Tahar Bekri: Je vous serre la main
Comment vous demander pardon, amis, Tchicaya U Tam’si, Mongo Béti, Francis Bebey, Mohamed Fitouri, Moussa Konaté ?
Comment vous dire pardon amis, Henri Lopès, Boris Diop, Aminata Sow Fall, Ken Bugul, Tanella Boni, Nimrod, Véronique Tadjo, Barnabé Laye, Eugène Ebodé, Boniface Mongo, Gabriel Okoundji, Jamal Mahjoub, Michèle Rakotoson, Kangni Alem, Abdourrahmane Wabéri,.. si mon pays vous paraît être devenu incompréhensible, cette terre qui a accueilli bon nombre parmi vous, qui fut célébrée naguère par L.S. Senghor, qui porte le nom d’Ifriquiya, ce qui n’enlève rien à son identité arabo-berbère, qui a entremêlé nos rêves dans l’amour du continent, où le Sahara réunit plus qu’il ne sépare ?
Tant d’années dans la complicité des échanges, des discussions, des explications, des rencontres pour lutter contre les blessures de l’Histoire, dans l’exigence de la mémoire !
Tant d’années pour de vrais dialogues, conscients que nous étions que l’émancipation des uns dépend de celle des autres, que le silence coupable est un handicap, qu’écrire nous oblige à aller au plus profond des vérités, même si elles sont difficiles à dire !
Tant d’années pour bâtir l’entente, abolir les malentendus, découvrir nos œuvres et nos réalités mutuelles, communes et différentes, les comparer, demander à les enseigner dans nos universités et nos établissements scolaires, afin de mieux nous connaître, mieux nous rapprocher, rejeter l’ignorance et les préjugés !
Combien de fois étais-je heureux de découvrir vos pays, miens, Mali, Sénégal, Mauritanie, Madagascar, Tchad, ils m’ont inspiré tant de textes, l’émotion par-delà les frontières ?
Comment vous dire pardon pour les maladresses inhospitalières dans la dureté du monde, la peur alimentée de mille manières ?
Comment vous dire que les oiseaux migrateurs font les chemins inverses, quand des compatriotes partent et sont prêts à mourir en mer ?
Comment vous dire tant de nos pays regorgent de richesses accaparées par les potentats et les marchands de sommeil, la nuit propice aux basses besognes pour jeter dans les périls tous ces nus ?
Comment vous dire la complainte de nos « fleuves détournés » ?
Pardon si ma plume est lourde, je la voudrais digne de nos visages humains, trempée dans l’encre solidaire, je sais que vous êtes une composante de ma terre, ouverte à mille soleils solidaires et fraternels.
Tahar Bekri