Tunisie : Face à la sécheresse, soyons pragmatiques et proactifs
Par Ridha Bergaoui - Depuis le début de l’été, les Tunisiens sont préoccupés par les problèmes de la pénurie des produits alimentaires, la hausse des prix et la détérioration de leur pouvoir d’achat.
Toutefois, un danger plus grave nous guette et risque d’aggraver encore une situation économique nationale fragile et chancelante. Il s’agit de la sécheresse que nous sommes en train de vivre déjà depuis quelques années et qui n’est pas prête à se dissiper.
Le changement climatique frappe de plus en plus fort
De nos jours, les scientifiques sont unanimes pour affirmer que la terre passe par une phase critique de réchauffement climatique. L’accumulation des gaz à effet de serre (GES), d’origine anthropique, dans l’atmosphère a entrainé une augmentation sensible de la température de la planète conduisant à un dérèglement climatique grave. Celui-ci se traduit par à une perturbation du cycle de l’eau et une augmentation du rythme d’apparition des phénomènes climatiques extrêmes (sécheresse, canicules, incendies, inondations…).
Pour lutter contre le changement climatique, les pays signataires de l’accord de Paris (COP 21, 2015) avaient décidé de réduire la production des GES afin de limiter, d’ici 2030, le réchauffement à un niveau inférieur à 2°C. Cette décision, ne semble pas suffisante et le réchauffement est plus important que prévu avec des conséquences plus graves comme le montrent les phénomènes climatiques vécu l’été dernier.
Plusieurs parties du monde (Australie, Afrique, Chine, Europe…) connaissent de plus en plus des phénomènes climatiques graves : giga-incendies, inondations records, ouragans et cyclones multiples, sécheresse intense, forte augmentation de la température de l’air, des mers et océans, importante fonte des glaciers et augmentation du niveau de la mer…
Ce dérèglement climatique a des conséquences catastrophiques sur l’homme et tous les écosystèmes vivants. Des pertes humaines et matérielles très importantes, des déplacements des populations et de l’émigration, des sans-abris, des famines et sous alimentations…
Le bassin méditerranéen est particulièrement exposé au changement climatique. Des records de température et de canicule ont été enregistrés cet été dans de nombreux pays. La pluie se fait rare et la sécheresse devient alarmante.
L’eau douce, une denrée rare
L’eau douce provient de l’évaporation de l’eau de mer et l’évapotranspiration des plantes, sous l’effet de la chaleur du soleil. La condensation de cette vapeur d’eau va entrainer la formation des nuages pour se transformer en se refroidissant en précipitations (pluies, grêle et neige).
L’eau douce est essentielle pour la vie (comme eau de boisson, l’agriculture et élevage), pour l’industrie, le tourisme, loisirs et autres usages divers. La quantité d’eau douce disponible sur terre est limitée. Elle ne représente que 2,5% de la totalité de l’eau sur terre dont 1% seulement est sous forme liquide disponible pour les diverses utilisations. Sur terre, l’eau douce est une denrée limitée et rare ce qui explique l’existence, depuis les temps les plus anciens, des conflits entre les populations et les pays pour s’accaparer cette ressource vitale.
Le réchauffement climatique et l’augmentation de la température de l’air et des mers/océans devait conduire à une augmentation de l’évaporation et la fréquence des orages et des risques des inondations.
En Tunisie, les années de sécheresse se suivent
Après un été chaud, la canicule et la vague des incendies, nous sommes en train de vivre un automne sec et chaud. La saison des semences a commencé mais les pluies tardent à venir ce qui commence à inquiéter nos agriculteurs et laisse présager une autre année de sécheresse.
La situation des barrages est difficile. Au 19 octobre, nos barrages affichent un taux de remplissage moyen de 31,1% (avec 36 et 14 % respectivement pour les barrages du Nord et ceux du Centre et du Cap-Bon). Les réserves sont encore plus faibles que d’habitude (722 millions de m3 seulement contre une moyenne des 3 dernières années de 922 qui étaient également peu pluvieuses) soit un déficit de – 270 millions de m3. Alors que la moyenne nationale de la pluviométrie allant du 1er septembre au 19/10 est de 38,2 mm (sur une moyenne annuelle de 233 mm), la Tunisie n’a reçu jusqu’ici que 17,9 dont moins de 2 mm au mois d’octobre (Onagri). L’Institut national de météorologie ne prévoit aucune précipitation dans les deux semaines qui suivent. L’automne sera cette année probablement beaucoup plus sec que d’habitude.
En Tunisie, l’agriculture est essentiellement pluviale. Sur cinq millions d’hectares cultivables, 400 ha seulement sont aménagés et équipés pour être irrigués. La productivité du secteur agricole est intimement liée à la pluviométrie reçue. Par ailleurs l’automne correspond à la saison de la préparation du sol et le semis. Un retard ou un manque de pluie durant cette période conduit inévitablement à un refus des agriculteurs de semer leurs parcelles et une baisse importante et conséquente des superficies emblavées.
Face à la sécheresse
La Tunisie est un pays essentiellement aride dans une situation de pauvreté hydrique. La disponibilité en eau douce n’est que de 400 m3/habitant/an. Avec l’augmentation des périodes de sécheresse et la croissance démographique, ce disponible ne cesse de se réduire. Notre pays a toujours connu de nombreuses années de sécheresse. On compte d’une façon générale, sur un cycle de 3 ans, une année excédentaire, une année moyenne et une année déficitaire. La fréquence des épisodes sèches semble augmenter et se succéder.
Après relativement une bonne année 2018-2019, la Tunisie a connu trois dernières années plus ou moins sèches. L’année agricole qui démarre risque de connaitre des perturbations pluviométriques importantes et le déficit pluviométrique qui s’accentue risque de causer de nombreux préjudices. La situation pluviométrique critique ne semble pas inquiéter ni nos officiels politiciens qui sont préoccupés par les prochaines élections législatives et sa légitimité ni nos décideurs qui sont occupés à gérer le quotidien.
Il est grand temps de réagir et de prendre les mesures nécessaires avant la catastrophe. Il est vrai que le ministère de l’Agriculture, des Ressources Hydrauliques et de la Pêche (MARHP) a initié dès le mois de septembre un programme d’irrigation des oliviers et amandiers dans les trois gouvernorats du Sud fortement impactés par la sécheresse. Toutefois, vu l’évolution de la situation et probablement de l’aggravation de l’état de sécheresse, il est indispensable de passer à la vitesse supérieure et de prendre des mesures plus radicales.
Soyons pragmatiques et proactifs
Les commissions nationales et régionales du suivi des catastrophes doivent siéger pour examiner l’évolution de la situation et prendre les mesures nécessaires. Un programme de soutien aux agriculteurs et éleveurs doit être mis en place sans plus tarder. Ce programme doit viser la sauvegarde du cheptel, arbres et arbustes (oliviers, palmiers, amandiers et autres arbres fruitiers), une meilleure gestion des périmètres irrigués et des ressources hydriques, une aide aux agriculteurs…
La Tunisie dispose normalement d’une stratégie de l’eau à long terme (eau 2050) avec un plan d’actions qui vise le développement et la gestion durable du secteur de l’eau. Ce plan doit être actualisé dans les meilleurs délais et adopté par le Gouvernement.
Le nouveau Code des eaux, qui a fait l’objet de longues discussions au sein de la commission de l’agriculture de l’ancien parlement, doit également être révisé et publié. Ce code vise une meilleure gestion de cette ressource nationale et une amélioration du service pour le citoyen aussi bien en milieu urbain que rural.
Certains commencent à appeler à la prière de la pluie «صلاة الاستسقاء ». Prier pour qu’il pleuve est une très vieille tradition qui existe dans les trois religions monothéistes (musulmane, chrétienne et juive). Selon le degré de sa foi, on peut croire ou douter de l’efficacité d’une telle démarche. Toutefois l’appel à la prière de la pluie aura au moins comme effet de sensibiliser les citoyens au problème de la sécheresse et les amener à faire un effort pour éviter le gaspillage de l’eau.
Chaque goutte d’eau compte
A moyen et long terme, il est nécessaire d’améliorer le bilan eau en augmentant les ressources et en rationnalisant les usages.
L’utilisation des eaux non conventionnelles (désalinisation de l’eau de mer et saumâtres, traitement eaux usées), l’exploitation des eaux souterraines du Continentale Intercalaire et du Complexe Terminal dans le Sud du pays, la rétention des eaux de ruissellement (par amélioration de la qualité des sols, l’augmentation du taux des matières organiques des sols…), le reboisement des bassins versants, l’aménagement de la petite hydraulique (terrasses, courbes de niveau…) permettent d’augmenter nos disponibilités hydriques.
L’éducation de tous les utilisateurs (agriculteurs, industriels, hôteliers et citoyens) à la lutte contre le gaspillage, la réparation et la rénovation des canalisations et infrastructures d’irrigation et de l’eau potable permettent de limiter le gaspillage de cette ressource précieuse. Imposer et encourager les citoyens à construire des Mejels et des réserves pour la récupération des eaux de pluie est indispensable surtout que la législation l’impose autant pour les individus que les collectivités et les administrations.
La reconversion des périmètres irrigués, l’utilisation systèmes économes d’eau, la révision de la carte agricole, le choix de cultures peu gourmandes en eau et sélection de variétés adaptés à la sécheresse sont autant d’actions importantes sachant que l’agriculture utilise la plus grande partie (80%) de nos ressources hydriques.
Enfin, des techniques modernes existent et qu’il est possible d’envisager comme la pluie artificielle qui a été expérimentée dans de nombreux pays (Etats-Unis, Chine, Emirat et récemment à Dubaï) et s’est révélée intéressante. Le recouvrement des plans d’eau par des billes en plastique et même des panneaux photovoltaïques peut se révéler efficace et rentable. Le dessalement solaire de l’eau de mer existe déjà et représenterait une solution idéale sachant que la Tunisie dispose en abondance de ces deux ressources (soleil et de la mer). Enfin une technique qui commence à se développer c’est l’utilisation de polymères biodégradables super-absorbants. Ces polymères placés près des racines des plantes permettent d’absorber de fortes quantités d’eau en période d’irrigation ou de pluie et de la restituer progressivement et longtemps à la plante.
Dans un contexte de crise mondiale, la sécheresse est un phénomène encore plus préoccupant
Dans un contexte international de crises, de difficultés socio-économiques nationales graves, la sécheresse qui s’annonce aurait des répercussions très sérieuses sur une le milieu rural, la production agricole, la population et l’économie du pays d’une façon générale. La population, déjà fortement touchée par la détérioration de son pouvoir d’achat et de son bienêtre, risque de pâtir encore plus. Le manque d’eau va peser lourd sur nos réserves en eau dans les barrages et les nappes phréatiques. Une incidence néfaste sur la production agricole et des difficultés d’approvisionnement en eau potable sont envisageables.
Le changement climatique étant un problème mondial, de nombreux pays grands producteurs et exportateurs de denrées alimentaires sont touchés par la sécheresse. Ceci risque d’entrainer une hausse importante des prix des produits alimentaires et rend plus difficile l’importation des produits stratégiques.
Ridha Bergaoui