Mondial du Qatar: Le Football face au malentendu culturel
Par Dr Mohamed Salah Ben Ammar - Cette image marquera la coupe du monde de football 2022. Le regard de ce jeune qatari digne et élégant dans sa tenue traditionnelle et le geste obscène du gardien de but de l’équipe d’Argentine, vainqueur de la coupe, reflètent des facettes et pas des moins importantes de ce Mondial. Celles du projet football en mondovision au service du soft power, des symbolismes arabes (les drapeaux palestiniens, Messi drapé du manteau noir traditionnel le «bisht»), face à un occident donneur de leçons.
Un petit pays arabe richissime, le Qatar, envié de tous pour la démesure de ces moyens, les médias parlent d’un budget de 220 milliards de dollars, a osé organiser un événement planétaire, probablement l’événement le plus médiatisé dans la planète terre. C’est une première. Personnellement, j’avais émis de sérieuses réserves sur ce choix. J’ai observé avec circonspection tout le charivari qui a précédé le début de cette compétition. La rue arabe comme celles de tous les amoureux du ballon rond à travers le monde, ne savaient pas que penser de ces accusations d’exploitation inhumaine de la main d’œuvre étrangère, de corruption, d’achat de votes. Un jour, sûrement, dans plusieurs années, nous finirons par connaître la vérité. C’est le rôle de la justice.
Le fait est que cette coupe du monde a bluffé le monde entier. L’organisation a été impeccable et la compétition a atteint des sommets. On avait oublié cette passion que pouvait générer les belles rencontres de football.
Chemin faisant, je n’ai plus boudé mon plaisir et je me suis laissé prendre au jeu, c’est vraiment le cas de le dire. Cette spontanéité, cette intensité qualifiée de diabolique par un journaliste, ces victoires surprises, ces renversements de situation, ces suspens insupportables à la fin de certaines rencontres, le plaisir de suivre ces rencontres palpitantes a eu raison de toutes les réticences et ce fut un régal !
Non moins important a été l’aspect diplomatique. Le défilé de chefs d’Etats et de têtes couronnées nous a rappelé qu’à ce niveau, sport et politique étaient indissociables. Seins nus et drapeaux arc en ciel, consommation d’alcool sont, en partie, la réponse du berger à la bergère : « vous affichez votre puissance financière et nous affichons nos valeurs semblaient dire les occidentaux au Qatar ». Il y a eu beaucoup d’hypocrisie, tout était permis mais il ne fallait pas l’afficher. Le malentendu culturel a atteint lui aussi des sommets.
Il est certain qu’un vent nouveau souffle sur la région et il n’a pas commencé avec la coupe du monde. Beaucoup auront du mal à le comprendre, mais certaines transgressions, pas toutes, font souffler un vent sain toujours rafraîchissant. Il faut oser c’est salutaire, simplement il faut aussi parfois savoir laisser du temps au temps et avoir l'humilité de respecter les convictions de l'autre et ce même si on estime qu’il est dans son tort, c’est probablement la meilleur façon de l’inciter à réfléchir à ses pratiques.
Lors de ce Mondial cela n’a pas été le cas partout en occident. Un ostracisme perceptible, des commentaires racistes ont été faits. Certains sont à l’image du geste de Emiliano Martinez, qui après avoir reçu le trophée du meilleur gardien de but du Mondial et alors qu’il vivait peut-être l’instant le plus important de sa carrière sportive a eu cette réaction de voyou, ce geste d’une vulgarité sans nom. Certes les joueurs argentins s’étaient déjà distingués face à l’équipe des Pays-Bas par un comportement antisportif, son geste qui arrive après avoir vécu plus d’un mois dans ce pays, n’est pas accidentel.
Nous pouvons faire tous les reproches aux arabes, maghrébins inclus, sauf un, leur hospitalité n’est jamais prise à défaut. C’est un des piliers de leur culture, c’est une vertu cardinale qu’ils cultivent dès la petite enfance, c’est un devoir sacré. C’est ce que beaucoup d’occidentaux n’ont pas compris lors de cette coupe du monde, et c’est ce qui fait du geste de ce gardien une agression intolérable.
Espérons et il n’est pas interdit de rêver, que la réussite du Mondial du Qatar 2022 servira à ouvrir les yeux de ceux qui dirigent cette région mais aussi ceux des pays occidentaux sur les efforts qui doivent être faits des deux côtés pour dépasser, d’un côté le repli sur soi et de l’autre l’impérialisme culturel.
Dr Mohamed Salah Ben Ammar