Mahmoud Triki : Mesures à considérer pour le développement du Secteur de l’Enseignement Supérieur en Tunisie
L’émergence de «l’Economie du Savoir» a fait du capital humain le principal déterminant du niveau de compétitivité des entreprises et des pays. Il s’est développé «un marché international du savoir» obéissant aux lois de la concurrence entre universités et pays. La Tunisie a tous les atouts pour se positionner dans ce marché et devenir une destination éducationnelle de référence à l’échelle internationale. Depuis l’indépendance, le Président Bourguiba n’a pas cessé d’encourager et de soutenir les investissements dans le développement des cerveaux (Al Amkhakh, Al Admigha). Il a toujours considéré que notre meilleur système de défense est l’éducation du peuple.
Notre système universitaire se distingue par la centralisation des décisions au niveau du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, l’offre de programmes déconnectés des compétences recherchées par les entreprises, et la standardisation des programmes. Cette situation est à l’origine de la dégradation du système dans son ensemble et du taux élevé de chômage parmi les diplômés.
I- Le Contexte
1- La rapidité des changements technologiques imposant aux cadres en exercice une mise à niveau périodique de leurs compétences techniques et managériales ;
2- L’impact de la pandémie Covid 19 sur l’organisation et le fonctionnement des programmes universitaires a ses aspects positifs. Grace aux percées dans les domaines des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) qui ont réduit les distances et les contraintes imposées par la pandémie du Covid 19 et impacté l’organisation et le fonctionnement des institutions universitaires dont notamment la Digitalisation des Programmes et l’Enseignement à Distance,
II- Opportunités de Développement
1- Reconsidérer la Mission et le Rôle du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, Il ne peut pas être à la fois (1) le régulateur et le promoteur du secteur et (2) l’opérateur du système.
2- Décentraliser, responsabiliser et donner aux universités publiques davantage d’autonomie de gestion académique dont notamment le développement de leurs programmes, le recrutement, l’évaluation et la promotion de leur corps professoral, l’admission des étudiants à inscrire dans leurs différents programmes mettant ainsi fin au système d’orientation des bacheliers qui tient compte principalement des résultats du Bac, et la gestion financière de leurs universités. L’allocation des budgets accordés par l’Etat aux différentes universités doit tenir compte (1) des accréditations internationales des programmes de l’institution, (2) du taux d’employabilité et du niveau des salaires de départ offerts au recrutement des diplômés de l’institution, et (3) de la qualité des recherches et des publications du corps enseignant.
3- Permettre aux universités publiques de (1) privatiser certaines de leurs activités dont le perfectionnement de cadres en exercice, (2) réserver un pourcentage de leur capacité d’accueil pour l’inscription d’étudiants internationaux de sorte à favoriser le développement d’un environnement multiculturel fort bénéfique aux étudiants tunisiens et (3) sans mettre en cause la gratuité des études aux étudiants tunisiens, faire payer aux étudiants internationaux les programmes de formation à leurs coûts réels. Au-delà des recettes en devises, un étudiant international est un touriste résident pour la durée de son programme d’étude et un futur ambassadeur de la Tunisie dans son pays d’origine. A titre indicatif, pour l’année 2019, les recettes en devises provenant de l’inscription d’étudiants internationaux inscrits dans des universités américaines sont de l’ordre de 42 milliards de Dollars.
4- Mettre fin au cloisonnement des institutions universitaires et permettre aux étudiants d’une institution de prendre une partie de leur programme dans une autre institution après accord de son institution d’origine. En effet, un étudiant inscrit à l’ENIT doit pouvoir prendre des cours de Gestion à la FSEG et vice-versa. Par ailleurs, un étudiant peut changer de spécialité et/ou d’institution et faire valoir les cours pris dans son institution d’origine pourvu qu’il répond aux exigences pédagogiques du programme et de l’institution ciblée.
5- Reconsidérer les Lois régissant l’organisation et le fonctionnement des universités privées qui leur interdisent l’utilisation de l’appellation université et les limitent à une seule implantation géographique et à une seule spécialité alors que le marché de l’emploi demande la polyvalence des formations. A l’encontre de l’université publique, l’université privée doit être performante pour assurer sa survie. Notons que 12 des 20 premières universités du classement de Shanghai sont privées dont Harvard, MIT, Stanford et autres.
6- Encourager les universités publiques et privées à l’accréditation internationale de leurs programmes,
7- Instaurer le régime Offshore pour attirer les universités de renommée à organiser en Tunisie leurs programmes ciblant les pays méditerranéens et africains.
8- A l’image du développement de zones touristiques (Nabeul- Hammamet, Kantaoui, Djerba), élaborer une stratégie pour favoriser le développement de «cités du savoir» (Knowledge Cities) dans différentes régions du pays et instaurer le régime off-shore pour attirer les universités de renommée à s’installer en Tunisie et ainsi contribuer au rayonnement scientifique de la Tunisie et attirer des étudiants internationaux. Il est à noter que le «tourisme éducationnel est plus stable que le tourisme de loisir et moins vulnérable aux aléas politiques». Le Liban est un cas en espèce.
Dr. Mahmoud Triki
Universitaire Fondateur de la South Mediterranean University (SMU)