La pénurie, une occasion pour changer d’habitudes et d’innover, le café comme exemple
Par Ridha Bergaoui - La Tunisie connait ces derniers temps une pénurie de nombreux produits alimentaires importants. Le café est absent chez l’épicier et sur les rayons des grandes surfaces. Des citoyens chez les torréfacteurs font la queue pour se procurer le peu de cette précieuse poudre. Le café mélangé a complètement disparu, le café pur normal également.
Le Tunisien est devenu un véritable fan de café. L’Office de Commerce détient le monopole de l’importation du café qu’il cède aux torréfacteurs et usines de café. Son Directeur Général avait déclaré en septembre dernier que la consommation de café en Tunisie est de 30 000 tonnes/an soit une consommation de 2,500 kg/habitant/an. La Finlande détient le record mondial de la consommation du café avec 12 kg/habitant et par an, la France 5,4 et l’Algérie 4 kg.
Avec la crise mondiale du Covid-19, la guerre en Ukraine, la perturbation des circuits de commercialisation et du transport maritime, les cours du café ont connu une envolée importante les deux dernières années pour atteindre des niveaux inimaginables.
La Tunisie est le seul pays qui subventionne le café. Avec la dépréciation du dinar, l’écart, entre le prix d’achat du café par l’OCT et le prix de vente aux consommateurs, ne cesse de se creuser et la subvention de gonfler. Associés aux difficultés d’approvisionnement que connait l’OCT et la spéculation, ces facteurs ont conduit à une pénurie du café qui vient allonger la liste des produits manquants comme le lait, huile de soja, le sucre…
Toutefois, autant ces derniers produits sont indispensables pour le citoyen consommateur autant il est facile et intéressant de se passer en partie de l’importation café.
Un peu d’histoire
L’introduction et la consommation du café en Tunisie remonte à assez loin. Quoique certains l’attribuent au saint «Sidi Belhassen Chedly» en 1200, d’autres considèrent que le café a été réellement introduit et devenu populaire sous la domination Ottomane au XVIe siècle. Les locaux étaient sans fenêtres et on s’asseyait sur des nattes et des poufs pour boire le café à la mode Turque préparé dans la «zezwa» traditionnelle et agrémenté à la fleur d’oranger.
Le café turc est également consommé à la maison, à côté du thé vert ou noir qu’on avait l’habitude de boire après les repas. Jeune, ma mère torréfiait les graines vertes du café sur le kanoun. Une fois les graines bien grillées et noires, elle les plaçait dans une boite tout en ajoutant de la pelure d’orange séchée. J’amenai la précieuse boite au moulin en ville arabe. On entendait de loin le grincement des machines. Le meunier versait les graines dans le moulin destiné à cet usage et les broyait finement. Plus tard on achetait le café, fraichement moulu, de chez le torréfacteur. Enfin on trouva le café emballé dans les sachets chez l’épicier et les grandes surfaces.
Les colons ont introduit les cafés du style occidental avec terrasses, tables et chaises. On y servait essentiellement le café filtre. La machine à café est constituée de deux colonnes en inox l’une pour chauffer l’eau, l’autre pour récupérer le café filtre qu’on pouvait boire seul ou au lait. Plus tard, le café italiens «expresso» a fait son apparition. Il s’agit d’un café court, très fort, préparé avec une machine spéciale qui injecte, sous pression, de l’eau bouillante à travers du café finement moulu et tassé placé dans un porte filtre amovible. Le résultat est une tasse de café chaud, un vrai concentré de saveurs et d’arômes, surmonté d’une belle couche crémeuse et moussante couleur chocolat. On peut ajouter du lait pour un «cappuccino» ou le mettre dans une plus grande tasse de lait pour en faire un «Direct».
De nos jours, des machines à café destinées à un usage domestique existent. On trouve des machines pour café filtre et de plus en plus des machines à dosettes ou à capsules avec différents aromes (vanille, noisette, caramel, chocolat…). Dans le commerce on trouve également du café soluble, très pratique et facile à reconstituer.
Face à la pénurie du café
Le café contient un excitant important : la caféine. Celle-ci est un stimulant vecteur d’énergie, elle procure des sensations agréables de bienêtre et de lucidité. Le café est l’allié des veilleurs-tard, des travailleurs de nuit, des étudiants durant les périodes des examens… La caféine est toutefois une substance addictive et peut avoir, en cas d’excès, des conséquences négatives sur la santé: nervosité, irritations de l’estomac, insomnies, accélération du rythme cardiaque… Le café est considéré comme produit dopant pour les sportifs et interdit par les comités des jeux olympiques. Il est conseillé de boire le café avec modération sans excès.
Par ailleurs l’extension de la culture du café dans le monde, à côté du développement des cultures industrielles comme le soja, l’huile de palme, le cacao…, a conduit à la déforestation et à l’accumulation des Gaz à Effet de Serre, en partie responsables du réchauffement climatique. Afin de lutter contre le changement climatique, les écologistes appellent à combattre la déforestation et réduire les cultures industrielles dont le café.
En Tunisie, face à la pénurie actuelle du café, il est possible de ne rien faire en attendant le dénouement de la crise. Le gouvernement semble toutefois déterminé à réduire, avec le moins de dégâts possibles, les subventions des produits alimentaires et alléger la Caisse Générale de Compensation.
Quoique la compensation sur le café soit relativement faible, comparée à celle des céréales ou celle de l’énergie, il serait toujours intéressant, dans le cadre de la révision du système de compensation et afin d’orienter les subventions aux personnes qui les méritent vraiment, de lever la subvention sur le café. Celle-ci profite actuellement surtout aux cafetiers des quartiers chics qui vendent la tasse de café à des prix exorbitants.
Il est grandtemps de libérer l’OC de l’importation et la gestion du café, d’arrêter le monopole de l’Etat et de privatiser le secteur. Sans la subvention, le café pur serait peut-être plus cher. Toutefois des alternatives au café classique (Arabica ou Robusta) existent et représentent des avantages certains tant au niveau du prix qu’au niveau des effets sur la santé.
La chicorée
Beaucoup moins chère que le café, elle a été souvent utilisée dans de nombreux pays Européensjusqu’à la fin du XXe siècle. En Tunisie, les cafetiers des quartiers populaires l’utilisaient pour confectionner un café satisfaisant et bon marché. Elle revient à la mode du fait qu’elle est exempte de caféine et autres excitants nocifs. Elle peut être consommée seule ou mélangé au café.
La chicorée est une plante originaire du bassin méditerranéen. C’est Napoléon Bonaparte qui, pour faire face au blocus imposé par les Britanniques, a ordonné le développement de la culture de la betterave sucrière (pour remplacer le sucre de canne) et la chicorée (pour remplacer le café traditionnel). C’est la racine de la chicorée qui est coupée, râpée, séchée, torréfiée et moulue. Son gout est légèrement amer, caramélisée.
La chicorée est riche en fibres, minéraux et pauvre en calories. Elle a de nombreux effets favorables sur la santé (renforce les défenses naturelles, améliore la digestion, stimule la flore intestinale…). Le jus de chicorée ne contient aucun excitant et peut-être bue le soir tard sans inconvénient.
La chicorée est peu exigeante et peut être produite chez nous sans trop de difficultés. Le développement de sa culture en Tunisie permettrait de faire des économies de devises, de créer des emplois aussi bien dans le domaine de la production que de la transformation, de préserver l’environnement et de présenter une alternative santé intéressante (dépourvue d’excitants) au consommateur. Le chicorée-café remplacerait ainsi avantageusement le café classique.
Le café d’orge
L’orge grillée peut être utilisée pour préparer un produit qui ressemble au café. Depuis les années 1980, et dans le cadre d’une politique d’austérité menée par M. Mzali, et afin de comprimer la subvention sur les produits alimentaires, on a introduit le café mélangé. On a utilisé d’abord du pois chiche puis de l’orge, beaucoup moins chère. De nos jours, le café mélangé est constitué de moitié café et moitié orge.
A côté de son prix très bas, le café d’orge présente de nombreux avantages santé. Sans caféine, l’orge est riche en vitamines, minéraux et fibres. Le café d’orge améliore la digestion et réduit le ballonnement de l’abdomen, permet de réduire le taux de sucres dans le sang, un détoxifiant, aide à la concentration…
Sur le plan du gout, on est proche de celui du café pur avec une légère amertume et une note noisette-caramel. L’utilisation de l’orge pour la confection du café est très ancienne et très populaire dans de nombreux pays en Europe de l’Est et en Asie. Le Tunisien est habitué depuis de longues années à la présence de l’orge dans le café et ne s’en plaint nullement. Commercialiser un tel produit présente de nombreux avantages surtout que l’orge est la seconde céréale cultivée en Tunisie.
Les noyaux de dattes
Les noyaux de dattes sont également une bonne alternative au café pur. C’est un sous-produit des dattes et de la culture des palmiers dattiers. Il est abondant lors de la fabrication de la pâte de dattes utilisé en pâtisserie. Les noyaux de dattes sont riches et il est possible de les valoriser. Grillés on peut en fabriquer une alternative intéressante au café. En Tunisie, certains promoteurs commercialisent déjà un tel produit.
La poudre des noyaux torréfiés de dattes présente de nombreux avantages santé et apporte de nombreux nutriments. Le café des noyaux est bon pour les reins, combat les insomnies, permet de lutter contre le stress et les problèmes cardio-vasculaires…
La poudre des graines de la gousse du caroubier
La gousse du caroubier est très intéressante. Elle est riche en sucres, amidon, protéines, tannins et sels minéraux. La pulpe a un gout chocolaté et peut être utilisée pour la préparation d’une boisson très agréable. Elle possède de nombreuses vertus médicinales et a été longtemps utilisée pour lutter contre les diarrhées.
Les graines (jadis utilisés pour comme unité de poids des pierres précieuses : le Carat) sont très demandées pour l’extraction de la gomme utilisée comme épaississant dans l’industrie agroalimentaire. Les graines grillées représentent un excellent substitut du café.
Chicorée, orge, noyaux de dattes, pépins des gousses de caroubier et bien d’autres produits peuvent avantageusement remplacer le café qui nous coute beaucoup de devises, fait tort à notre santé, peu disponible et nous pose tant de tracas. Cela permettra également de diversifier l’offre et de présenter au consommateur une gamme plus large de goûts et de prix.
Il est nécessaire d’encourager toute initiative de recherche et d’innovation visant notre indépendance alimentaire vis-à-vis des marchés étrangers. Faut-il d’abord lever le monopole de l’Etat, libérer les prix du café et encourager l’initiative privée.
Ridha Bergaoui