Une COP et après: Agir non seulement sur les conséquences mais aussi sur les causes profondes du changement climatique
Par Pr Samir Allal. Université de Versailles/Paris-Saclay
1- Une solidarité «Nord/Sud» ou une tentative d’arracher un deal pour des transferts financiers : la diplomatie est l’art de masquer les conflits qui ne trouveront jamais de solution
Le dérèglement climatique et les phénomènes de dégradation de l'environnement et de destruction du vivant qui l'accompagnent sont le fait majeur de notre époque. Ils affectent radicalement le patrimoine naturel, qui est la condition primordiale de la subsistance du genre humain, constituent une menace immédiate pour les formes de vie et les rapports sociaux hérités de deux siècles de progrès sociaux, scientifiques et techniques.
De COP en COP, un régime climatique international se construit lentement dans le cadre des Nations unies, mais il n'empêche pas les émissions de gaz à effet de serre de continuer à augmenter, inexorablement, année après année. Face aux partisans du capitalisme vert, qui nous promettent que nous pourrons continuer à jouir sans entraves, grâce aux technologies et au marché, les «COP» semblent désarmées.
La révision des cibles climatiques, qui est essentielle pour éviter le naufrage annoncé du climat, ne sera toutefois pas suffisante pour éviter un accroissement des impacts de la crise, particulièrement pour les régions du monde qui en subissent déjà les contrecoups: sécheresses, tornades, montée du niveau des eaux, déclin de la biodiversité, inondations, etc.
Le dossier du financement climatique, pèse sur toutes les négociations des dernières années. Il n’est toujours pas complètement réglé. Espérant que lors de cette COP 27, les pays les plus pauvres, obtiennent gain de cause sur le financement spécifique aux «pertes et préjudices» qu’ils subissent déjà en raison du réchauffement, alors qu’ils ne sont pas responsables de celui-ci. Personne n’a intérêt à ce que la COP27 se solde par un fiasco. Un compromis, insatisfaisant, et au premier chef pour les pays en développement, devra être trouvé. La diplomatie est aussi l’art de masquer les conflits qui ne trouveront jamais de solution.
Ces questions à plusieurs milliards de dollars devraient se poser avec encore plus d’insistance dans les prochaines années. Il est temps de prendre le mal à la racine; s'attaquer frontalement aux inégalités et à l'hyper-concentration des richesses, qui sont le moteur de la hausse continue des émissions de gaz à effet de serre et de la perte de biodiversité.
2- La transition une question de justice et un combat acharné contre «les oligarchies climatiques» en traçant une voie à la fois désirable et praticable
Pour mettre fin à l'insécurité de l'existence et réparer la planète, il faut: faire de la justice climatique une authentique lutte sociale fédérant les «nouveaux damnés de la terre», dénoncer les mythologies néolibérales de la «croissance verte» et du «découplage», soustraire la définition de nos modes de production et de consommation aux forces du marché pour les soumettre à la délibération démocratique et développer massivement les services collectifs essentiels.
Bref, faire que la croissance et le développement ne soient plus le privilège de quelques-uns, mais la réalité de tous. En traçant une voie à la fois désirable et praticable sans escamoter les difficultés de la transition.
Si depuis un demi-siècle, et malgré les avertissements des scientifiques, les enquêtes des journalistes et les mobilisations civiques, nous n'avons toujours pas pris le cap d'une transition résolue vers un monde sans carbone, c'est parce que ce choix suppose, comme une condition sine qua non, un combat acharné contre les inégalités et les hiérarchies, entre les nations et en leur sein.
Un combat qui, très logiquement, se heurte aux résistances de tous ceux qui profitent de l'ordre actuel, et feront tout pour que rien ne change. Pour la quasi-totalité de la population mondiale, un monde neutre en carbone serait un monde meilleur que celui d'aujourd'hui. Seule une «oligarchie climatique», dont le mode de vie est largement responsable du désastre actuel, et qui a le privilège de ne pas être exposée à ses conséquences, a intérêt au statu quo.
Même dans les pays riches, une très large majorité de la population gagnerait à voir advenir un monde sans carbone, c'est-à-dire un monde où chacun aurait accès à des jouissances dont beaucoup sont encore privés: un environnement naturel de qualité, un logement bien isolé, des transports publics efficaces, un air pur, une alimentation saine... Une vie, en somme qui met chacun à l'abri de l'insécurité d'existence et qui offre à toutes et tous la possibilité réelle de développer leurs facultés et leur sensibilité.
Mais l'oligarchie climatique est puissante. Son pouvoir lui a longtemps permis d'acheter des gouvernements, des médias et même des experts. Elle joue sans vergogne de toutes les peurs pour freiner les changements. Peur des pays pauvres de ne pas pouvoir se développer librement. Peur des travailleurs des pays les plus industrialisés de perdre leur emploi. Peur des classes moyennes de devoir renoncer à un bien-être matériel acquis de haute lutte. Elle active tous les doutes et toutes les divisions. Et elle ne concède de faibles limitations à sa puissance que lorsqu‘elle se convainc qu’il faut que quelque chose change pour que tout reste comme avant.
Comment convaincre que nos souffrances ne sont pas une fatalité mais qu'elles trouvent leur source dans un mode de développement et un régime institutionnel particuliers? Comment persuader des groupes sociaux disparates qu'un autre monde est possible et que, en conjuguant leurs efforts, ils y vivront mieux qu’aujourd’hui? Comment inscrire les luttes ponctuelles qui se multiplient dans un horizon partagé pour en multiplier la force?
Il s'agit d'établir que le mal que les humains s'infligent les uns aux autres et celui qu'ils infligent à la nature ne sont pas deux combats entre lesquels nous devrions choisir, mais l'avers et le revers d'une même pièce. De démontrer que le mode de production capitaliste ignore les limites physiologiques humaines et celles de notre environnement terrestre. De convaincre qu'un autre style de vie est possible, et qu'il est désirable pour la quasi-totalité du genre humain.
Il s'agit d'identifier les forces qui font obstacle à la transition vers cette autre façon de vivre et les moyens de les contrer. De raviver l'instinct de solidarité et de coopération qui vit au tréfonds de l'âme humaine, de nourrir nos désirs d'autonomie, et d'entretenir la flamme. Jusqu'à ce que le monde ait basculé vers une économie sobre en carbone.
3- Mettre fin à l’insécurité et l'accroissement continu des inégalités pour atteindre la neutralité carbone
a) La critique
Nous savons à quels périls l'humanité est confrontée en raison du dérèglement climatique et de la destruction du vivant. Mais nous savons aussi, avec précision, ce que nous devons faire pour les éviter. Sortir des énergies fossiles, mettre fin à la déforestation, aux pollutions et au saccage du vivant, voilà l'enjeu, simple et clair. Il implique de revoir en profondeur notre manière d'habiter la Terre, de nous nourrir, de nous déplacer et de nous divertir.
Cet impératif ne devrait pas nous effrayer. Nous savons exactement comment construire des villes durables, transformer l'agriculture et l'industrie, réduire et modifier nos déplacements... Les technologies nécessaires sont toutes connues, le coût des investissements indispensables est chiffré et les moyens financiers disponibles.
Alors pourquoi la grande transformation ne s'accomplit-elle pas? Tout simplement parce qu'elle est impensable et impossible «toutes choses étant égales par ailleurs». Le mode de développement et le style de vie contemporains sont inséparables des rapports de domination et des inégalités qui structurent le monde dans sa globalité, et nos sociétés prospères en particulier.
Les plus démunis, dans les pays pauvres mais aussi dans les pays riches, subissent une triple peine: ils sont moins responsables du dérèglement climatique, mais pâtissent infiniment plus de ses conséquences et bénéficient infiniment moins des avantages d'un environnement sain.
Le rapport de force qui permettrait de renverser ces hiérarchies reste à construire. Car, aujourd'hui, le système capitaliste et ses laudateurs parviennent à ralentir ou empêcher les réformes qui menacent l'accumulation sans fin des profits, et même à faire de l'enjeu climatique un nouveau levier de marchandisation des rapports humains et de la nature.
b) Les principes
Si les obstacles à la transition résident dans la confrontation d'intérêts matériels, ils trouvent aussi leurs origines dans nos modes de pensée, dans la forma mentis de notre temps. Quand la question environnementale a commencé à sortir du cercle étroit des savants pour entrer dans le débat public, il y a un bon demi-siècle, elle n'a pas su trouver son angle politique.
Les grands pays pollueurs, apparaissent responsables du désastre. Ils puisent à une même matrice, productiviste et extractiviste, issue de la révolution scientifique et technologique moderne. Il nous faut désormais une grande rupture, un changement de paradigme, un basculement vers une nouvelle ère.
Une révolution copernicienne dont la majeure partie des défenseurs de l’environnement étaient convaincus qu'elle procéderait naturellement de la conscience des enjeux et de la peur du désastre. Or ce grand saut ne s'est pas accompli.
Aujourd'hui encore, la pensée écologique reste marquée par une forme de spontanéisme et une puissante tentation unanimiste qui l'empêchent de voir la réalité des fractures sociales et des rapports de domination. Une autre approche de la transition, sociale, enracinée, nourrie des luttes concrètes contre la marchandisation sans borne, est nécessaire pour unifier les questions sociales et environnementales.
Ancrée dans une critique rigoureuse du capitalisme, assumant la force de mobilisation de la colère, elle peut articuler les combats sociaux, antiracistes et anticolonialistes et former un front suffisamment large pour contrer le pouvoir de l'argent.
c) Les propositions
Une fois encore, on sait comment construire des villes soutenables, une agriculture régénératrice, une industrie circulaire, un système énergétique renouvelable... Mais savoir n'a jamais suffi à pouvoir. Et ce que l'on peine à concevoir, c'est la manière de rendre ces transformations inéluctables et irréversibles, alors qu'elles heurtent d'immenses intérêts économiques et financiers, ainsi que des préjugés profondément ancrés en nous et habilement exploités par les partisans du statu quo.
On ne peut laisser ni au marché ni aux technocrates des questions aussi essentielles que le niveau de prospérité souhaitable et la manière d'utiliser les énergies et matières premières disponibles. Il n'y a aucune raison que l'économie dans sa généralité et les entreprises dans leur particularité soient les seules sphères de l'activité humaine qui échappent à la délibération démocratique, d'autant moins qu'elles menacent aujourd'hui notre intégrité et les conditions de notre perpétuation en tant qu'espèce.
Il s'agit de mettre fin aux deux plus grand vices de la logique capitaliste : l'insécurité d'existence et l'accroissement continu des inégalités. Non seulement parce qu'ils sont condamnables en soi, mais aussi parce qu'ils sont les deux principaux moteurs de la logique productiviste qui détruit notre environnement naturel et les fondements de la société.
d) La stratégie
Ce double mouvement de démocratisation et d'égalisation, n'adviendra pas de lui-même. Pour lui donner force, il faut partir des groupes sociaux réels et de leurs aspirations à l'autonomie, des luttes concrètes et de leurs ressources de mobilisation. S'appuyer sur les institutions démocratiques et cosmopolitiques existantes, beaucoup plus fortes qu'on ne le dit, et les irriguer de ces luttes en gestation.
Cette «révolution» ne fait pas le pari du grand soir, mais elle se refuse à n'être qu'une longue série de petits matins blêmes. Le cap est connu: il nous faut atteindre la neutralité carbone au plus tard dans une génération. Il est utile parce qu'il force à fédérer les analyses, les mobilisations et les énergies, contraint à bâtir des alliances et à définir des étapes.
La politique, orpheline de toute transcendance et revenue des illusions révolutionnaires, avait besoin d'un horizon, la transition climatique nous l'offre. Il nous reste à définir une méthode et faire le pari de «l’évolution révolutionnaire».
Aujourd'hui, dans un vocabulaire en vogue dans les sciences du climat, on parlerait plutôt de «rétroactions positives»: chaque étape est à la fois un progrès en soi, l'anticipation du monde meilleur de demain et un levier à activer pour en dégager d'autres.
Chaque avancée vers la démocratie, la justice sociale et climatique, en érodant les bases du capitalisme, agit non seulement sur les conséquences mais aussi sur les causes profondes du phénomène. Il s'agit de prendre le mal à la racine.
Pr Samir Allal
Université de Versailles/Paris-Saclay
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