Ahmed Ben Hamouda - Tunisie: Le mal de la posture
Par dépit pour mon pays et ce qui s’y passe, je médite souvent la poésie d’une chanson de Jean Ferrat qui décrit un grillon confiné dans sa cheminée... Il y rend hommage à cet insecte douillet, qui; tout en affectionnant le soleil et la lumière, vit en solitaire. Le chant du grillon, en fait sa mélodie est perçue par cet artiste engagé comme un appel assourdissant à fusionner, à s’accoupler, à chercher refuge et à fuir l’hostilité… Mais, quand l’adversité est là et que les parasites sévissent, le grillon vulnérable et sans défense, choisit le suicide...
Là s’arrête évidemment la métaphore pour mon pays, mon peuple et son ambition! Cette chanson bijou ne devrait être ni prémonitoire ni sonner le glas à notre possible sortie aux lumières, même si le cauchemar de notre gouvernance est bien là, à désabuser les plus optimistes!
Notre pays vit depuis longtemps un insidieux sentiment de lassitude et de fatigue de lui -même. Il se cabre de plus en plus face à ce cap, sans lui trouver de solution… Il en est même à cette situation paradoxale où, pour se consoler et oublier son abattement, espère en un chaos qui mène à une délivrance... Ce qu’il vit replonge dans le souvenir de certaines des théories, qu’entre autres, les économistes affectionnent et prescrivent pour les sociétés en souffrance de gouvernance: aller vers l’insensé de la destruction pour édifier et renforcer!
Cette recommandation, inspirée par le monde de l’absurde, pose une question que l’actualité de mon martyr de pays met en relief: pourquoi s’abandonner à une situation de fiasco alors que tout appelle à l’éviter?… Vous le comprenez, c’est moins la question qui sidère que le fait qu’il se trouve parmi nous certains qui s’en délectent et qui sont charmés par le voyage incertain et possiblement morbide de nous-autres, leurs concitoyens, dans l’inconnu! …
En ce temps d’incertitude et face à nos démons de division, je pose simplement la question et m’engage à y répondre, clairement: Qu’est-ce qui ne marche pas chez nous et que faire politiquement pour nous en sortir?
Pour faire vite, ce qui ne marche pas dans notre pays tient essentiellement à un mal insidieux qui nous ronge depuis la prise en charge par nous-mêmes tunisiens des rênes du pays et auquel notre réponse, claire à l’indépendance, ne parait plus suffire aujourd’hui.
Ce mal insidieux est celui de la posture vis-à- vis de ce que nous sommes, ce qu’est notre grammaire, ce qu’est notre ambition et ce que doit être en conséquence notre gouvernance.
Tergiversations autour de la posture
Au-delà du body langage et de la simple identité ou comme il plait à certains d’el «Houiya», par posture j’entends les attitudes et les valeurs qui nous animent nous autres tunisiens dans cet environnement interconnecté, complexe et changeant.
Autrement dit, quelle est notre position, quelle est notre place et comment décliner notre ambition de pays dans ce monde? ... Evidemment, interroger et préciser la posture c’est fixer les jalons de la gouvernance politique, économique et sociale des tunisiens…
Le mal de la posture était constant dans cette terre d’Ifriqya… Limitons-nous ici à l’indépendance et voyons en quoi il y était également le problème central rencontré par le pays.
Les politiques de l’époque, étaient, comme ceux d’aujourd’hui, sans expérience réelle du management de l’Etat et des institutions. Ils étaient divisés quant à la vision et au positionnement du pays. Eux qui avaient historiquement souffert de l’injuste sort réservé aux colonisés, eux qui étaient témoins à leur jeunesse des boucheries guerrières de masse, des assassinats et des exils aveugles; n’étaient pas à une lecture unitaire de la posture à adopter. Ce problème de la posture était à l’époque résolu après une épreuve de divisions entre leaders du pays, de luttes entre factions et des assassinats politiques...
Nos prédécesseurs de l’époque étaient péniblement arrivés à s’en prémunir… L’explication de leur réussite était simple : l’autoritarisme et la légitimité de Bourguiba d’une part, l’euphorie de l’indépendance de l’autre. Or à côté de ces facteurs explicatifs, il faut ajouter la fatigue d’une parenthèse douloureuse de bras de fer et surtout un autre élément majeur qui poussait au final à la raison... Cet élément majeur était le peuple…
Oui le peuple, cette «poussière d’individus» ces incultes et analphabètes, voulaient eux aussi de l’imposition de la posture de la Tunisianité. Ce peuple du temps de l’indépendance était moins dans la division que ne l’étaient ses propres dirigeants et il était moins dans la haine de lui-même que ne l’est le peuple d’aujourd’hui.
Ce peuple là ressentait comme une nécessité le devoir de se fédérer autour d’un projet national de Tunisianité… Il en voulait de ce projet attrayant et en résonance forte avec une ambition d’exister, de s’affranchir et de regagner une place dans le concert des nations !...C’est que ce projet ne lui était pas externe. Il ne venait pas d’un colon ou d’un protecteur, toujours là, visible, conquérant et dominateur. Il ne lui paraissait pas non plus artificiel, venant d’une élite moderniste, sans pied pays et déconnectée de l’émotion du terroir ... Le projet de posture de Tunisianité émanait en fait des tréfonds d’une identité spoliée et longtemps soumise aux appétits impériaux.
Les Tunisiens espéraient beaucoup de cette posture censée les engager autour d’une élite gouvernante dans une phase nouvelle et dans une ambition à réaliser. L’élite de l’époque, composée de vieux briscards, scarifiés par les épreuves du protectorat, avait donné des gages de patriotisme et disposait de la confiance interne de leurs compatriotes pour s’étoffer de profils de jeunes loups venus d’autres sérails. L’autoritarisme de Bourguiba, son charisme, c’est-à-dire les qualités dont le personnage était supposé disposer et que le peuple percevait réelles, suffisaient pour légitimer un projet de posture fait de développement, de confiance en soi et d’ouverture sur le monde.
Evidemment, après 53 années de règne de Bourguiba et de Ben Ali et après la difficile parenthèse de bientôt 12 ans de transition, le mal de la posture est réapparu avec la démesure de ses symptômes. Il n’est plus aujourd’hui du même ordre, de la même teneur, du même contenu et donc passible de la même gouvernance qu’au moment de l’immédiate après indépendance du pays! La situation exige aujourd’hui une lucidité, une vision, des moyens et un leadership qui manquent à la scène. Des brouillages, des fissures et depuis 2011 des saccages particulièrement graves ont fait que les tunisiens se sont éloignés d’une posture consensuelle et à sens qui pourrait ressouder les fondations du pays et laisser espérer en une résurrection.
Pour rester dans l’actualité, la période transitoire a approfondi ce mal de posture jusqu’à installer le pays dans une situation inextricable. Vécu à tort par les acteurs politiques actuels comme un nouveau temps de pouvoir où tout serait permis, cet intermède de transition n’a pas été capable de tirer avantage de la vague libertaire et démocratique inscrite dans l’évolution historique inéluctable des peuples et a fait dévier le pays d’une sève de posture à sens. La critique vaut pour l’épisode de la troïka, pour la période de volte face de Béji Caïed Essebsi et pour les récents scenarii de bras de fer entre activistes d’avant et d’après le 25 Juillet 2021...
A chaque fois, l’essai gauche d’une matrice des repères pour le présent et l’avenir du pays n’était ni plaisant, ni ajusté, ni consensuel. Des esprits malveillants se sont même lancés cyniquement dans des remises en question et des attaques suspicieuses et malhonnêtes de ce qui avait, jusque là, fait notre unité. Certains s’étaient même essayés à faire du passé, du patrimoine et de l’histoire contemporaine, une lecture partisane avec des manœuvres qui n’honoraient ni le pays, ni son histoire!
C’est au final de telles tergiversations et surenchères autour de notre posture de vivre ensemble qui est en grande partie, à l’origine de la faible appétence pour tous les gouvernants successifs de la transition et de notre suspicion légitime de leur capacité à nous gouverner. Peine perdue pour les quelques voix de raison. Pourtant l’alerte était donnée : méfions nous de la casse, bâtissons sur nos acquis, n’insultons pas notre passé, entrevoyons notre avenir, éloignons-nous des chimères, ne tombons pas dans la vassalité et les interférences étrangères…
Tous ces appels sont restés inaudibles et sans résonance…La belle cité à laquelle nous devrions aspirer, notre socialité, notre vivre ensemble, notre ambition de lumière avaient moins poussé nos politiques à un récit collectif qu’à déconstruire, défaire et décomposer. Nous avions oublié qu’il n’y a pas de liberté et de démocratie sans espace de communion et sans «pacte de courtoisie».
En se targuant d’une révolution où juste le cigare a changé de bouche, en oubliant la nécessité d’une posture qui convainc et rallie les tunisiens, les politiques de la transition n’ont pas pu faire œuvre utile. Leur attitude, très peu consensuelle, ajoutée aux idées chimériques, à l’incompétence et à la corruption ont du coup tout fait virer au négatif… A telle enseigne que nous n’en retenons plus que la division et le clivage du peuple, les perspectives difficiles et sombres d’avenir et de quotidien de vie, le leurre des promesses électorales et les intrigues…
Montesquieu disait qu’il n’y a pas de démocratie possible sans vertu… Pendant la parenthèse de pastiche tunisienne de parlementarisme et de régime d’assemblée, chaque entité a empêché l’autre de travailler et des lobbies à visages découverts et à pratiques de mafia, ont marqué le financement et le fonctionnement de nos institutions. Nous avons vécu tous les effets pervers de la pseudo-séparation des pouvoirs et les plus tenaces illusions dont celles que vivre en démocratie c’est mettre un bulletin dans l’urne, se faire élire, squatter les structures de l’état, y placer ses partisans et se servir…Normal que nous soyons à 11% et quelques d’électeurs, normal que nous nous désintéressions du décor institutionnel mis en place, normal que le peuple anonyme ne veuille plus se laisser duper!…
La biopsie que donnent les institutions de sondage des intentions de vote à la présidentielle est à cet égard fort instructive, même s’il n’y a pas besoin de nous sonder pour s’en rendre compte. Aujourd’hui, la volonté du peuple anonyme est non de revivre la situation à laquelle appelle «le front du khalass», que de changer carrément de cadre et de têtes!
Rendons-nous à l’évidence : le président choisi et intronisé par ceux qui cherchaient un oiseau rare ne partira pas avant les échéances de 2024… Que cela plaise ou déplaise, il restera jusqu’à la fin de son mandat …Inutile d’épiloguer ! Que sa légitimité d’urne s’érode ou se perde en cours de route, lui importe peu … Les scrupules des soucieux de l’éthique, de la moralité des postures et du qu’en dira-t-on démocratique, lui sont étrangers…Dans ce cadre, une bonne frange du peuple anonyme non votant pense que la parenthèse ouverte par les activistes et naïvement espérée du départ du Président suite aux faibles résultats des législatives est un non sens. Elle est à fermer, à moins de sortir totalement du scénario civil, de se fantasmer un grand soir ou de se résigner à la solution militaire!…
De même, le choix de 2019 oblige jusqu’en 2024 quiconque rugit démocratie formelle et élections. Peu importe que ce choix ne soit pas lié à une légitimité de compétence. Peu importe que l’élu ait bénéficié d’une pousse terrain énigmatique et qu’il ait au final drainé unanimement les voix islamistes et ses franges radicalisées qui se refusaient jusque là au vote réservé aux mécréants ! Peu importe que les cohortes votantes d’alors qui pensaient se jouer du peuple en lui imposant un oiseau rare, soient celles-là mêmes qui aujourd’hui grossissent le nombre de non votants aux dernières législatives!…Le réalisme politique veut en plus que l’échéance politique de 2024 soit respectée et préparée, que l’opposition et les partis corrigent et ajustent dans l’intervalle leur posture et qu’ils peaufinent leurs programmes et formulent pour l’avenir les actions concrètes susceptibles de sortir le pays de son rabaissement.
Comprenons que le peuple s’accommode mal du décor actuel et qu’il veut en venir à tourner la page ! Quel gâchis serait alors une démocratie, simple parenthèse de l’histoire de notre pays !!! L’évoquer et penser qu’un scénario d’arrêt du processus démocratique, pourtant réalité historique, peut arriver si vite et faire oublier cette espérance folle de beaucoup d’entre-nous, est quasiment un déchirement…C’est pourtant un scenario plausible perçu pour tout pays exposé à sa propre fragmentation sociale (voir Emmanuel Todd (Où en sommes-nous? Seuil). … La menace est bien là… Elle est réelle!
Comment revenir alors à notre cercle vertueux oublié et nous imposer une éthique qui évite le retour en arrière ? Comment nous ressouder et nous ressourcer dans notre mosaïque, sans nous diviser? Comment permettre à cette multitude de partis formels, sans lesquels point de démocratie nous dit-on, de s’en tenir pour nous, une fois au pouvoir, à des paramètres intelligents et lucides de vivre ensemble?
Pour nous éviter plus d’enlisement, il nous faut travailler à notre posture tunisienne d’agrégation et de brassage, à notre grammaire de pays et à nos référents de vivre ensemble. C’est sûrement là et non ailleurs, notre responsabilité de patriotes. J’espère pour mon pays en cette posture. C’était valable pour sortir de l’affront colonial, c’était possible pour édifier les assises de l’état national, ce doit être valable et possible pour sortir des servitudes et des chimères d’aujourd’hui. J’aimerais pour cela nous voir accorder nos violons, nous mettre ensemble et faire cette nécessaire proposition de posture pour le pays. Nous atteler à la petite politique, tenir tête en castes opposées, brandir des menaces en rebelles effarouchés n’est ni à l’honneur de l’histoire passée de notre pays ni de notre volonté de dignité, d’emploi et de liberté.
Nous, anonymes non votants et non activistes politiques, rêvons d’un décor autre, de profils politiques autres, de peuple autre !…Mais nous ne désespérons pas que tous ceux-là, ramenés par une force légitime à la raison, veuillent enfin revenir sur terre et arrêter le saccage du pays.
Comment parer à l’urgence de la posture?
Pendant cet intermède de transition, notre devoir de posture a souffert d’amateurisme. Où mettre alors le curseur, quoi faire dans l’immédiat et à quels principes nous en tenir pour nous sortir de l’impasse actuelle ?
Notre urgence, répétons-le, est de travailler rapidement à notre posture. Je regrette que les diverses propositions ici et là formulées n’aient pas eu cette volonté et n’aient pas été jusqu’à prescrire ce travail essentiel par temps de méfiance, de crise institutionnelle et de fissure des repères.
Nous suggérons ici le recours à un bloc élitaire bienveillant, à coefficient d’aura, loin des excités des strapontins, des sceptiques et des revanchards. Ce bloc élitaire aura la lourde mission de faire éviter au pays la déperdition actuelle de ses forces dans des expériences infructueuses de nébuleuses de repères et de chimères dangereuses. C’est un front élitaire sage et compétent, qui doit être régulièrement approché et sollicité et qui aidera à déconstruire et à défaire les folies, les tromperies et les diabolisations!
Sans parti pris et sans dénigrement de quiconque, le rôle des élites pour le soin de ce mal de posture et l’endiguement de ses méfaits est indéniable. C’en est partout ainsi et à toutes les époques où les pays s’éloignent de leurs fondamentaux…Je parle bien sûr de ces élites qu’on admire pour ce qu’elles disséminent comme repères qui soudent et promeuvent; loin des caricatures et des idéologies simplificatrices…Je vise ici ces artistes, ces écrivains, ces intellectuels mais aussi ces profils qui possèdent des qualités valorisées socialement et qui ont cette distinction qui les habilite à l’estime générale. De telles intelligences ne devraient être ni dans les excès ni dans les radicalités. Elles sauront mesurer les enjeux du pays et auront la capacité d’entrevoir son ambition ! Il faut aller vers ces élites à notoriété qui alertent, éclairent et éveillent. Sachant nos urgences ; elles aideront à faire front aux revanchards, aux sectaires, aux mafieux et aux délirants !… Ces élites tenues d’élaborer la posture tunisienne devraient également s’atteler à codifier les principes qui la protègent et qui imposent son respect. Il ne s’agit pas de faire enfiler des soutanes ou des camisoles mais de convenir d’une charte à sens qui favorise une éthique, des lignes de conduite qui ne briment pas les libertés mais qui veillent aux repères de notre vivre ensemble.
• Le premier repère concerne évidemment l’institution censée lier tous les tunisiens au pays. A côté du drapeau, des fêtes nationales, de l’ordre général des symboles et des valeurs en lien avec la posture choisie, il y a évidemment la Présidence de la République…
D’abord, il va falloir pour demain s’entourer de tous les moyens politiques qui empêchent les entorses possibles à cette fonction hautement symbolique et protéger le Président de lui-même. Etre patriotes, c’est craindre pour cette fonction et tout faire pour prémunir celui qui l’investit des excès et des dérives… C’est une fonction clé de voûte, qui ne doit pas se laisser souiller par le choix de profils inappropriés, un sénile , un goujat, un médiocre, un surexcité, un revanchard, un vendu ou un délirant...Désormais, notre pays ne doit souffrir ni des intrigues , ni de l’inculture, ni de la cupidité , ni enfin des chimères de l’occupant de son palais de règne…C’est que dans l’imaginaire populaire tunisien, un Président protège, rassure et unit. C’est pour cela qu’il ne peut afficher, une fois élu, une posture autre que celle d’un rassembleur!
La fonction s’honore par des profils porteurs d’un message de concorde, d’apaisement et de vivre ensemble. La haine et la stigmatisation, rage compréhensible, ne sont pas, sur le long terme, de bonnes valeurs ! L’observation vaut d’ailleurs ici règle; Il suffit à celui qui veut perdre la légitimité d’arborer une âme de haine et de division. Sans recherche de communion, il ne peut aller loin.
Aussi, un Président indispose et gêne lorsqu’il divise les tunisiens en bons et en méchants, en peuple de l’intérieur et peuple de la côte, en voleurs et malfrats et en humbles et démunis. Lorsqu’un président s’essaie ainsi au séparatisme, il expose le pays au risque de balkanisation. Pour cette raison, nous devons nous parer contre cette éventualité et faire de sorte qu’il soit porté par une émotion qui élève, une noblesse d’âme et une bienveillance envers tous les citoyens!
• Notre posture de lumière doit également être servie par un commandement avec fibre de leadership... Or, de peur du pouvoir personnel, nous avons soupesé l’importance d’une autorité qui rassemble et nous avons voulu croire à une gouvernance, légale et institutionnelle, désincarnée et impersonnelle…! Or, un leader, est un profil missionné qui assume la charge de libérer. Pour cela, il faut favoriser pour notre pays et pour sa posture un leadership de ce temps, moderne, qui ouvre sur les lumières et fasse bon usage de la raison et de la passion. Un leader qui éclaire, convainc, détourne des pesanteurs, libère des sujétions et brise les chaînes serait même une bénédiction. S’il affichait ces qualités, nous lui témoignerions alors de l’affection. Comment ne pas aimer et applaudir la communion qu’il permettrait, l'émotionnel qu’il partagerait et la ferveur qu'il génèrerait? …Nous nous prendrions légitimement d’émotion à nous voir vivre ces qualités comme reconnaissance tournée vers demain, vers un avenir qui rend possible notre ambition! L’admiration est quelque chose de durable et de positif. Elle n’est pas un émerveillement de moment, un chèque en blanc donné inconditionnellement. Elle peut aller à tolérer de petites faiblesses, mais rarement à cautionner des petitesses, de l’obscène, ou pire encore de l’exécrable! En cela, l’admiration est exigeante et bénéfique pour une société!
• Notre posture exige qu’on ne s’enlise pas non plus dans le nombrilisme et la démagogie. Il nous faut être plus vigilants et quitter au plus vite notre statut d’otages suspendus à la bêtise des doctrinaires excessifs et des chimériques. Il y a en effet urgence de libérer les esprits des souffleurs d’excès et des donneurs de leçons. Ceux-ci sont les guillotines mêmes du peuple et ses flingueurs de liberté ! C’est que les révolutions, les vraies, celles qui libèrent des chaines, ont besoin de s’alimenter de progrès, d’ouverture, d’air, de mouvement et d’innovation. Aussitôt la violence de leur première expression passée, elles ont besoin d’un climat favorable, poussent mieux et perdurent davantage en terre d’amour et de tolérance qu’en terre de haine ! Au lieu de sortir de notre assujettissement à des geôliers, voilà une transition qui a affaissé notre peuple et l’a installé dans les chimères. Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est plus à la mesure. Désormais, les discours qui plaisent sont ceux qui stigmatisent et clivent. La transition a bel et bien trop divisé, cassé et libéré nos démons. Quiconque décline son camp s’expose à la vindicte du camp opposé. La bêtise partisane devient préférée au bon sens et à la quête de compromis, à telle enseigne qu’il y a crainte que nos divisions soient à effets irréversibles.
• J’aimerais tant que nos politiques comprennent que souffler dans le ventre du peuple, c’est l’enliser encore plus dans la régression. S’il aime être vanté dans sa singularité et dans sa différence, il ne faut pas pousser le bouchon jusqu’à le détourner de l’essentiel, son bien être, sa promotion et sa libération de toutes les chaînes possibles. Il ne faut pas oublier ici que telle la vie, le peuple n’est pas capable que du bon. Le pire aussi le guette et il est possible qu’il soit au théâtre de toutes les cruautés!
Pour cela, un politique gagne à semer la bienveillance et à orienter vers les lumières. Comment alors freiner les élans populistes et ne pas y céder? Comment rester digne et à proximité du peuple sans accréditer le faux, les excès et les dérives? Comment rendre audible une position espérée de politique responsable, bâtisseur et non illusionniste?
Pendant cet intermède de transition, notre devoir de posture consensuelle et de lumière et certains principes élémentaires de sa bonne gouvernance politique ont été oubliés. Or, tout comme pour un individu, pour un pays aussi la moulinette du temps est insupportable quand la montre qui habille le poignet régresse et quand les années qui se succèdent ajoutent à la peine…
Ahmed Ben Hamouda
Ancien Directeur de l’ISG de Tunis