Tunisie: Focaliser davantage le débat et l’action pour une sortie de crise?
Par Rym Ben Zid - Il est illusoire d’envisager une sortie de crise en agissant sur le très court terme dans une position exclusive de réponse immédiate aux effets négatifs de la crise. Il est également illusoire d’envisager de résoudre cette crise multiforme en s’attaquant de manière concomitante à l’ensemble des causes, innombrables, qui la déterminent.
Suite au cumul des effets négatifs des crises successives traversant l’économie tunisienne, le constat se résume à la nécessité d’identifier et de définir les priorités vitales qui permettraient au pays de sortir de ce mauvais pas. Ces priorités vitales seraient au nombre de 3. Tout d’abord, suite à l’augmentation du prix des céréales au niveau international due aux effets combinés de la crise du Covid 19, des restrictions sur les exportations du blé ukrainien et de la diminution escomptée de la production de céréales à cause de la sécheresse, l’approvisionnement en céréales semble incertain dans le futur proche.
D’autre part, les années de sécheresse successives combinées à une gouvernance limitée de la ressource en eau s’expriment au travers de l’état actuel de la ressource dans les principaux barrages (Sidi Salem, Sidi Barrak et Beni Mtir…) qui démontre que le pays se trouve dans une situation de stress hydrique aigu. Enfin, l’état de disfonctionnement des secteurs productifs clefs tels que le secteur des phosphates ou autres secteurs miniers prive l’état de ressources indispensables à sa pérennité et à sa solvabilité grâce aux disponibilités financières qu’ils pourraient procurer sur le très court terme.
Quatre conditions seraient à envisager au niveau national pour lever les contraintes entravant l’atteinte des objectifs pour assurer, d’une part, l’approvisionnement en céréales sur le court et moyen terme, d’autre part, sécuriser l’approvisionnement en eau potable et d’irrigation et enfin, permettre d’augmenter les revenus de la vente du phosphate ou des autres secteurs miniers.
Dans un premier temps, rappelons qu’il existe des études ou réflexions stratégiques relatives aux sous secteurs sus mentionnés qu’il faudrait exploiter et éventuellement compléter. L’essentiel étant de les rendre opérationnelles et de les utiliser comme instrument de prise de décision en les adaptant en temps réel à la réalité. Elles ne sont, cependant, pas suffisantes à elles seules, car il est indispensable de gérer au quotidien les difficultés qui émergent et entravent l’atteinte des objectifs.
A titre d’exemple, dans le secteur de l’eau, il serait d’abord nécessaire d’analyser les séquences climatiques sur les 30 ou 40 dernières années pour mieux comprendre l’évolution de la fréquence des épisodes de sécheresse. Ensuite, il faudrait établir des scenarii de l’état de disponibilité de la ressource provenant des différentes sources (eaux de surface, eaux souterraines superficielles et profondes), y compris en prévoyant des scénarii très pessimistes d’absence de pluie généralisée dans les deux ou trois prochaines années. Ces scénarii et leur implication sur l’état de la ressource et sur les modes de consommation pourraient aider à identifier des solutions comme l’utilisation combinée de différentes sources d’eau au niveau local et à mieux définir des mesures de gestion de la ressource au niveau local, régional et national.
De la même manière, des scénarii réalistes projetant la production nationale de Blé dur, Blé tendre et Orge sont à établir pour identifier les mesures à mettre en œuvre dans les deux ou trois prochaines années. Parmi elles, des mesures de développement et d’intensification des cultures de blé et d’orge dans les périmètres publics et privés du Nord du pays seraient envisageables, en octroyant des prix plus élevés aux producteurs selon l’origine de la production ou bénéficiant aux petits exploitants intégrant l’agriculture à l’élevage…
Dans un deuxième temps, dans une perspective de volonté partagée de sortie de crise, la discussion des parties prenantes nationales concernées devrait se focaliser sur les solutions techniques relatives aux secteurs sus mentionnés. Seule la discussion de solutions techniques et concrètes susceptibles de sortir le pays de l’ornière et relatives aux priorités vitales permettra d’aplanir les clivages et de rapprocher les points de vue compte tenu de la nécessité d’atteindre dans l’immédiat un résultat palpable au bénéfice du plus grand nombre.
Dans un troisième temps, il semble indispensable de définir des objectifs stratégiques sur le moyen et le long terme pour remédier aux priorités vitales évoquées ci-dessus. L’action immédiate telle que décrite ci-dessus devant alimenter et converger vers l’action sur le moyen et le long terme pour atteindre ces objectifs stratégiques. Compte tenu de l’acuité de la crise que traverse le pays, nous ne pouvons faire l’économie d’une réflexion sur l’avenir de la filière céréalière et des secteurs de l’eau et du phosphate ou des mines. Cette réflexion et la mise en place de mesures pragmatiques pour la gestion coordonnée à moyen et à long terme de ces secteurs devrait bien sûr s’élargir progressivement aux autres secteurs de l’économie. Ces mesures seraient bien sûr adaptées au fur et à mesure de l’évolution du contexte et de la performance des secteurs.
Il est à rappeler que la réflexion stratégique de l’avenir et de la performance des secteurs vitaux de l’économie du pays constitue le socle du développement du pays. Ce développement s’inscrit dans une approche de court mais aussi de très long terme dans lequel l’investissement joue un rôle prépondérant. Lorsque la réflexion stratégique établit les priorités vitales et les enjeux stratégiques et sociaux qu’elles portent, les dispositions, techniques, financières mais également celles régulant les interactions entre les parties prenantes prépondérantes, peuvent être définies plus facilement et se mettre en place progressivement et de manière sure.
L’élaboration et la mise en œuvre de stratégies/politiques sectorielles opérationnelles sur le moyen et long terme, permettront à elles seules de gouverner le pays, de gérer les secteurs et de mobiliser des ressources y compris extérieures indispensables à l’investissement. D’autre part, le renforcement des institutions pourrait aider à construire des relations solides avec les partenaires techniques et financiers internationaux et contribuer à améliorer le capital confiance du pays.
Dans un quatrième temps, et dans un contexte de raréfaction des ressources naturelles, une régionalisation des politiques publiques serait un des principes de l’élaboration des stratégies de développement futures pour donner plus d’autonomie de gestion aux entités régionales et locales. Et ceci, en renforçant la capacité de l’administration centrale au suivi et à l’évaluation de l’articulation et de l’intégration des mesures économiques régionalisées et de la politique économique globale. Et ceci, dans le but d’atteindre les objectifs stratégiques nationaux de développement…
Rym Ben Zid
Consultante en Agriculture comparée et Développement agricole