Hakim Ben Hammouda: Où va l’économie tunisienne en 2023?
Où ira l’économie tunisienne en 2023 ? Cette question est source d’inquiétude et d’un attentisme prudent pour la plupart des acteurs politiques et économiques au niveau national. C’est aussi une source d’intérêt et de préoccupation pour les institutions internationales et nos partenaires économiques, dont la plupart ont exprimé leur volonté d’appuyer notre pays.
L’anxiété et l’appréhension sont dues à l’ampleur des difficultés économiques que notre pays va rencontrer au cours de cette année, qui sont dues, entre autres, à l’affaiblissement continu des moteurs de croissance, le gouvernement estime que la croissance ne dépassera pas 1,8% au cours de l’année en cours. La persistance de l’inflation, qui a atteint en moyenne annuelle 8,3% en 2022 et qui devrait poursuivre sa tendance à la hausse cette année, constitue également source d’inquiétude et d’appréhension en raison de ses effets sur le pouvoir d’achat et par conséquent sur la situation sociale.
L’ampleur des besoins de financement qui doivent être mobilisés pour boucler le budget de l’Etat pour 2023, qui est d’environ 24,3 milliards de dinars, est une autre source de préoccupation, qui exige l’accélération de nos négociations avec le FMI et nos partenaires économiques pour répondre à ces besoins et éviter de nouvelles difficultés.
En plus des difficultés internes, notre économie sera également confrontée au cours de cette année aux répercussions des crises mondiales et à l’incertitude croissante du monde post-global.
Au niveau global, il faut souligner deux défis importants qui auront des répercussions importantes pour notre pays. Le premier concerne la faible croissance de l’économie mondiale, surtout chez nos plus proches partenaires. Les projections économiques indiquent que les pays européens, en particulier la zone euro, vont connaître un faible taux de croissance qui ne dépassera pas 2,3% en 2023, ce qui affectera nos échanges extérieurs et en particulier nos exportations vers le marché européen.
Le second défi question concerne la poursuite de la guerre en Ukraine, qui continuera à peser sur les prix de l’énergie et des matières premières, en particulier les céréales, qui représentent une grande partie non seulement de nos importations, mais aussi de nos dépenses de subvention qui auront des effets importants sur le budget de l’Etat.
Ces questions sont une source majeure d’inquiétude et de préoccupations concernant l’évolution de la situation économique au cours de cette année et les différents scénarios des évolutions possibles. Dans cet article, nous présenterons les résultats de l’exercice et de l’étude que nous entreprenons au début de chaque année pour évaluer les projections futures de notre économie.
Il faut noter que la plupart des institutions économiques internationales et nationales s’adonnent de manière régulière et continue à cet exercice de projection et de prévision économique. Ces travaux et de ces études ne sont pas le résultat d’un goût pour le luxe intellectuel des économistes mais est un travail important pour éclairer le tableau de bord nécessaire pour déterminer les politiques économiques à mettre en place et leurs grandes orientations. Lorsque ces prévisions s’attendent à un ralentissement économique, les politiques économiques cherchent relancer les activités économiques. Par contre lors des périodes de surchauffe de l’économie, les politiques économiques cherchent plutôt à stabiliser les dynamiques économiques pour éviter l’emballement inflationniste.
Dans cet article, nous tenterons de présenter les résultats de notre étude sur l’évolution de la situation économique de notre pays au cours de cette année. Mais avant de passer en revue divers scénarios et résultats prévisionnels, nous nous arrêterons sur les défis de notre économie au cours des dernières années.
Des principaux défis économiques de notre économie en 2023
Notre pays connaît de nombreux défis économiques majeurs. Nous avons choisi de mettre l’accent sur quatre d’entre eux. Si nous avons choisi de présenter des défis de nature conjoncturelle ce n’est pas pour minimiser ceux de nature structurelle et qui nécessitent la mise en place de politiques de transition économique.
Le premier défi concerne la faiblesse de la croissance et son déclin persistant depuis 2019, où elle n’a pas dépassé 1,9 %, soit le taux de croissance le plus faible depuis 2011. Cette baisse s’est poursuivie en 2020 en raison de la pandémie, qui a été à l’origine d’une récession sans précédent dans notre histoire économique. Notre pays a connu un retour de la croissance en 2021 avec une reprise technique de 4,3 % mais qui n’était pas au niveau des attentes en raison du retard important dans la vaccination. La baisse reprendra en 2022, avec une croissance ne dépassant pas 2,4 %. Ce ralentissement de la croissance se poursuivra en 2023 et les prévisions du gouvernement dans la Loi de finances de 2023 indiquent un taux de croissance qui ne dépassera pas 1,8 % cette année.
Ces chiffres indiquent que même si la croissance a connu une certaine résilience face aux défis internes et externes, elle a continué à reculer et souligne que ses moteurs sont faibles et incapables de donner un nouvel élan à la dynamique économique et à la relance.
Le second défi est lié à la fragilité des grands équilibres macroéconomiques qui ont souffert de la faiblesse de la croissance et ont subi de plein fouet les répercussions des crises globales sur notre pays. Les finances publiques ont souffert de ces crises ce qui a entraîné un approfondissement de leur déficit ces dernières années, atteignant un niveau de -9,4% en 2020. Bien que ce déficit ait diminué au cours des deux dernières années, il est demeuré élevé à -7,7 % en 2021 et 2022. La Loi de finances de 2023 du gouvernement vise à réduire ce déficit et à le maintenir à un niveau de -5,2 % du PIB.
La fragilité des grands équilibres ne se limite pas aux finances publiques, mais concerne aussi nos équilibres financiers extérieurs, qui ont connu une grande dérive ces dernières années. Ainsi, nos échanges extérieurs ont connu un déficit historique estimé à 25,2 milliards de dinars en 2022, soit une augmentation de 9 milliards de dinars par rapport à 2021. L’élargissement du déficit a entraîné une baisse importante de la couverture des importations parles exportations de 4,7 points, à 69,5 %.
Les transferts de fonds des migrants et les revenus du secteur du tourisme ont contribué à maintenir un niveau élevé de réserves de devises en dépit de la dérive des grands équilibres macroéconomiques. La guerre en Ukraine et le maintien des prix mondiaux de l’énergie et des céréales à des niveaux élevés constituent une menace constante pour nos équilibres financiers internes et externes.
Le recul de nos grands équilibres financiers a entraîné une hausse sans précédent de l’endettement public, qui est passé de 68,2 milliards de dinars en 2017 à 111,4 milliards de dinars fin 2022.
Mais, le problème le plus épineux de notre endettement public est peut-être celui du service de la dette, que notre pays doit payer chaque année. Cette année, le service de la dette augmentera d’environ 4 milliards de dinars pour atteindre 23,4 milliards de dinars.
Le troisième défi est la grande accélération de l’inflation et la formation progressive d’une bulle inflationniste à un haut niveau dans les derniers mois de l’année écoulée. Si l’inflation reste à un niveau moyen, même si elle a augmenté de 8,8% l’année dernière, c’est son accélération au cours des derniers mois a dépassé 10% au cours des deux premiers mois de l’année 2023 qui inquiète le plus les observateurs dont certains n’hésitent pas à annoncer l’entrée de notre pays dans une spirale inflationniste que les politiques économiques ne parviennent pas à maitriser.
Le quatrième défi concerne les retards dans la conclusion d’un accord avec le FMI. La Tunisie est parvenu à un accord au niveau des experts le 15 octobre 2022 ce qui a constitué un point positif dans nos relations avec l’institution de Bretton Woods après des années de longues et difficiles négociations. Cependant, le retard dans l’obtention de l’accord du Conseil d’administration et son approbation ont augmenté le niveau des risques et des pressions sur l’économie et les incertitudes concernant le financement du budget de l’État.
Notre pays fait face à de grands défis financiers et économiques internes et externes, qui vont peser lourdement sur la trajectoire de notre économie en 2023.
Quels scénarios pour notre économie en 2023
Dans ce travail, nous avons étudié différents scénarios pour analyser les prévisions de l’économie tunisienne en 2023. Nous avons privilégié dans cette présentation trois scénarios que nous avons intitulé : le scénario de tension basse, le scénario de tension haute et le scénario de tension moyenne.
Pour étudier ces différents scénarios, nous nous sommes tournés vers un modèle mathématique de la famille des modèles d’équilibre général calculable.
Nous présenterons les résultats des prévisions de nos différents scénarios pour la Tunisie en 2023.
Scénario de tension basse
Ce scénario est celui adopté par le gouvernement pour l’année en cours et passe par l’accord rapide avec le FMI. Ce scénario vise à protéger nos grands équilibres financiers et mettre fin à la dérive qu’ils connaissent depuis quelques années.
Le principal objectif que le gouvernement cherche à atteindre en concluant un accord avec le FMI est de mobiliser les ressources nécessaires pour faire face aux besoins financiers de l’Etat à travers le recours aux institutions financières internationales et aux accords bilatéraux.
Ce scénario permet d’atteindre un certain niveau de stabilité économique dans la mesure où l’inflation ne dépassera pas 10% et le chômage reste à 17% malgré une faible croissance.
Tableau 1: Evolutions possibles pour notre économie en 2023
Scénario de tension basse | Scénario de haute tension | Scénario de tension moyenne | |
Taux de croissance | 1,8 % | 3,45% | 1,35% |
Inflation | 10% | 17,5% | 16,42% |
Taux de change | 12,26% | 10,2% | |
Chômage | 17% | 15% | 15,21% |
Calculs de l’auteur et résultats du modèle
Cependant, la réalisation de ce scénario nécessite certaines conditions, dont la plus importante est d’améliorer le climat politique et de sortir de la crise aigüe que nous traversons. Il suppose également l’obtention de l’accord du Conseil d’administration du FMI et la mise en œuvre des réformes et des engagements pris par le gouvernement.
Il convient également de mentionner les répercussions sociales de cet accord, en particulier dans le domaine de la baisse des subventions, qui contribuera à mettre à rude épreuve la situation politique et sociale.
Scénario de haute tension
C’est le scénario que le gouvernement mettra en œuvre en l’absence d’un accord avec le FMI et l’absence d’un soutien financier bilatéral. Dans ce contexte, c’est le secteur bancaire local qui assumera la majeure partie des besoins de financement du budget de l’Etat.
Selon nos prévisions si ce scénario permettait de parvenir à un taux de croissance élevé de 3,4%, il contribuera à la fragilité croissante des grands équilibres de notre économie, où l’inflation pourrait atteindre 17% et le taux de change des dinars baissera de 12%. En plus de ses effets sur les grands équilibres, ce choix sera à l’origine d’une plus grande fragilité de notre système bancaire et pourrait entraîner de nouvelles dégradations des notes souveraines des banques publiques et privés nationales.
Scénario de tension moyenne
Le scénario de tension moyenne se situe entre les deux. Dans ce scénario, le gouvernement fera de l’investissement public la variable d’ajustement et l’utilisera pour financer ses besoins en l’absence d’un accord avec le FMI, ce qui rendra l’accès au financement extérieur difficile. En même temps, le gouvernement ne se tournerait pas vers les banques nationales pour financer le budget afin d’éviter d’accroître leur vulnérabilité d’une part et de leur donner la possibilité de financer le secteur privé et d’investir.
Si les conséquences de ce scénario sur les grands équilibres financiers importants sont moins graves que le second scénario, ses répercussions négatives restent élevées avec une inflation qui atteindra 16,4% et le dinar perdra 10,2% de sa valeur par rapport aux devises étrangères.
Ce scénario pose également de nombreux défis parallèlement à l’inflation et la baisse du taux de change, avec une croissance faible, qui ne dépassera pas 1,35% et participera par conséquent à la faiblesse et à l’érosion des moteurs de croissance.
Cette analyse des prévisions économiques pour l’année en cours montre l’ampleur des défis auxquels notre pays sera confronté dans les prochains mois. Ces difficultés et ces risques majeurs exigent la mise en place d’un programme de sauvetage économique rapide et l’amélioration du climat politique afin de mobiliser tous les efforts pour éloigner notre pays des risques qui nous guettent à la suite des crises financières internes et conséquences des crises globales et des tensions politiques qui traversent le monde.
Hakim Ben Hammouda