Cop 27: La Tunisie face au changement climatique
Les Tunisiens en ont eu un avant-goût l’été dernier : épisodes caniculaires successifs, sécheresse, tempêtes pluvieuses dès le mois de juillet… L’effet de serre se fait ressentir, ainsi que les conséquences du réchauffement climatique. Une bombe à retardement.
Si l’enjeu est planétaire, la Tunisie ne saurait se soustraire à cet effort commun salutaire. Vis-à-vis du pays lui-même et de ses habitants, comme vis-à-vis de la communauté internationale, elle doit retrouver son rôle d’avant-garde pour faire face au changement climatique.
L’instabilité politique, le relâchement général et les abus en tous genres restés dans l’impunité ont lourdement impacté l’environnement, entravé la mise en œuvre de nombreux programmes et causé de graves dégâts. La tenue à Charm el Cheikh (Egypte), du 6 au 18 novembre 2022, de la 27e conférence annuelle de l’ONU sur les changements climatiques (COP 27) sera un rendez-vous important pour mesurer le niveau d’engagement des États parties à la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique quant à la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre et de leur détermination à accélérer partout une transition environnementale.
Les rapports scientifiques sont de plus en plus alarmants. «Le réchauffement de la planète, qui atteindrait 1,5°C à court terme, entraînerait une augmentation inévitable de plusieurs dangers climatiques», précise le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) dans son dernier rapport. «Environ 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des contextes qui sont très vulnérables au changement climatique», indique-t-il, soulignant les multiples vulnérabilités.
Des ambitions réalisables ?
Bien que limitées par rapport aux autres pays, les émissions de gaz à effet de serre s’élèvent en Tunisie à 35 millions de tonnes équivalent CO2, selon un rapport récent du ministère de l’Environnement. Elles proviennent essentiellement de l’énergie (60%), de l’agriculture (22%), de l’industrie (11%) et des déchets (6%). L’ambition est de réduire l’intensité carbone de 45% à l’horizon 2030 par rapport à son niveau de 2010. Aussi, la Tunisie se fixe-t-elle comme objectif d’assurer une transition énergétique du fossile au renouvelable dans la production d’électricité à un taux de 30% d’ici à 2030. La ministre de l’Environnement, Leila Chikhaoui Mahdoui, annonce une neutralité carbone à l’horizon 2050.
Les plus en pointe dans la réduction de l’intensité carbone sont les industries exportatrices. L’accès au marché européen, en particulier, leur impose en effet de se prévaloir d’un passeport environnemental traçant l’ensemble de leur processus. Cette nouvelle barrière s’impose en impératif de transition. Les autres industries peinent à s’y soumettre.
Où trouver 22 milliards de dollars ?
Tout un plan de transition écologique est élaboré par les pouvoirs publics. Il s’inscrit dans le cadre d’une Stratégie de développement neutre en carbone et résilient aux changements climatiques (SNBC-RCC) à l’horizon 2050 (qui sera présentée lors de la COP 27). «Les besoins en financement pour la période 2021-2050 pourraient s’élever à plus de 22 milliards USD» mentionne le document. Le détail est précis : «En tenant compte des simulations globales des besoins en adaptation développées par l’Unep, les besoins en financement de la Tunisie pour répondre au niveau élevé des risques climatiques attendus pourrait s’élever à plus de 408 millions USD dès 2022 (soit près de 2 % du budget national) pour atteindre le coût annuel de 475 millions USD à l’horizon 2030 et 1.179 millions USD à l’horizon 2050.» Où les trouver ? A quelles conditions ? La communauté internationale, les pays donateurs en premier lieu, est-elle prête à mettre la main à la poche pour y contribuer ? Difficile d’y croire.
Vers une haute instance de la transition écologique
Pourtant, les chantiers sont aussi nombreux qu’urgents. De la reconversion industrielle à la transition énergétique, mais aussi l’agriculture, la santé, le bâtiment, le tourisme ou le transport, toutes les filières sont concernées. L’interaction n’a jamais été aussi effective. Comment réduire la demande énergétique et comment solliciter moins la nature ? Toute une série d’interactions sont alors à construire pour opérer des transformations profondes plutôt que de subir ce qui risque de tout emporter. Une haute instance de la transition écologique serait créée, croit savoir Leaders de bonne source. Est-ce suffisant ?
Si les plus avertis, en Tunisie comme dans le monde, estiment qu’il y a urgence à agir, une léthargie générale semble s’installer. La prise de conscience écologique développée surtout dans les années 1990 semble s’évaporer. Faute de renforcement continu, d’éducation renouvelée et de campagnes massives, les Tunisiens sont encore loin de la mobilisation nécessaire. Il faut reconnaître que les pouvoirs publics n’y aident pas suffisamment. Face à la hausse faramineuse du prix de l’énergie, aucune campagne d’incitation à l’économie d’énergie avec des conseils pratiques et des recommandations utiles n’est jusque-là menée. Pour l’eau, cela s’était limité, il y a un an, à de simples panneaux d’affichage, sans mesures concrètes…
Sobriété, imprégnation et vigilance
Loin des effets d’annonce, c’est tout le comportement individuel et collectif qui est à changer. Rien que pour réduire la demande énergétique, les experts du Giec ont préconisé une série de modifications structurelles. «Cette plus grande sobriété passerait à la fois par l’alimentation (régime alimentaire moins carné), le logement (isolation des bâtiments), le travail (télétravail), les transports (véhicules électriques, mobilités douces), etc. Parmi les autres pistes, le rapport souligne également l’importance de limiter tout type de gaspillage (en particulier le gaspillage alimentaire).»
Ce ne sont là que des gestes à forte valeur symbolique, mais c’est tout notre rapport à l’environnement qui est à changer. Toute une vision nouvelle est à concevoir en étroite collaboration entre pouvoirs publics, collectivités locales, société civile et médias. Cela passe par une nouvelle formation générale à la transition écologique, à commencer par les agents de l’Etat. En France, la climatologue Valérie Masson Delmotte avait été invitée par le président Macron à expliquer en conseil des ministres, le 31 août dernier, les enjeux de la lutte contre le changement climatique, en prélude au lancement d’un vaste programme de formation. D’ici à 2024, pas moins de 25 000 cadres supérieurs de la fonction publique devraient le suivre, avec un cursus de 28 heures, dont des visites à des sites pilotes.
Cet effort à mener au niveau de la fonction publique et des élus, mais aussi des autres parties prenantes, appuyé par une communication soutenue, sera utile pour la mise en œuvre de la Stratégie de développement neutre en carbone et résilient aux changements climatiques (SNBC-RCC).
L’urgence climatique s’impose. Il faut agir illico presto! Il ne suffit pas d’avoir une économie sobre en carbone, mais de solliciter moins la nature, de vivre autrement.