Yadh Ben Achour : Croire que le projet démocratique est un échec définitif, c’est faire preuve d’une myopie
Le projet démocratique « a pris racine dans nos pays (…). Il « poursuit sa voie contre l’enfermement politique, la corruption, la confessionnalisation de l’État et l’autoritarisme… Croire que le projet démocratique est un échec définitif, c’est faire preuve d’une myopie à la fois historique et philosophique. » C’est ce qu’affirme Yadh Ben Achour dans une interview accordée à Philosophie Magazine à la veille de la conférence qu’il devait donner vendredi 4 novembre 2022 à l’Institut du Monde arabe (IMA – Paris).
Le projet démocratique, ajoute-t-il, « ne peut s’exécuter dans l’instantané. Sa réalisation sur le plan des idées et de l’expérience exige de longues et périlleuses traversées à travers le temps, avec des accidents, des périodes d’arrêt ou même de régression, des rebondissements imprévisibles etc. ». « L’explication, est que les révolutions arabes manquent d’épaisseur intellectuelle et philosophique. Leur contexte est essentiellement factuel, réactif. Elles se sont en quelque sorte réalisées « en marchant ».
Interrogé par Batiste Morisson sur les raisons de l’inaboutissement du projet démocratique dans de nombreux pays, arabes, Yadh Ben Achour soulignera que « le régime démocratique a besoin d’une société et d’une culture démocratiques pour pouvoir fonctionner. Une société démocratique est une société dans laquelle la famille, les cellules professionnelles, les associations, les entreprises, les partis politiques fonctionnent conformément à l’esprit démocratique. Chez nous les cellules de base, notamment les familles, constituent des modèles patriarcaux plutôt que démocratiques. Par ailleurs, une démocratie achevée ne peut fonctionner dans un pays dont la population atteint des taux de vulnérabilité supérieurs à 20%. Dans ce cas, le besoin efface la liberté. »
Pour Yadh Ben Achour, « l’expérience démocratique vécue après les révolutions arabes n’a pas encore de racines historiques. C’est une expérience nouvelle qui se développe dans l’instabilité, l’absence de cohésion et de discipline. Cette démocratie naissante n’a pas encore capitalisé les moyens et les ressources nécessaires à sa propre défense. C’est ce qui se passe actuellement sous nos yeux en Tunisie. »