"La personnalité tunisienne" par Moncef Ouannès
Voilà l'ouvrage qu'on attendait pour sortir la scène culturelle tunisienne de sa léthargie. A partir d'une enquête sociologique, l'auteur, Moncef Ouannès, professeur universitaire et chercheur, s'appuyant sur les résultats d'une enquête sociologique, émet un certain nombre d'observations sur la personnalité de base tunisienne qui vont faire certainement grincer des dents, tant elles sonnent juste et mettent à nu nos travers et nos qualités. L'auteur rappelle d'emblée les spécificités géographiques de la Tunisie, un pays de plaines où les reliefs sont peu importants, aux rivages accueillants d'où sa vocation de terre d'immigration où le brassage des races s'est fait très tôt avec la succession de peuplades aussi divers que les Carthaginois, les Romains, les Arabes, les Turcs et les Français qui s'y sont installés et à l'exception de ces derniers, fait souche.
Ce qui frappe, c'est la rapidité avec laquelle la Tunisie a (bien) assimilé ces civilisations comparée à nos voisins. Ce qui a conféré à notre personnalité de base une plus grande ouverture sur l'Autre, une plus grande aptitude à relativiser les choses, et pour tout dire, une plus grande capacité d'adaptation, sans pour autant y perdre notre substrat. C'est ce qui explique la propension desTunisiens au dialogue plutôt qu'à la confrontation et une plus réceptivité aux courants réformistes du XIXème siècle dont ils ont été les initiateurs dans le monde arabe avec les Syro-libanais et les Egyptiens dont l'Histoire présente d'ailleurs bien des similitudes avec la nôtre. Et ce n'est donc pas un hasard, si la première constitution dans le monde musulman a vu le jour en Tunisie, en 1861 et si l'esclavage y a été aboli sous Ahmed Bey 1er, en 1846, précédant des pays comme la France et les Etats Unis.
L'Histoire et la géographie ont donc modelé la personnalité de base tunisienne. Pour le meilleur et pour le pire. Car, à côté de ces qualités incontestables, le Tunisien a hérité de ces civilisations, des défauts tout aussi évidents. Moncef Ouannès s'y attarde, avec une certaine délectation et tout le monde en prend pour son grade, n'épargnant ni le riche, ni le pauvre ; ni le citadin, ni le campagnard ; ni l'intellectuel ni l'analphabète, car ces défauts ont la particularité d'être la chose la mieux partagée dans notre pays. Proverbes populaires et textes de référence à l'appui, convoquant Durkheim, Hichem Djaït, Jean Despoix, Hédi Timoumi, Mohamed Abdou, Ahmed Ibnou Abi Dhiaf, Gurvitch, Charles-André Julien, il passe au crible tous ces petits travers qu'on se reproche souvent : violence physique et verbale, individualisme, incivisme, esprit retors, recherche du gain facile, nervosité, hypocrisie, paresse, roublardise, tricherie et cette tendance à tout remettre au lendemain.
Autoflagellation ? Plûtot, une invitation à un travail d'introspection qui ne peut qu'être salutaire pour nous. Le travail de Moncef Ouannès nous y incite avec beaucoup de talent et une érudition qui forcent le respect. En tout cas, on aurait tort de lui en vouloir de nous avoir dessillé les yeux.
Lisez le livre. Vous y prendrez plaisir. Plus, vous vous y reconnaîtrez certainement
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Editions Mediterraneen Publishers Tunis 14 dinars 2010