Tunisie: Prix, inflation et pouvoir d’achat
Par Habib Touhami - Après une décennie de gabegie et de gestion catastrophique de l’économie et des finances publiques, la Tunisie se voit contrainte, semble-t-il, d’appliquer des mesures drastiques qui amoindriront d’autant le niveau de vie et le pouvoir d’achat de l’immense majorité des Tunisiens. La question est de savoir si la situation sociale peut les tolérer sans drames ou révolte et si elles n’aggraveront pas au final une crise socioéconomique ayant atteint son paroxysme. Il serait catastrophique que les pouvoirs publics tunisiens aillent jusqu’à rogner inconsidérément dans les transferts sociaux ou à augmenter lestement la charge fiscale directe et indirecte qui pèse déjà lourdement sur les salariés et les classes moyennes.
Même si l’on ne connaît pas le détail des mesures envisagées, il ne fait aucun doute que leur résultat inéluctable sera une baisse sensible du pouvoir d’achat. C’est d’autant plus cruel que la baisse du pouvoir d’achat au cours des dix dernières années surpasse les 40% suggérés par la hausse cumulée des prix à la consommation enregistrée au cours de la même période. En effet, l’IPC ne permet qu’une estimation de la variation moyenne des prix d’un panier fixe de biens et de services consommés par les ménages, point. Il ne mesure, selon les termes mêmes de l’INS, «ni le coût de la vie, ni le niveau de vie, ni le pouvoir d’achat». Pour l’année en cours par exemple, la baisse du pouvoir d’achat sera largement supérieure à l’augmentation de 10% de l’IPC. Pour quelles raisons ?
L’IPC ne prend en compte que les dépenses de consommation des ménages. Il ne couvre pas leurs dépenses d’investissement: remboursement d’emprunts, acquisition de terrain ou de logement, travaux neufs, grosses réparations, etc.). Or ce sont précisément les prix de ces dépenses qui se sont littéralement envolés ces dernières années. Un appartement de 100m2 dans une zone moyenne coûterait à l’heure actuelle 28 fois le salaire annuel moyen d’un instituteur, d’une infirmière ou d’un gradé de la Garde nationale en milieu de carrière. Pour mesurer correctement l’évolution du pouvoir d’achat d’un salaire ou d’un revenu, il ne convient pas de se référer à l’IPC seul. Il faut aussi prendre en considération l’évolution du rapport entre la valeur monétaire de ce salaire ou de ce revenu et le prix monétaire d’un certain nombre de biens et de services significatifs du coût et du niveau de vie.
La suppression de la compensation en ce qui concerne les produits alimentaires de base, les carburants et le transport va générer mécaniquement une forte hausse de tous les prix, et ce malgré la «compensation de la compensation». On se retrouvera du coup devant une évolution contrariée des coefficients budgétaires comme lors de la période 1985-1990, mais aussi devant un surenchérissement du coût de la vie en général. Un tel scénario est lourd de conséquences sur le plan social. Il l’est davantage sur le plan économique. En effet, la pérennité de tout processus de développement est dépendante de l’évolution du profil de la demande et donc de l’accroissement du revenu réel. Ce n’est pas ce qu’on peut attendre des mesures financières et budgétaires envisagées par le gouvernement tunisien.
Habib Touhami