Elections législatives: La voie est balisée?
Et si Kaïs Saïed tenait son pari, malgré le scepticisme ambiant ? Il a misé sur le parachèvement du nouvel édifice institutionnel et l’émergence d’une «bonne» Assemblée des représentants du peuple. Trois grands indicateurs détermineront le succès des élections législatives de ce 17 décembre : le taux de participation, la représentativité de la femme et la «qualité» des élus. Tout semble le présager, selon des observateurs. «Le contexte est certes spécifique, les enjeux de taille, et les risques sérieux, mais les prévisions portent à l’optimisme», confie à Leaders un connaisseur du sérail.
Le climat politique est particulier, depuis le 25 juillet 2021, surtout avec la nouvelle constitution ainsi que la loi électorale révisée. Un mode de scrutin uninominal, des circonscriptions électorales réduites aux délégations, des conditions d’éligibilité plus exigeantes (parrainages et absence d’antécédents judiciaires et retrait du financement public) : la donne a changé. Les partis voient leur emprise se réduire. Ils cherchent cependant à avoir voix au chapitre, ne serait-ce qu’indirectement, quitte à remettre en cause l’ensemble du processus, soutenus en cela par certaines composantes de la société civile et des médias qui leur sont liés. Fixée en point de mire, l’Isie est vivement attaquée. Sans être déstabilisée. Mais, dans ce contexte, les aspects positifs ne manquent pas.
Les partis n’exercent plus de tutelle sur le parlement, en investissant les candidats de leur choix, quitte à imposer les leurs sans tenir compte des attentes et des compétences réelles. Les candidats sont désormais affranchis de cette tutelle et, par le jeu des circonscriptions réduites, plus représentatifs des délégations.
L’argent politique qui polluait les campagnes électorales se fait quasi-inexistant. Les candidats ne peuvent compter que sur leurs propres fonds ou les contributions de leurs proches, soit des sommes réduites. C’est ce qui explique le démarrage tardif de leurs actions et leur modestie.
Un double filtre est mis en place avec les conditions d’éligibilité. Sur un total de 1 427 candidats qui s’étaient présentés initialement, seuls 1 055 parmi eux, dont 127 femmes, ont satisfait aux exigences. Ceux qui ont déclaré appartenir à un parti politique et ont présenté une autorisation de leur parti pour s’en prévaloir sont très peu nombreux: 67 au total, soit 6%. Ils appartiennent à six partis (Echaab, En avant la Tunisie, Mouvement du 25 Juillet, Al Baath, Jeunesse de Tunisie et La Voix de la République).
Le deuxième filtre sera opéré par les électeurs: ils connaissent mieux les candidats de leurs circonscriptions et sauront ainsi, non plus voter pour un parti, mais pour celui qu’ils jugent le meilleur pour les représenter. Sept circonscriptions à l’étranger n’ont enregistré aucun candidat. De nouvelles élections anticipées seront ultérieurement organisées.
De bons profils se révèlent d’après les premiers passages de candidats dans les médias audiovisuels. Certains sont jeunes, diplômés de l’enseignement supérieur, ancrés dans leurs terroirs, avides de servir et très motivés.
Selon l’Isie, une large palette de professions est relevée. Hormis les femmes au foyer, les retraités et autres inactifs, ils appartiennent à une quarantaine de métiers, d’activités et de statuts professionnels. On y trouve du chauffeur à l’avocat, de l’agriculteur au pêcheur, du fonctionnaire au banquier, et de nombreux professionnels du secteur de la santé et de celui de l’enseignement…Voir le tableau ci-après (page 20).
La campagne s’annonce cependant serrée, hormis dans dix circonscriptions (trois à l’étranger et sept en Tunisie) où on ne compte qu’un candidat unique. D’ores et déjà, dix futurs députés ont gagné leur siège. Huit duels au sommet sont annoncés dans les circonscriptions où s’affrontent deux candidats seulement, à savoir Ariana Ville, Ariana Raoued 1, Ben Arous El Mourouj Hached, Ben Arous Fouchana, Bizerte Bizerte-Nord, Sousse Sidi El Hani Kalaa Sghira, Manouba Douar Hicher, et Tunis 1 Bab Souika.
Le premier tour dégagera ainsi, hormis les sept circonscriptions à l’étranger, dix-huit élus. Le second tour se jouera alors dans 136 circonscriptions et sera très compétitif. La course au Bardo sera encore plus vive dans les circonscriptions qui portent sur deux délégations ou plus.
«Une grande vigilance est de rigueur dans la supervision du déroulement de la campagne électorale, souligne à Leaders Farouk Bouasker, président de l’Isie. Nous devons veiller au respect des règles en vigueur et éviter tout dérapage, notamment au niveau des discours. Aucun propos haineux et autres tombant sous le coup de la loi ne sont tolérés. L’Instance a déployé tout un dispositif de suivi de la campagne tant sur le terrain que dans les médias et sur les réseaux sociaux. Nous tenons fermement à ce que tout se déroule dans les meilleures conditions possibles.»
Les enjeux sont de taille pour le président de l’Isie. «Nous devons atteindre un taux élevé de participation au vote, nous dit-il. La référence est celle des législatives de 2019, avec 2.9 millions d’électeurs. Le référendum avait enregistré un nombre très proche de 2.8 millions d’électeurs, alors que les municipales de 2018 n’avaient attiré que 1.8 million de votants. La dynamique du second tour sera significative.»
Le deuxième enjeu est celui de la représentativité de la femme dans la nouvelle Assemblée, l’objectif étant de parvenir à 20% des sièges. On n’en sera pas loin, selon certaines estimations, avec une vingtaine de femmes sur les 154 élus.
Gardant toute sa sérénité, Farouk Bouasker est optimiste. «La logistique est bien rodée, nous assure-t-il, et nous avons mis en place tout le dispositif nécessaire. Au total, 11 300 bureaux de vote seront ouverts dans 4 500 centres et pas moins de 50 000 agents additionnels seront mobilisés le jour du scrutin. Je suis confiant quant au bon déroulement de ces élections.»
Les résultats provisoires seront proclamés le 20 décembre et l’épuisement des recours s’étalera jusqu’à février prochain. La campagne pour le second tour démarrera alors fin février prochain, pour une durée de 7 à 10 jours. Les élections auront lieu début mars 2023.
Croisons les doigts.
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