Brahim Konstentini: Le sculpteur devenu historien
L’humour sera sa marque de fabrique pour vaincre tant d’obstacles, le talent sera son moteur, et la détermination, le secret de sa réussite. A 90 ans, Brahim Konstentini, sculpteur aux multiples dons, savoure légitimement une vie bien remplie. Sous le litre de Un parcours hors normes, il retrace avec beaucoup de sincérité et d’émotion des épreuves endurées et des succès remportés à la délicatesse de ses doigts et à la finesse de son esprit. Son combat ne sera pas vain : il a réalisé son ambition et dépassé ses rêves. Nous lui devons aujourd’hui un musée privé, une académie d’arts et métiers, un centre culturel international et une résidence d’artistes. Tous à ses propres frais, et portant tous son nom.
Les bustes de Bourguiba, Hached, Patrice Lumumba et autres illustres leaders, c’est lui. Les sculptures du square de la STAR, du Jardin des droits de l’homme, de l’Intifada palestinienne, du Village méditerranéen de Radès et de la Solidarité nationale, c’est encore lui. Des centaines de médailles, c’est aussi lui. Son œuvre est partout. Chaque pièce marque une date, commémore un souvenir, écrit une page de notre histoire. Parcourir son musée, c’est replonger dans tant de souvenirs.
Une véritable saga
Cela fait des années que Brahim Konstentini était pressé par des proches et des amis pour qu’il consigne ses mémoires. Redoutant cette épreuve, il en retardait l’exercice. C’est finalement son épouse, Klementine, qui s’y attellera. Elle laissera à leur petit-fils Slim Dghim le soin de faire aboutir le texte, retranscrivant le témoignage de son grand-père. Puis, c’est à leur fils Skander de prendre les photos des œuvres réalisées et de procéder à la relecture technique du livre. A l’arrivée, un ouvrage merveilleux, que Me Abdessalem Kallel, ami d’enfance, saluera en «témoignage nécessaire et source d’inspiration».
Brahim Konstentini, né à Sakiet-Ezzit, dans la proche banlieue de Sfax, le 15 novembre 1932, au sein d’une famille très modeste, connaîtra une enfance difficile. Orphelin à l’âge de 10 ans, il subira une rude épreuve qui le marquera tout au long de sa vie. La Seconde Guerre mondiale qui retentira à Sfax au cours de l’hiver 1942 ajoutera aux très faibles ressources familiales une pénurie générale en tous produits. Brahim, contraint de quitter l’école, ira, en apprenti, d’une échoppe à un atelier, essayant de gagner de l’argent pour aider son père et sa belle-mère à subvenir aux besoins de sa fratrie. Le récit qu’il fera de sa vadrouille dans les ruelles de la médina de Sfax est absolument poignant. Le destin ne lui réservera pas que des brimades : d’agréables surprises viendront éclairer son parcours. C’est ainsi qu’il se mettra au service d’un cordonnier, Jarraya, qui fabriquait des chaussures pour Lamine Bey. Il excellera à créer des modèles qui feront sensation. Mais, sa volonté de reprendre ses études le tenait à cœur.
Apprenant l’existence d’une école libre Ellakhmia, il parviendra à s’y inscrire, sans renoncer à fabriquer des chaussures, quitte à s’installer à son propre compte. Il commencera alors à créer des clichés en caoutchouc, des tampons humides et autres pièces.
Comblé à Paris
Un jour, en 1949, un marbrier lui demandera de sculpter une calligraphie. Il y réussira. Fier de lui, il voulait aller jusqu’au bout de ce talent découvert. Une idée lui traversera l’esprit : sculpter le portrait de Lamine Bey et le lui offrir à La Marsa. Bien joué ! Il tapera dans l’œil du souverain. En récompense, il lui offrira, plus tard, une bourse d’études en France. Brahim Konstentini partira alors pour Paris en 1955 et finira par s’inscrire à l’Ecole des beaux-arts. C’est à Paris qu’il fera la connaissance d’une ravissante étudiante allemande, Klementine, qui deviendra son épouse.
Avec son humour légendaire, Brahim Konstentini raconte ses années parisiennes, son retour en Tunisie, le buste qu’il dédiera à Bourguiba et la statue équestre (conçue avec Hachemi Marzouk). Le récit des circonstances qui l’avaient mené à sculpter le buste, en 1960, sont très amusantes. Wassila lui réservera une pièce au palais Essaada (La Marsa) et Bourguiba s’y prêtera avec beaucoup d’amabilité devant un chef de protocole ahuri de voir Konstentini se présenter devant le chef de l’Etat sans costume ni cravate, avec une simple blouse. Les échanges qu’il aura avec lui, ponctués d’anecdotes, pendant huit séances de pose, rapportés dans ce livre, sont merveilleux, révélant des traits de caractère des deux.
Konstentini revient sur les médailles et pièces de monnaie, les trophées et autres sculptures géantes qui se dressent aujourd’hui en monuments dans de nombreuses places publiques. Tout n’a pas été rose et encore moins facile pour lui: le snobisme de certains, la tricherie d’autres et beaucoup de jalousie. Mais, faisant montre de patience et sans jamais se départir de son humour, il n’y prêtera aucune attention. Il y gagnera en définitive.
Son œuvre est immense, son talent est reconnu. Brahim Konstentini aura posé ses marques d’un grand sculpteur.
Brahim Konstentini
Un parcours hors normes
De Klementine Konstantini
et Slim Dghim
90 pages, 35 DT