Retour sur le colloque: La proportionnalité en droit
La proportionnalité en droit a été le thème du colloque annuel du Département de Droit privé et des sciences criminelles, de Faculté des sciences juridiques politiques et sociales de Tunis, tenu du 23 au 25 novembre dernier. Compte-rendu.
La proportionnalité est beaucoup plus qu’une notion qui sillonne le droit, elle est l’un des facteurs autour des quels s’articulent les moindres détails des relations humaines, elle est omniprésente partout. L’univers est proportionnalité, un déplacement est proportionnalité, la vitesse dépend de la proportionnalité, même la quantité d’ingrédients d’une recette de cuisine doivent répondre à une certaine proportionnalité. Ainsi, il n’est guère surprenant que la proportionnalité s’infiltre dans différentes disciplines, dont, notamment, la littérature, l’architecture, la peinture, les mathématiques, la philosophie, la politique, la sociologie, … etc.
Le droit, de son côté, a été, de la même manière, captivé par le charme de la proportionnalité, certes, l’immixtion fut, au départ, la tente et timide, mais elle est devenue, progressivement, patente et virale. La proportionnalité n’a pas cessé de tracer sa route, progressivement, pour traverser le droit de bout en bout, telle une artère.
La success story de la proportionnalité en droit, est due, entre autres, à sa malléabilité, qui lui a permis de se métamorphoser, continuellement, et de se glisser, au besoin, dans de nouveaux habits. C’est tantôt un principe constitutionnel (article 49 de la Constitution de 2014 et article 55 de la Constitution de 2022), tantôt un principe conventionnel. Elle est assimilée, également, à un principe général de droit, cette tendance n’est pas unanime, une certaine doctrine n’y voit pas plus qu’un simple règle de droit, qui oscille entre la règle impérative et celle supplétive. Elle est appréhendée, également, comme étant une règle de méthode, un processus, un procédé ... etc. Son caractère polymorphe, en fait aussi, le nid et la couveuse de nouvelles fonctions : proportionnalité-appréciation, proportionnalité-interprétation, proportionnalité-équilibre, proportionnalité-égalité, ... etc.
La proportionnalité apparaît, en conséquence, très séduisante comme notion à examiner de près, pour toutes les intéressantes et fructueuses pistes de discussions qui peuvent être exploitées dans le cadre de son analyse. Et c’est bien la raison d’être de ce colloque du département de droit privé et de sciences criminelles, qui a voulu mettre le focus sur cette notion centrale, afin de tenter d’en déterminer les contours, et de puiser, autant que possible, de son rayonnement.
Le colloque de la « Proportionnalité en droit » a eu lieu le 23, 24, et 25 novembre 2022, à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis (FSJPST), et ce, en partenariat avec le Centre d’études juridiques et judiciaires (CEJJ) et l’Institut international pour la démocratie et l’assistance (IDEA). L’audience s’est tenue en format hybride, en présentiel et en ligne, un live streaming a été partagé sur la page officielle de la Faculté.
Le premier jour a débuté sur l’allocation de Madame Neila Chaabene, Doyenne de la FSJPST, qui n’a pas manqué de féliciter le département de droit privé et de sciences criminelles, pour l’organisation du colloque et notamment, pour le choix de la thématique. Juste après, Madame Nada Zidi, directrice du département de droit privé et de sciences criminelles, a prononcé le mot d’ouverture, elle y a tenté de mettre en exergue, le caractère transversal de la notion de proportionnalité. Suivie de Madame Kaouther Debbeche, directrice de l’école doctorale, qui outre son insistance sur l’importance du sujet, a tenu de mettre l’accent sur le caractère variable de la notion de la proportionnalité. Pour sa part, Monsieur Mounir Ferchichi, directeur général du CEJJ, a voulu mettre en évidence le rôle joué par la proportionnalité dans l’adaptation du droit aux nouvelles circonstances. Quant à Madame Monia Belarbi, responsable de programme au sein de l’IDEA dans les régions d’Afrique et d’Asie occidentale, elle a rappelé l’intérêt que porte l’institut à la question de la proportionnalité, via, notamment, l’appui considérable et constant des recherches doctrinales en la matière.
Après les allocutions d’ouverture, un rapport introductif a été élaboré et présenté par M. Sami Jerbi, Professeur à la Faculté de droit de Sfax, dans lequel il a fait le pertinent exposé de la proportionnalité dans tous ses états, et ce, sans entrer dans les détails, afin de ne pas anticiper les idées traitées dans le cadre des interventions qui le succéderont.
La première session a été présidée par Mme Wafa Harrar Masmoudi, Professeure à la FSJPST. Dans cette session, la première communication fut présentée par M. Khaled Mejri, maître-assistant à la FSJPST, elle s’intitule « La proportionnalité du droit public au droit privé et vice-versa ». M. Mejri a mis en avant le rôle joué par la proportionnalité dans la garantie de la complétude du droit, qu’il s’agisse du droit privé ou du droit public, étant donné qu’il s’agit de l’un des plus grands standards en droit. Cette communication a été suivie par celle de Mme Khitem Hfaiedh, maître-assistante à la FSJPST, intitulée « La proportionnalité et le législateur », marquée par l’originalité de son style d’écriture, et qui a mis en relief le rôle de la proportionnalité en matière de légistique et d’herméneutique.
La deuxième session a été présidée par Mme Nejiba Nagguez, Professeure à la FSJPST, et elle portait sur la proportionnalité en droit pénal. La première communication dans cette session, était faite par Mme Mehrezia Hajri, maître-assistante à la FSJPST, elle s’intitulait « La proportionnalité entre l’infraction et la peine ». Mme Mehrezia Hajria choisi la langue arabe pour sa présentation, dans laquelle elle a tenté de démontrer, que bien que la proportionnalité entre l’infraction et la peine constitue l’un des rudiments du droit pénal, elle souffre, toutefois, de certaines insuffisances, tant théoriques que pratiques, ce qui pourrait engendrer l’anéantissement de son efficacité. L’intervention de Mme Hajri a été suivie par une intervention, en langue arabe également, faite par M. Wissem Bouaziz, assistant à la FSJPST, intitulée « La proportionnalité en matière de légitime défense ». Dans son intervention, M. Bouaziz a essayé de démontrer que la légitime défense n’autorise pas toutes sortes d’actes défensifs. Bien au contraire, la légitime défense doit être proportionnelle à l’agression, ce qui n’est pas du tout évident, et que de plus, il serait difficile d’apporter la preuve de cette proportionnalité.
Après la pause-déjeuner, deux sessions se sont enchainées. La troisième session a porté sur la proportionnalité en droit du patrimoine. Cette session a été présidée par Mme. Imen Ben Rjeb, maître de conférences à la FSJPST. La première communication a été présentée par Mme Mouna Ktata, maître assistante à la Faculté de droit de Sfax, Elle s’intitulait « La proportionnalité en droit de la propriété intellectuelle », et elle s’est focalisée sur la proportionnalité entre l’infraction de plagiat et la sanction allouée. La deuxième communication a été présentée par Mme Nejiba Nagguez, elle s’intitulait « La proportionnalité en matière foncière », l’idée centrale tournait autour de la proportionnalité entre le dommage foncier et la sanction conséquente. La dernière communication de cette session a été présentée par M. Mounir Ferchichi, en langue arabe, et s’intitulait « La proportionnalité en matière de successions ». M. Ferchichi a eu le mérite d’exposer une nouvelle lecture de l’article 85 du Code du statut personnel.
La quatrième session a été présidée par Mme. Sabrine Bouyahia, maître de conférences à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis. Elle s’intitulait « La proportionnalité en droit processuel ». Dans cette session, M. Achref Mejri, docteur en droit et magistrat, a fait la première communication, en langue arabe, intitulée « La proportionnalité et droit processuel ». L’apport de sa communication consiste dans la prise en considération du droit de la protection des données personnelles lors du contentieux, un droit, malheureusement, souvent, jeté aux oubliettes. Suivi par Mme. Souad Youssef Babay, Professeure émérite à la FDPST et l’une des ardents défenseurs de la médiation, qui a fait une communication portant sur « La proportionnalité et la médiation », dans laquelle elle a démontré comment la proportionnalité traverse toutes les procédures de la médiation, dès son déclenchement jusqu’à l’établissement d’un accord de médiation.
Le deuxième jour, quatre sessions ont été mise en place. La première session a été présidée par Mme. Souhayma Ben Achour, Professeure à la FSJPST et elle s’intitulait « La proportionnalité en droit des contrats ». Lors de cette session, Mme Zina Essid, maître de conférences à la Faculté de droit et de sciences politiques (FDPST), a présenté la première communication, qui portait sur « La proportionnalité et la théorie générale des contrats ». Dans sa communication, Mme. Essid, a démontré que contrairement au droit public, la proportionnalité est consacrée, d’une manière implicite, en matière contractuelle. Cependant, ceci ne réduit, aucunement, son efficacité, car le principe de bonne foi permet de pallier la difficulté qui peut émaner de l’absence d’une mention explicite. Cette première communication a été suivie par une communication faite par M. Zied Dridi, Docteur en droit, magistrat et président de la Cellule des études au Centre d’études juridiques et judiciaires. Sa communication a porté sur « La proportionnalité en droit des assurances : cas de la détermination du risque ». Elle s’est focalisée sur les difficultés résultant de la pondération entre les intérêts des assurés et les intérêts des assureurs. La troisième et dernière communication de la première session a été présentée par Mme. Amel Essid, assistante à l’Institut des Hautes études commerciales. Sa communication s’intitulait « La proportionnalité à l’épreuve des instruments de financement ». Dans sa communication, Mme Essid a examiné la proportionnalité entre la recherche de profit et de bénéfice par les entreprises et les institutions et la protection des intérêts des particuliers et notamment, des parties contractantes.
La deuxième session, présidée par Mme. Sihem Daly, assistante à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, s’intéressait à « la proportionnalité en droit des affaires ». Dans cette session, Mme. Basma Hamada, maître-assistante à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, a présenté une communication intitulée « la proportionnalité en droit commercial ». Mme. Ines Youssef, maître-assistante, également, au sein de la même faculté, a fait communication portant sur « la proportionnalité en droit des sociétés commerciales ». Les deux communications se rejoignent, et ont le mérite d’avoir exposé le caractère non-absolutiste de la proportionnalité en droit des affaires. Et ce, en mettant en relief l’apport considérable de la proportionnalité dans la garantie des intérêts des commerçants et des associés. Les deux intervenantes n’ont pas manqué de signaler que la mise en œuvre de la proportionnalité dans ce domaine connait plusieurs limites et insuffisances, rendant la notion illusoire, voire même inutile.
Après la pause-déjeuner, deux sessions se sont enchaînées. La troisième session, présidée par M. Zied Dridi, a porté sur « La proportionnalité en droit de l’entreprise ». M. Hatem Kotrane, Professeur émérite à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, a présenté une communication sur « la proportionnalité en droit du travail ». M. Kotrane, éminent spécialiste du droit du travail en Tunisie, a considéré que la proportionnalité est le fondement même du droit du travail, c’est ce qui justifie ses diverses manifestations et applications, que ce soit dans le contrat de travail, ou encore, au sein de l’entreprise. M. Sami Frikha, Avocat auprès de la Cour de cassation, a fait la communication suivante intitulée « la proportionnalité en droit de la concurrence ». M. Frikha, qui s’est centralisée sur la proportionnalité entre la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et les sanctions prévues. Suite à quoi, Mme. Samia Romdhana, maître-assistante à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, a présenté une communication, en langue arabe, intitulée « la proportionnalité et règles de la consommation ». Mme Romdhana, a eu un exposé qui fait le tour de la législation établie en matière du droit de la consommation, et par lequel elle a essayé de mettre le doigt sur la proportionnalité entre le souci de protéger la partie faible et les sanctions applicables en cas de dérives.
La quatrième session, présidée par M. Sami Frikha, est intitulée « la proportionnalité en droit public » et elle renferme deux communications. La première intitulée « La proportionnalité dans la constitution » a été présentée par Mme Mouna Kraiem Dridi, maître de conférences à la FSJPST, qui a le mérite d’avoir expliqué, au moindre détail, le test de la proportionnalité à travers ses trois composantes. La deuxième communication a été présentée, en langue arabe, par M. Saif Eddine el Hadj, magistrat, elle portait sur « La proportionnalité et le juge administratif », et basée sur des cas concrets d’arrêts rendus par le tribunal administratif, en ce qui concerne la proportionnalité, ce qui a permis d’évaluer et d’apprécier l’exercice et le contrôle judiciaire de la proportionnalité, concrètement, par ce tribunal.
Venons-en au troisième et dernier jour. Ce jour a été baptisé « la proportionnalité : regards croisés ». La première session, présidée par M. Zain Al-Ali, Responsable principal du programme Constitution-Building de l’IDEA dans les régions d’Afrique et d’Asie occidentale. D’abord, M. Robin Basu, avocat général de l’Ontario, au Canada, a fait une communication intitulée « La proportionnalité dans la limitation des droits et libertés : l’expérience canadienne ». Ensuite, M. Johan Van Der Westhuizen, juge à la Cour constitutionnelle sud-africaine, a présenté une communication intitulée : « La proportionnalité dans la limitation des droits et libertés : l’expérience sud-africaine ». Suite à quoi, M. Slim Laghmani, Professeur à la FSJPST a fait une communication intitulée : « La proportionnalité dans la limitation des droits et libertés : l’expérience tunisienne ». Par une étude comparative entre ces différentes expériences, on a pu ressentir l’importance de l’expression « État civil », supprimée de l’article 55 de la Constitution de 2022, et consacrée par l’article 49 de la Constitution de 2014. La suppression de ce repère, ce bouclier qui pourrait empêcher qu’une atteinte aux droits fondamentaux soit autorisée, pourrait constituer une porte grand ouverte devant des disproportions très graves, et engendrer par là même une décadence de l’État de droit.
La deuxième session, présidée par Mme. Salma Triki, maître de conférences à la FSJPST, s’intitulait « La proportionnalité en perspective : paroles de doctorants ». Les doctorantes, Mme Yosra Bouazizi, Mme. Nada Bedchiche, Mme Chema Arroum, Mme. Amani Ouerghi, et Mme Salma Dziri, ont rendu compte des idées traitées dans leurs thèses de doctorat, en rapport avec la proportionnalité, et ce, que cette dernière soit une problématique de recherche, ou qu’elle soit un élément figurant en filigrane dans leurs travaux.
Toutes les sessions susmentionnées, ont été suivies de débats fructueux entre les intervenants et les étudiants présents. Et avant de clôturer le colloque, Mme. Emna Khedhri, enseignante à la FSPST et doctorante à la FDPST, a présenté un rapport de synthèse, caractérisé par son style d’écriture fluide, dans lequel elle a schématisé le fil conducteur entre les différentes communications, tout en posant un certain nombre de questions, très pertinentes, qui laisse à dire que le thème de la proportionnalité est une source intarissable de problématiques et de débats.
Par exemple, à la lumière des communications qui font l’éloge de la proportionnalité, et celles qui font le constat de son manque d’efficacité dans certains domaines, il est légitime de se demander, que reste-il de la proportionnalité ?
C’est dire qu’en réalité, malgré l’encrage de la proportionnalité dans le droit, et sa propagation à ses différentes branches, il est nécessaire d’accorder plus d’attention et de creuser en profondeur, pour estimer, à son juste titre, l’utilité aujourd’hui du principe de la proportionnalité. Peut-il être fusionné avec d’autres notions ou d’autres principes, comme l’ont soutenu plusieurs intervenants ? S’il n’en est pas ainsi, est-il possible d’encadrer le principe de la proportionnalité afin de limiter ses insuffisances et surtout éviter les dérives et, notamment l’arbitraire judiciaire ? Mieux encore, est-ce qu’on peut parler d’un droit à la proportionnalité ?
Plusieurs questions, sur la proportionnalité, restent en suspens, un seul colloque n’est peut-être pas suffisant, c’est pour cette raison que le département du droit privé et de sciences criminelles, étudiera la probabilité de programmer une série de colloques portant sur la proportionnalité, afin de comprendre et d’explorer encore plus cette notion qui se situe, non seulement au cœur du droit, mais également au centre de nos vies.
(L’équipe d’organisation)
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