Mondial FIFA 2022 à Doha - Politique, business et sport: émergence du Golfe, effacement de l’Europe?
Par Samy Ghorbal - Photo Elyès Zribi, pour Leaders - La géographie des grandes compétitions sportives épouse les contours de cette tectonique des relations internationales qui s’opère principalement au détriment de l’Europe. En Formule 1, la France et l’Allemagne ont perdu, faute de moyens, l’organisation de leurs grands prix nationaux. À l’inverse, en 2023, le grand prix de Lusail, au Qatar, viendra s’ajouter à ceux de Sakhir (Bahreïn, ouverture de la saison), de Djeddah (Arabie Saoudite) et de Yas (EAU, épilogue de la saison). Le Qatar, toujours lui, a organisé les mondiaux de handball en 2015 et d’athlétisme en 2019. Le tennis (tournois de Doha et de Dubaï), le cyclisme (Tour du Qatar, équipe professionnelles team UAE, double vainqueur du Tour de France avec Tadej Pogaçar) et le hippisme (Prix Qatar Arc-de-Triomphe, à Paris) n’échappent pas à ce mouvement. En football, les cinq dernières éditions de la Coupe du monde des clubs de la Fifa se sont tenues dans le Golfe, et l’Arabie Saoudite vient officiellement de déposer sa candidature pour le Mondial 2030, qu’elle souhaite coorganiser avec l’Égypte et la Grèce.
Dans ce paysage extravagant du sport-business, où l’unité de compte est le milliard de dollars, le Qatar se distingue néanmoins par son activisme et son audace. Il a dépassé tous ses voisins. Création de l’académie Aspire, à Doha, rachat du PSG, acquisition et exploitation– via beIN Sports – des droits de retransmission sportifs, sponsoring, et, pour finir, le graal ultime, l’organisation de la Coupe du monde : contrairement à ce que l’on entend parfois, ces investissements sont tout sauf un caprice d’émir dispendieux. Le marché mondial du sport pèse près de 500 milliards de dollars et devrait encore croître de 40% d’ici à 2026, souligne l’Observatoire du sport business. Le Qatar en est devenu un acteur incontournable. Instrument d’une nouvelle notoriété internationale pour l’émirat, le sport est aussi un vecteur de diversification pour son économie, où le secteur tertiaire, non lié aux hydrocarbures, représente désormais près de 45% du PIB. «Le Qatar s’est positionné avec une vraie stratégie globale, d’intégration du bas en haut de l’industrie sportive, clubs, télévision sportive, équipementier (Burda), compétitions mondiales, académies», notait le diplomate français Jérôme Champagne, ancien directeur des relations internationales de la Fifa.
L’obtention, par le Qatar, de la Coupe du monde de football 2022 s’inscrit également dans un contexte de vives rivalités régionales. Ancien protectorat britannique, le Qatar a accédé à l’indépendance en 1971, sur fond de litiges frontaliers avec l’Arabie Saoudite. A plusieurs reprises, Doha a craint de faire les frais de l’expansionnisme de Riyad, et le dernier épisode en date, celui du blocus de juin 2017, n’a pas peu ravivé les craintes d’un affrontement militaire. Au-delà du Nation-branding, la politique de visibilité tous azimuts du Qatar, qui ulcère ses puissants voisins, est plus prosaïquement une police d’assurance, le moyen imparable de se prémunir contre tous risques d’invasion ou d’intimidation…
Samy Ghorbal
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