Marouane El Abassi: La Banque centrale favorisera l’open banking
La Banque centrale de Tunisie entend «être une Banque Centrale crédible, résiliente, et innovante, à l’avant-garde des transformations financières, inclusives et durables» a affirmé son gouverneur Marouane El Abassi. Ouvrant les travaux des Journées annuelles du Club des Dirigeants de Banques et Etablissements des Crédits d’Afrique» qui se tiennent à Tunis sous le thème : «Quelle réglementation bancaire pour les économies africaines ?», il a rappelé les diverses mesures prises à cet effet. Le gouverneur El Abassi a déclaréque «la BCT entend implémenter une politique d’Open Banking afin de favoriser l’émergence de nouveaux cas d’usage plus attrayants qui profiteraient à toutes les parties prenantes de la chaîne de valeur des services financiers. »
Texte intégral
Comme partout dans le monde, nous venons de vivre trois années marquées par une crise sanitaire multifacette d’une rare profondeur et qui a frappé de plein fouet les économies africaines.
Les institutions bancaires n’ont pas été épargnées des retombées de la crise qui leur a imposé non seulement de faire face à de nouveaux besoins et à des sollicitations fortes de soutien à l’économie, mais leur a également dicté une modification profonde dt radicale de leurs stratégies et modes de fonctionnement.
S’il est vrai que le renforcement du cadre de régulation du secteur bancaire a permis aux banques de par le monde, dont les banques africaines, de faire preuve de résilience, de flexibilité et de réactivité face à la crise, les régulateurs africains se retrouvent actuellement appelés à gérer de nouveaux enjeux et défis qui viennent s’ajouter aux répercussions de la crise sanitaire et qui façonnent d’ores et déjà le monde post-covid:
• Le premier défi a trait à la situation géopolitique marquée par une instabilité due notamment au conflit en Ukraine qui a eu pour effet immédiat un renchérissement des denrées alimentaires et des hydrocarbures mettant en péril la sécurité alimentaire et énergétique,
• Le deuxième défi est lié aux perspectives économiques dans un contexte marqué par des tensions inflationnistes qui fragilisent davantage le tissu économique et impactent le pouvoir d’achat des citoyens avec le risque d’exclusion de certaines franges de la population,
• Le troisième défi consiste en la promotion de l’inclusion financière qui doit être l’affaire de tous et qui passe, notamment, par la facilitation de l’accès aux services bancaires de base, le développement de relations de confiance avec la clientèle bancaire et la garantie de leur protection via la prévention du surendettement, une transparence accrue, une tarification responsable, un traitement respectueux et équitable des clients.
• Le quatrième défi scrute l’accélération des mutations liées à la révolution numérique porteuse d’opportunités à saisir mais concourant également à l’émergence de nouveaux risques que le secteur bancaire devra correctement appréhender pour réussir cette transformation,
• Le cinquième défi concerne le dérèglement climatique (sécheresse, désertification, tarissement des ressources hydrauliques, érosion des côtes…) auquel notre continent demeure fortement exposé malgré sa faible contribution aux émissions de gaz à effet de serre.
L’ensemble de ces enjeux appelle à un changement de paradigme n’interpellant pas uniquement les institutions financières, mais également les régulateurs bancaires africains, avec une rupture progressive avec l’approche de régulation bancaire «régalienne» en faveur d’une résilience inclusive. Les autorités de régulation sont à ce titre appelées, à s’acquitter du rôle de propulseur et de facilitateur afin d’ancrer la dimension économique et sociale dans la gouvernance des banques assujetties dans leurs modèles d’affaires.
Ils doivent aussi assurer le rôle d’accompagnement que ces autorités sont supposées jouer pour faciliter et réussir la transition escomptée pour disposer, in fine, d’un système solide à même d’assurer un financement sain, durable, responsable et inclusif.
Aussi, le foisonnement de nouveaux acteurs tels que les fintechs pose-t-il un véritable challenge aux régulateurs qui sont amenés à migrer progressivement d’une approche «rule-based» vers une approche «principle-based» plus favorable à l’expérimentation et à l’émergence de l’innovation.
La résilience, cheval de bataille de tout régulateur, constitue la pierre angulaire de tout système bancaire sain.
A ce titre, la Banque Centrale de Tunisie a toujours œuvré pour la consolidation financière du système bancaire d’une manière quasi ininterrompue avec pour but ultime, l’émergence d’un secteur bancaire plus solide et au service du développement durable.
Dans ce cadre, la BCT a œuvré, depuis 2011, pour la mise en place d’une stratégie de modernisation du cadre légal, réglementaire et opérationnel régissant l’exercice de l’activité bancaire en Tunisie. La convergence vers les standards internationaux et la consécration des principes de bonne gouvernance, d’équité concurrentielle et de transparence constituent la ligne directrice de toutes ces réformes, tout en optant pour une approche concertée et graduelle qui tient compte des spécificités du contexte national et de la capacité d’adaptation des banques tunisiennes.
Dans ce processus, l’année 2016 constitue une année charnière qui a marqué l’entrée dans un nouveau palier de réformes à travers la refonte de la loi portant statuts de la BCT qui a consacré l’indépendance de l’Institut d’Emission et a défini de manière claire ses missions fondamentales et ce, outre la refonte de la loi bancaire qui a renforcé le pouvoir de la BCT en matière de supervision bancaire et a mis en place un dispositif de gestion des banques en difficulté.
Sur un autre plan et étant consciente de la nécessité d’asseoir les bases d’une éthique financière et de préserver l’intégrité du système financier, la BCT continue à œuvrer pour le renforcement du dispositif national de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme conformément aux standards internationaux.
Les performances affichées par les banques qui ont fait preuve d’une capacité d’absorption des chocs satisfaisante suite à ce train de réformes constituent autant d’acquis nécessaires pour accéder sous peu à d’autres paliers de réformes.
Ainsi, consciente des nouveaux défis auxquels doit faire face le secteur bancaire, la BCT a choisi comme slogan pour son nouveau plan stratégique 2023-2025 «Être une Banque Centrale crédible, résiliente, et innovante, à l’avant-garde des transformations financières, inclusives et durables» et s’est fixé, entre autres objectifs, la totale conformité avec les standards bâlois et les normes IFRS en 2023. Elle a également axé ses orientations à court et moyen termes sur la promotion des moyens et systèmes de paiement en tant que levier pour l’inclusion et la stabilité financière, l’ancrage de la dimension RSE dans la régulation, la gouvernance et les pratiques du système bancaire ainsi que la consolidation de son rôle comme facilitateur et acteur de premier plan dans l’accompagnement des innovations technologiques et financières.
D’ailleurs, la BCT avait déjà montré le cap à travers le lancement de plusieurs initiatives en matière de transformation digitale comme l’implémentation d’une «Sandbox réglementaire» qui permet d’être à l’écoute des Fintechs et de les accompagner dans leurs processus d’innovation. Elle s’apprête actuellement à lancer la «Sandbox Express» ayant pour objectifs, d’une part, de donner aux banques qui ont l'intention de commercialiser des solutions digitales l’opportunité de le faire dans un mode Fast Track adapté aux solutions «compliant» et d’autre part, de permettre à la BCT de s’assurer de la robustesse de ces solutions avant leur lancement.
De même, la BCT entend implémenter une politique d’Open Banking afin de favoriser l’émergence de nouveaux cas d’usage plus attrayants qui profiteraient à toutes les parties prenantes de la chaîne de valeur des services financiers.
Nos pays africains vivent certes de grands défis, mais nourrissent également de grands espoirs qui nécessitent des efforts concertés de la part de l’ensemble des parties prenantes et un rapprochement des points de vue des régulateurs africains afin de réussir à relever ces défis et d’aboutir à l’intégration panafricaine tant souhaitée.
Il faut surtout oser et y croire; ce qui m’amène à me référer à une citation du grand Nelson Mandela «Cela semble toujours impossible, jusqu’à ce qu’on le fasse». J’espère qu’on va le faire ensemble.
Allocution prononcée lors de l’ouverture des Journées annuelles du Club des Dirigeants de Banques et Etablissements des Crédits d’Afrique ayant pour thème: «Quelle réglementation bancaire pour les économies africaines?»