’équité et la justice ont été les vrais ressorts qui l’avaient poussé à suivre des études en droit puis à embrasser la profession d’avocat. La loyauté, c’est celle qu’il voue pleinement au président Kaïs Saïed. Quant aux valeurs, elles sont faites de droiture, d’intégrité et d’humilité.» Des traits de caractère qui façonnent son personnage.
Charfeddine parle peu, et ne se laisse pas aller à la confidence. Pour la première fois, il a accepté, fin août dernier, de rencontrer des journalistes. «Je ne suis pas ministre de l’Intérieur dans un pays européen ou autres, mais bien en Tunisie, tenu par un contexte spécifique et une réalité incontournable, confie-t-il. Nous avons traversé des années difficiles au cours desquelles le pays a été fortement éprouvé, déconstruit, appauvri, pillé. Des prédateurs l’ont mis à genoux et certains parmi eux se sont enfuis à l’étranger. Le constat est amer : les dégâts sont lourds. Mais j’entrevois de bonnes perspectives. L’avenir s’annonce meilleur, radieux.»
Chef de gouvernement ? Ce n’est pas mon ambition
Quel est son agenda politique ? «Aucun, s’en défend Taoufik Charfeddine. J’entends accomplir au mieux possible la tâche que le Président m’a assignée et m’y limiter. Je n’ai flatté personne et je ne suis pas prêt à le faire. Ce n’est pas ma nature et je n’ai aucune ambition personnelle. Je ne détiens aucun compte sur les réseaux sociaux et n’entretiens de relation avec aucune partie sur Facebook ou autres. Des rumeurs me prêtent des intentions politiques. Elles sont sans le moindre fondement. Il est faux de propager que le ministre de l’Intérieur ambitionne de devenir chef du gouvernement. Je ne crois pas en avoir les aptitudes et je ne m’y intéresse guère, d’autant plus que Madame la cheffe du gouvernement fait preuve de compétence et mérite toutes les considérations.»
Sa loyauté est totale à l’égard du président Kaïs Saïed. «C’est un grand patriote, dit-il. Il est sincère, intègre et dévoué. C’est une chance pour la Tunisie que de le voir à la tête de l’Etat. Une chance que nous devons tous saisir afin de servir à ses côtés à l’accomplissement du grand dessein qu’il forge pour le pays et pour le peuple. Soyez assurés que la vision est claire et que la démarche est précise.»
La primauté de la loi
Le sens de l’honneur est capital pour Taoufik Charfeddine. «La première épreuve commence avec moi-même, m’assurant que je demeure toujours fidèle à mes valeurs, en équilibre avec ma conscience, dit-il. Je ne saurais regarder mes enfants et les miens dans les yeux, si je faillais à mon honneur. Les pressions sont fortes et les sollicitations nombreuses, mais sans le moindre effet. J’ai toujours tenu à privilégier la loi.»
C’est au nom de la primauté de la loi que Taoufik Charfeddine tranche de nombreux dossiers. Les syndicats des forces de sécurité doivent agir dans le cadre de la loi et se limiter à leur vocation syndicale, sans le moindre débordement ou déviation, estime-t-il. Leurs dirigeants ne sauraient se substituer aux chefs de corps ou d’opérations. Les services du ministère de l’Intérieur n’ont pas à procéder à des retenues à la source sur les salaires des agents au profit des syndicats, au titre des adhésions ou des remboursements de crédits. La contrebande et la spéculation ne sauraient être laissées sans traque soutenue. «L’attention que nous portons à ces fléaux est très large, dit-il. Elle nous fait découvrir des circuits inimaginables et des pratiques ahurissantes. Il est de mon devoir, et de mon honneur, de les combattre.»
L’entente est parfaite
Quelle est sa véritable marge de manœuvre ? Le ministre de l’Intérieur ne le dit pas. Mais nul n’ignore que tout se décide avec le président. L’entente est parfaite.
En dehors de ce lien très fort avec le chef de l’Etat et la concertation avec la cheffe du gouvernement et ses collègues, Taoufik Charfeddine se retrouve finalement seul pour affronter les difficultés. «Malgré les épreuves et les souffrances, confie-t-il, je m’attache à persévérer dans la voie de l’intégrité et le respect de la légalité, sans me départir du sens de l’humain. Quelle que soit ma position à l’égard de telle ou telle question, l’humain reste toujours profondément ancré en moi. Chaque fois que je dois prendre une décision, je le fais en mon âme et conscience.»