Kamel Ayadi - Tunisie: Faut-il accepter ou rejeter les résultats des derniers sondages ?
‘’Les temps durs créent les hommes forts, les hommes forts créent les bons moments, les bons moments créent les hommes faibles, les hommes faibles créent les temps durs’’….
Les derniers sondages de Sigma Conseil ont suscité un rejet massif sur les réseaux sociaux, tant leurs résultats sont surprenants et complètement inattendus, surtout sur la question des intentions de vote aux présidentielles. Je ne vais pas crier à la manipulation, comme l’ont fait beaucoup de Tunisiens, qui ont choisi le déni et la diabolisation comme moyen d’expression. Je vais essayer plutôt de poser les bonnes questions pour essayer de comprendre. Il n’y a pas plus simple que de se voiler la face pour renier l’existence d’un problème.
Bien sûr, je n’accorde pas une crédibilité absolue aux sondages d’opinion, non pas parce qu’ils peuvent être orientés, à bon ou à mauvais escient, ou carrément manipulés, ce qui n’est pas à exclure non plus, mais parce que les sondages d’une façon générale peuvent ne pas restituer la réalité dans ses vraies dimensions. Les sondages d’opinion peuvent être facilement biaisés, même de manière non intentionnelle. Parmi les biais les plus connus, qui peuvent décrédibiliser les résultats des sondages, il y a ce qu’on appelle le ‘’biais de la désirabilité’’ (social and political desirability bias) qui fait que celui qui est interrogé sur une question qui est soit socialement sensible, soit carrément tabou ou politiquement embarrassante risque d’être amené à donner la réponse la plus socialement désirable ou la plus politiquement acceptable. Vous imaginez donc que lorsqu’un citoyen lambda est pris au dépourvu par un appel téléphonique provenant d’une personne qu’il ne connait pas et qui lui demande de se prononcer sur son candidat de choix à partir d’une liste sur laquelle figure un président en exercice, que la réponse peut ne pas refléter l’intention réelle. Dans les quelques minutes qui lui sont accordées pour répondre il peut s’imaginer de nombreux scénarios qui peuvent biaiser sa réponse.
Pour le cas d’espèce la vague de rejet des résultats laisse penser que la majorité absolue des citoyens ne se reconnaissent pas dans ces résultats. Beaucoup de Tunisiens ont tendance à s’installer dans cette zone de confort. C’est aussi un fait trompeur car ceux qui s’y reconnaissent ne s’expriment pas forcément sur ce sujet, soit parce qu’ils n’en éprouvent pas le besoin ou parce qu’ils n’ont pas les moyens de le faire : parmi les personnes sondées, il y a bien évidemment des gens analphabètes et d’autres qui n’ont pas un Smartphone pour exprimer un point de vue sur les réseaux sociaux. Donc la réaction la plus véhiculée sur les réseaux sociaux par rapport à ces résultats, peut également s’avérer insignifiante et non représentative de la masse des Tunisiens.
Ceux qui s’attendent à ce que les sondages leur fournissent les résultats qu’ils souhaitent ne font que se tromper par eux-mêmes en niant la réalité. Les sondages ne font que traduire une réalité qui est toujours surprenante, souvent inattendue car on est souvent amené à projeter nos espoirs et nos fantasmes sur les autres. Partant de là, la réaction la plus sage dans des situations pareilles c’est de ne pas rejeter en bloc les résultats d’un sondage avec déni et narcissisme, mais de les accepter, de les critiquer bien sûr et de les analyser pour en tirer des conclusions.
Dans le contexte qui est le nôtre, des résultats pareils, suscitent naturellement deux types de réaction: La première qui est la plus répandue, est une réaction défaitiste, désespérée, quelque part compréhensible, devant une majorité écrasante des Tunisiens qui n’ont rien saisi de l’enjeu des élections pour l’avenir du pays. Une majorité qui n’a pas le minimum requis des ressources intellectuelles pour opérer un choix stratégique dans des élections aussi importantes que les présidentielles.
Une deuxième réaction, la plus sage est celle d’une minorité de Tunisiens qui prennent cette donnée statistique, indépendamment de sa précision, comme l’alerte d’un danger imminent, pour lequel il faudra se mobiliser. Dans d’autres cieux, des résultats pareils auraient soudé la classe intellectuelle dont la majorité est choquée par des résultats pareils et aurait généré un élan massif pour contrecarrer le danger annoncé. Les dés ne sont pas encore jetés .IL y a une marge de travail pour changer la donne.
Après tout, ces citoyens qui votent en masse par inconscience et qui pensent naïvement que des K2rim des Olfa Hamdi des Safi Said sont la solution pour un pays meurtri, ne sont que les nôtres, des Tunisiens comme nous et qui vivent avec nous, qui sont à notre portée. C’est un défi qui est lancé à toute la classe des Tunisiens qui croient savoir ce qu’il faut pour la Tunisie dans ces moments difficiles. Ghandi a réussi à changer un milliard de personnes et les as façonnés selon sa propre manière de penser. La Tunisie traverse des temps difficiles certes, mais l’espoir est toujours permis. ‘’ Les temps durs créent les hommes forts, les hommes forts créent les bons moments, les bons moments créent les hommes faibles, les hommes faibles créent les temps durs’’…. Tout comme la nature qui est une succession de saisons, la vie est une succession de cycles depuis l’aube des temps. Il suffit de croire qu’il est toujours possible de sortir du creux de la vague.
Kamel Ayadi
Ancien Ministre