«Wallah We Can» un Modèle à suivre pour atteindre les Objectifs de l’Agenda 2030
Par Khadija Taoufik Moalla & Lotfi Hamadi
«Un système est juste si le niveau de vie des plus défavorisés monte quand l’économie croit. Or ça fait 15-20 ans qu’on a un système où les riches deviennent de plus en plus riches, et les pauvres de plus en plus pauvres. Ce système est inacceptable car il a perdu toute base démocratique».
L’Agenda 2030 est un agenda auquel ont souscrit tous les pays membres de l’Organization des Nations Unis en 2015, en vue d’assoir les bases d’un développement durable qui assurerait la paix et la prospérité pour tous les peuples du monde ainsi que la pérennité de notre planète à l’horizon 2030. Au cœur de l’Agenda 2030 se trouvent 17 objectifs de développement durable (ODD) qui couvrent l’intégralité des enjeux de développement tels que le climat, la biodiversité, l’énergie, l’eau, la pauvreté, les inégalités, la paix, l’agriculture, l’éducation, etc. L’Agenda 2030 et les 17 ODDs présentent une conception profondément novatrice du développement durable en associant à la lutte contre l’extrême pauvreté et à la réduction des inégalités, la préservation de la planète face aux dérèglements climatiques, dans une démarche globale et universelle.
Depuis que la Tunisie a souscrit à l’Agenda 2030, 7 précieuses années se sont déjà écoulées sans que les autorités publiques n’aient engagé de nouvelles initiatives pour atteindre ces objectifs de développement. Mais heureusement que l’inertie des autorités publiques a été compensée un tant soit peu par des initiatives privées remarquables qui ont déjà enregistré des progrès tangibles sur le terrain. Si les autorités publiques sont sérieuses dans l’engagement qu’elles ont pris pour l’Agenda 2030, elles se doivent d’apporter leur plein soutien à ces initiatives privées en vue de les propager à plus grande échelle. Une de ces initiatives privées est le projet «Wallah We Can». Dans ce qui suit, on se propose d’analyser ce projet, initié par l’un des auteurs de cet article, afin de démontrer qu’il apporte une réponse à la majorité des ODD, suite à quoi on proposera des pistes pour étendre cet exemple à tous les gouvernorats, ainsi qu’à tous les ODDs, pour conclure par expliquer la responsabilité de l’Etat s’il faisait le choix de l’implémenter.
Présentation du projet
Lotfi Hamadi est un jeune entrepreneur Tunisien, né à Kessra gouvernorat de Siliana. Ses parents ont émigré en France quand il n’avait que deux ans, et c’est donc en France qu’il a grandi et entrepris des études de commerce et de droit, tout en faisant plusieurs petits boulots, notamment dans la restauration, ce qui constituera plus tard une des sources d’inspiration pour le projet Wallah we Can. Il commença sa carrière professionnelle au Canada et assurera le poste de directeur de projet pour l’une des plus importantes chambres de commerce du pays pendant plusieurs années. Après les évènements de 2011, il rentre en Tunisie, convaincu que c’est par le développement économique qu’on enracine la démocratie. En 2012, il établit «l’Association Wallah We Can», ayant réalisé l’absence totale de respect des droits de l’enfant. Ce projet entrepreneurial à impact social et environnemental a pour objectif de transformer les écoles publiques en entreprises vertueuses grâce à l’autonomie énergétique et à l’autosuffisance alimentaire qui permettent aux établissements scolaires de faire des économies, de générer des profits qui salarient les adultes (parents, grands et grandes sœurs à la recherche d’un emploi) tout en consacrant le reste des bénéfices à la mise aux normes des bâtiments, la garantie de repas gratuits et équilibrés ainsi que le financement des clubs extrascolaires des élèves.
Il commence par travailler sur le volet énergétique en installant 140 panneaux photovoltaïques qui produisent suffisamment d’énergie pour l’établissement scolaire pilote (Collège Hay Grawa à Makthar, gouvernorat de Siliana) puis par créer un projet agricole qui offre un travail, comme évoqué plus haut, aux parents des enfants de l’école sans emplois, afin de garantir 70% des besoins de la cantine scolaire et de commercialiser l’excédent agricole. Une phase expérimentale, à l’échelle d’un établissement, qui aura duré une dizaine d’années, afin de tester tous les risques et situations imaginables qui va désormais laisser place à la prochaine étape: essayer la solution à l’échelle d’une ville. Pour cela l’Association se prépare à lever les fonds pour financer la ferme de 40 hectares afin que les 23 écoles primaires de la ville de Makthar soient labellisées «GreenSchool by Wallah We Can».
La section suivante va démontrer que ce modèle de développement répond à la majorité des ODD :
Analyse du projet à la lumière du prisme des ODDs
ODD 1: «Eradiquer la pauvreté». Les familles auxquelles s’est adressé l’initiative sont des familles pauvres car ni les parents, ni les grands frères et sœurs ne travaillaient. Recevant une formation, pour devenir travailleurs, puis actionnaires du projet agricole, et formateurs pour les clubs, ces familles sortent du cercle vicieux de la pauvreté en devenant des entrepreneurs pouvant enfin offrir une vie décente à leur famille.
ODD 2: «Eradiquer la faim et la malnutrition en garantissant l’accès à une alimentation sûre, nutritive et suffisante pour tous…grâce à la mise en place de systèmes de production alimentaire et de pratiques agricoles durables et résilients». Les enfants ne recevaient pas nécessairement un repas décent au sein de leur famille, ni à l’école. La préoccupation majeure était d’assurer au moins un repas équilibré par jour à ces enfants. Pour cela, l’Association a prévu que 10% des 700 tonnes de production de légumes et fruits du projet agricole allait à la cantine de l’école. Sa deuxième préoccupation majeure était la durabilité du projet, d’où l’idée du projet agricole qui permet d’assurer la sécurité alimentaire.
ODD 3: «Assurer la santé et le bien-être de tous». Là encore, en assurant un repas équilibré par jour aux élèves, et l’eau chaude dans les dortoirs, afin que les élèves puissent se doucher sans prendre froid, prévient beaucoup de maladies. De plus, en créant 10 clubs pour les activités extra-scolaires, le projet prend soin de leur bien-être. En plus de l’eau propre et potable, le projet assure un air sain, en ayant planté plus de 200 pieds d’olivier dans l’école…Toutes ces initiatives démontrent que la prévention est beaucoup plus importante que le traitement. Vivre dans cet environnement sain préviendra beaucoup de maladies et garantira une très bonne santé pour les 600 et quelques élèves de ce collège.
ODD 4: «Garantir l’accès à tous et toutes à une éducation équitable, gratuite et de qualité, ainsi que la construction et à l’amélioration des infrastructures éducatives». En fait la première préoccupation de Lotfi Hamadi sur laquelle il a bâti tout son programme, était que les enfants bénéficient du meilleur environnement afin de réussir leurs études. Or un enfant qui a faim, froid, ou subit un stress physique ou mental n’est pas capable d’apprendre et encore moins de réussir. De plus, en construisant un cinéma dans l’école, le concept de l’éducation a été étendu à la culture, ce qui est en direct application de la cible 4.7 qui encourage : « la promotion d’une culture de paix et de non-violence, de la citoyenneté mondiale et de l’appréciation de la diversité culturelle et de la contribution de la culture au développement durable ».
ODD 5: «Garantir l’autonomisation des filles et des femmes et l’égalité entre les hommes et les femmes». Le projet a inclus aussi bien les hommes que les femmes dans l’activité agricole, de même qu’il a formé aussi bien les grands frères que les grandes sœurs afin qu’ils et elles deviennent les animateurs des 10 clubs de l’école.
ODD 6: «Assurer un accès universel et équitable à l’eau potable, à l’hygiène et à l’assainissement». Préserver l’eau est d’une grande importance en Tunisie qui vit un stress hydrique assez grave. Le projet agricole a choisi l’irrigation grâce au système goute à goute, et a creusé des puits. L’Association s’est aussi assurée que les élèves aient de l’eau potable dans leur école et de l’eau chaude pour les douches de l’internat, ce qui n’existe pas dans beaucoup d’écoles des zones rurales.
ODD 7: «Garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable de l’énergie». Afin d’assurer la durabilité et la rentabilité de son projet, l’Association s’est assurée de créer un écosystème écologique. Les chafauds et les climatiseurs étant consommateurs d’énergie, le choix a été fait d’investir dans l’isolation thermique des dortoirs afin d’économiser sur la facture énergétique. De même un investissement dans l’énergie renouvelable a été fait en installant des systèmes photovoltaïques sur tous les toits.
ODD 8: «Assurer une croissance économique soutenue, partagée et durable afin d’offrir à chacun un emploi décent et de qualité, ainsi qu’une protection de tous les travailleurs». Sans emploi, on ne peut pas vivre dignement. C’est ce premier principe par lequel tout a commencé. En formant une cinquantaine de parents sans emplois, l’Association a démontré que cette préoccupation devrait être la priorité No 1 de tout gouvernement. En bon entrepreneur lui-même, Lotfi Hamadi croit en l’entreprenariat et pas en l’aide ou la charité qui ne sont pas durables.
7 ODD (9, 10, 11, 12, 13, 14, 15) concernent la préservation de l’environnement, la consommation et la production, la promotion des villes résilientes…. Wallah We Can s’est préoccupée de la majorité de ces ODDs, en plantant des arbres, préservant l’eau et l’air, économisant l’énergie…etc.
Comment étendre ce modèle afin d’inclure tous les ODDs?
En apparence, il semblerait que l’Association ne s’est pas préoccupée de l’ODD 16 qui concerne la gouvernance et les droits humains, et l’ODD 17 qui concerne le partenariat, mais c’est en apparence seulement car une analyse plus approfondie permet de voir qu’en fait l’impact de cette initiative garantit la réalisation de ces deux derniers ODDs.
ODD 16 : « Promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes aux fins du développement durable). Durant le soulèvement de 2011, les demandes étaient : « Pain, liberté, dignité, et justice sociale ». Or les 300 et quelques Ministres qui ont composé les quelques 10 gouvernements successifs, ne semblent pas avoir entendu et encore moins compris ce que le peuple réclamait, ni pourquoi il s’est soulevé. C’est exactement à ces préoccupations et surtout le respect des droits humains en général et ceux des enfants en particulier, que le projet de l’Association Wallah we can a voulu répondre. Assurer la dignité de la majorité grâce à un emploi, un repas, et bien d’autres droits universels qui garantissent le bien-être, la cohésion sociale et l’unité nationale, tout en assurant la dignité et la justice sociale.
ODD 17: «Assurer des partenariats efficaces entre le gouvernement, le secteur privé et la société civile pour la réalisation de tous les ODDs». Au lieu d’attendre des financements des bailleurs de fonds classiques, Lotfi Hamadi, grâce à son network international, a fait une mobilisation des ressources qui lui ont permis d’implémenter la première phase de son projet. Il a aussi investi dans un partenariat avec l’Etat en s’appuyant sur les résultats obtenus de son projet afin de convaincre les autorités locales et nationales.
La responsabilité de l’Etat afin d’étendre ce Modèle aux 24 gouvernorats de la Tunisie
Dès le départ, grâce à son Association, Lotfi Hamadi a visé l’internat d’un collège. Cependant, il a revu sa stratégie étant convaincu que tout commence dès le plus jeune âge, raison pour laquelle l’Association va évoluer par niveaux: d’abord les écoles, puis les collèges et enfin les lycées. Cette phase expérimentale était donc au sein du collège Hay Grawa dont l’état était au-delà de l’inacceptable, et la distance pour y arriver était par ailleurs très contraignante avec presque 3 heures de route à faire plusieurs fois par semaine pour s’assurer du suivi et de l’entretien des réalisations. L’Association a pensé que si elle réussissait avec la pire des situations, elle n’aurait ensuite pas le choix que de réussir sur les autres établissements.
Cependant, il est primordial que l’Etat, non seulement ne mette pas les bâtons dans les roues de pareilles initiatives, à cause de la bureaucratie de son administration, mais qu’au contraire, il soutienne avec tous ses moyens, pareils projets. De plus les ministères concernés (agriculture, éducation, environnement, énergie, santé, femmes, jeunesse et sport, culture…) devraient mettre leurs efforts communs afin d’offrir le meilleur soutien pour que ce projet existe dans chaque gouvernorat. En une année, grâce à un partenariat avec l’Association Wallah we can, nous suggérons qu’une équipe de choc composée d’un représentant de chacun des ministères concernés, ainsi que des autorités locales, pourrait mettre en place cette initiative dans chaque gouvernorat. Cette équipe devra avoir carte blanche du premier ministère afin qu’aucun obstacle ne vienne entraver sa route.
Une stratégie de mobilisation des ressources locales, régionales et nationales devrait être mise en place afin d’accompagner l’implémentation de cette initiative dans toute la Tunisie. L’Etat quant à lui devrait contribuer, entre-autre, en mettant à disposition ses terrains agricoles non exploités.
Donc, arrêtons de rechercher un modèle de développement hypothétique et implémentons celui de Wallah we can, en le conjuguant à toutes les initiatives similaires, en Tunisie et ailleurs, qui ont démontré des résultats tangibles, et qui pourraient inspirer d’autres patriotes à en imaginer de nouvelles, afin de mettre enfin notre Tunisie sur la voie du développement durable.
Khadija Taoufik Moalla & Lotfi Hamadi