Mohamed Rekik: Protéger et valoriser le patrimoine de l’Etat
Juriste, enseignant universitaire et avocat, Mohamed Rekik, 45 ans, s’est retrouvé à la tête d’un ministère délicat, dans un contexte tout aussi délicat. Récupérer les domaines de l’Etat usurpés, contrôler le mode de gestion des exploitations concédées, recenser le patrimoine public, et digitaliser les prestations de la Propriété foncière : les priorités sont pressantes.
Sa formation de juriste, avec notamment un mastère en droit foncier, a été utile au ministre Rekik. En un an, il a réussi à redonner confiance aux équipes, en les responsabilisant et en les incitant aux résultats. De grands chantiers lancés sont accélérés : élaboration du code des biens de l’Etat, recensement et évaluation du patrimoine de l’Etat, révision des conditions de location à long terme des terres agricoles au profit des grands projets nationaux, et renforcement de la direction générale du Contentieux de l’Etat… Il s’y investit pleinement.
Interview.
Vous avez dû affronter des difficultés en prenant vos fonctions ?
Il s’agit plutôt de défis dictés par la conjoncture économique et sanitaire obligeant le secteur des biens de l’État à être à jour par rapport aux priorités du développement économique et social tant sur le plan central que sur le plan régional. Par conséquent, il est impératif d’accélérer la cadence de réalisation des projets publics et de propulser l’investissement privé.
C’est à ce niveau que réside une difficulté de taille qui est la nécessité d’être immédiatement dans l’action et faire preuve d’agilité pour s’attaquer aux dossiers, ce qui n’est pas toujours évident, surtout que la gestion des affaires du ministère impose une opération d’évaluation, d’analyse et de réorganisation pour ordonner les priorités et œuvrer au rétablissement de la confiance en l’action de l’Etat. Tout le défi résidait dans cette concomitance entre ces deux impératifs.
Bien évidemment, mon profil universitaire spécialiste en droit foncier m’a facilité en partie la tâche dans la mesure où j’avais d’ores et déjà une bonne connaissance des sujets prioritaires et des enjeux en matière foncière, ce qui a permis d’écourter la période d’acclimatation.
Vous avez pu atteindre de premiers objectifs ?
Nous nous y employons. Un accent a été mis sur la valorisation du rôle des terres domaniales en termes d’attraction des investissements et de réalisation du développement social et économique global. Cela s’est traduit au niveau du plan de relance de l’économie qui regroupe une batterie de mesures pour redynamiser l’économie nationale, dont 7 relèvent du ministère des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières.
Il s’agit en l’occurrence de dispositions législatives en vue de l’introduction de nouveaux modes de gestion des domaines privés de l’Etat et à l’aune de l’évolution qu’a connue le cadre réglementaire régissant l’investissement. La promulgation en mai 2022 du décret présidentiel fixant les conditions et procédures de la vente au dinar symbolique au profit de l’Agence foncière industrielle du domaine privé immobilier de l’Etat s’inscrit dans le droit fil de cette pensée.
Les équipes du ministère travaillent d’arrache-pied également pour la finalisation du projet du code des biens de l’Etat, qui se veut un texte regroupant les principes régissant aussi bien la gestion, la valorisation et la protection des biens de l’Etat en toute transparence, d’une part, et ouvre la voie, d’autre part, pour l’adoption de nouveaux modes d’exploitation à l’instar des concessions et des partenariats public-privé.
Nous avons également finalisé deux projets sur lesquels nous nous sommes engagés. Le premier est relatif à l’amendement de la loi 2016-53 relative à l’expropriation pour utilité publique afin de pallier les insuffisances du cadre législatif en la matière et donner un nouvel élan aux projets publics en cours à travers l’apurement des situations foncières en suspens. Le deuxième projet, déjà soumis à la présidence du gouvernement, concerne les conditions de location à long terme des terres domaniales agricoles au profit des grands projets nationaux.
Qu’en est-il de la digitalisation des prestations en faveurde l’usager ?
C’est la deuxième action menée avec succès. Il s’agit à la fois de la simplification des procédures et de leur dématérialisation. C’est dans cette lignée que l’Office national de la propriété foncière (Onpf) est aujourd’hui résolument engagé dans la digitalisation de ses métiers et de ses prestations. Depuis mars 2022, il déploie progressivement un espace de services en ligne aisément accessibles et sécurisés à la disposition de l’ensemble des usagers, qu’ils soient particuliers ou professionnels. Sept services sont opérationnels. Ils portent, entre autres, sur le certificat de propriété, le certificat de copropriété, le certificat de non-propriété, le certificat des références d’enregistrement d’un contrat, les exemplaires des plans fonciers et le certificat d’enregistrement.
Et en matière de contrôle des concessions ?
Troisièmement, veiller à la bonne gestion et la valorisation des terres domaniales reste au cœur de notre action. C’est pour cette raison que nous avons mené une campagne de contrôle des modes de gestion par les exploitants et le degré du respect de leurs engagements contractuels. Les actions nécessaires ont été engagées suite aux manquements constatés. Il est très important de restaurer l’image de l’Etat dont l’action est généreuse envers ceux qui désirent faire bon usage de ces biens dans des projets de développement local, mais ferme envers ceux qui manquent de sérieux.
Quels sont les défis majeurs que vous comptez relever ?
J’en citerai deux. Le premier est le programme de recensement et d’évaluation du patrimoine de l’Etat. C’est un grand défi pour le ministère des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières et dont les délais de mise en œuvre dépasseront clairement la durée de mon mandat. Toutefois, le défi serait de finaliser avant mon départ une feuille de route claire et échelonnée. Inventorier le patrimoine immobilier de l’Etat permettrait de renforcer les principes de la transparence et de la redevabilité dans la gestion des deniers publics et de présenter une réponse sans équivoque sur la nature et l’étendue de ce patrimoine.
Le second défi serait de redorer le blason de la Direction générale du contentieux de l’Etat. Un département chargé de la lourde et noble mission de défendre les intérêts et les droits de l’Etat tunisien aussi bien au niveau national qu’international. Une mission qui n’a cessé d’évoluer au fil du temps, et les routines organisationnelles ainsi que les procédures doivent évoluer pour être en phase avec les pratiques sur le plan international. Nous avons d’ores et déjà commencé par quelques actions de formation dans des disciplines indispensables, à l’instar de l’arbitrage international. Revoir le statut de cette institution fait également partie de nos préoccupations.