Riadh Zghal - Tunisie: Le peuple ne veut pas, que faire?
Des intellectuels glosent sur la modernité, la postmodernité et la globalisation. Des médias organisent des joutes entre chroniqueurs et politiciens. Pendant ce temps, la colère gronde face à l’inflation doublée de pénurie de produits de base, le tout dans une atmosphère électorale accompagnée simultanément de propagande officielle et d’appels au boycott des élections venant de nombreux partis politiques. Alors, il devient difficile de lire les enjeux sociaux en gestation. On est plutôt tenté d’y voir une situation chaotique prémonitoire de troubles graves ou, du moins, de rupture politique majeure. La défiance vis-à-vis des gouvernants et le doute grandissant de l’utilité de la démocratie semblent favoriser un courant populiste envahissant. Ce courant est nourri par le besoin d’ordre, quitte à ce qu’il ramène au pouvoir une autorité efficace dans la gestion des affaires publiques.
Désormais, beaucoup craignent davantage la démocratie que l’autoritarisme. Alors, on s’interroge si le processus de transition vers la démocratie a encore du souffle ou s’il est en train de muter pour longtemps en populisme mêlé d’autoritarisme.
Le populisme apparaît comme un phénomène largement partagé dans le monde. Si l’on en croit Wikipedia, il y aurait 48 pays qui disposent d’un ou de plusieurs partis populistes de droite répartis sur les continents européen, américain et asiatique. A cela s’ajoutent 38 partis populistes de gauche à travers le monde. Ce qui unit les populistes de droite et de gauche, c’est leur rhétorique antisystème, leur prétention de parler au nom du peuple et plus précisément des «petites gens», des «déshérités», de ceux que les plus forts «ont spoliés». A chaque parti sa cible adverse responsable des maux dont souffre le peuple. Qu’elle soit de droite ou de gauche, la tendance populiste est clivante, il y a les méchants qui sont, selon la tendance politique populiste, l’élite, les rentiers corrompus, les partis, les mondialistes, les immigrés…Quant au peuple, il est par hypothèse «bon et vertueux», selon les termes de Marc Lazar . Le problème avec le populisme, c’est qu’il s’accommode pour certains d’autoritarisme et inspire à d’autres l’extension démocratique donnant des droits sociaux et politiques aux classes populaires.
Une lecture du paysage politique actuel dans notre pays donne l’impression qu’il est entré dans une situation chargée d’indices de glissement vers l’autoritarisme. Parallèlement, une opportunité de jouir de droits politiques et sociaux s’offre aux classes populaires dans les régions et les localités les plus reculées des centres du pouvoir. En effet, en instituant le vote pour des individus et non des listes de partis, le code électoral décrété par le président de la République a amené à la surface du paysage politique des candidats aux élections législatives hors système, du moins en apparence. Le fait que la candidature soit soumise au soutien de nombreux signataires suggère que chaque candidature a, sans conteste, provoqué une sorte de vague conscience politique chez ceux qui ont été sollicités pour la signature de la candidature. Mais l’affaire n’est pas close, loin de là.
Deux grandes questions se posent avec les problèmes y afférents qu’il va falloir gérer. La première est celle du taux squelettique de participation au scrutin (8,8% des électeurs). Cela était aisément prévisible pour ceux qui observent avec un peu de clairvoyance la courbe descendante des participations depuis la fameuse consultation populaire suivie d’un référendum, les appels au boycott clamés par la majorité des partis politiques, en plus de la venue de candidats sans appui institutionnel d’une formation politique. A cela s’ajoute le rôle minimaliste que devrait jouer le futur parlement selon la constitution fraîchement concoctée par la présidence de la République. Les citoyens n’avaient visiblement rien à attendre de ce scrutin ni de tous ceux qui l’ont précédé, en application du projet politique du président de la République, néanmoins financés par l’argent du contribuable.
La seconde question est inhérente au soubassement populiste de l’ensemble du processus électoral. Le populisme dominant exacerbe l’antagonisme, le clivage, l’animosité et le rejet de l’autre, celui qui est ou a été au pouvoir et ceux qu’il représente, tout autant que le rejet de ceux qui constitueraient «l’élite». En miroir, la classe politique actuelle, même dans l’état de fragmentation où elle se trouve, rejette l’ensemble du processus politique qui a débuté le 25 juillet 2021. Tout cela génère un climat marqué par l’adversité sans qu’émerge à l’horizon un leadership fédérateur, en mesure d’apporter des réponses crédibles à la crise multidimensionnelle et menaçante pour la paix sociale.
Ces élections législatives sont supposées concrétiser la démocratie représentative, mais rien n’augure de leur légitimité au vu du taux de participation au scrutin. Cela fait craindre le creusement des rivalités entre le pouvoir qui reste concentré aux mains du président de la République, et le reste des formations politiques en plus des organisations de la société civile les plus importantes.
Il faut maintenant se rendre à l’évidence afin d’éviter le pire et admettre que le processus enclenché par le président a échoué. Il est temps de regarder la réalité en face, l’heure n’est plus au juridisme qui a ruiné le pays depuis qu’il s’y est installé en 2011. L’intensification de la crise financière et économique rend la situation du pays de plus en plus explosive socialement et menace la stabilité nationale.
Le pays a besoin d’une gestion politique de haute compétence pour éviter le pire. Il s’agit non seulement de prémunir le pays contre la banqueroute mais aussi d’œuvrer pour une concorde nationale sans laquelle un redressement économique est impossible.
Le pays a besoin de la mobilisation des différentes forces vives de la nation. Qu’il s’agisse d’investissement, de bonne gouvernance, de productivité du travail, de freinage de la vague de fuite des cerveaux, il y a nécessité de confiance dans les dirigeants et de croyance dans la légitimité des institutions.
Mobiliser de grandes compétences s’impose à cet effet pour élaborer les bonnes stratégies, prendre les décisions pertinentes. Cela ne s’improvise plus désormais mais exige des savoirs pluridisciplinaires, de l’expérience et de la pédagogie pour convaincre le plus grand nombre de la justesse des choix dans un contexte de transition démocratique. Malheureusement, cela ne semble pas faire partie de l’agenda du pouvoir actuel en place.
Riadh Zghal