Aïssa Baccouche - «La Presse» en péril: Un cri du cœur d’un «archéo»
Te voilà Aïd mais quel est le présage?
Le statu quo ou est-ce un nouvel ajustage?
Al Moutanabi
En ces jours d’anniversaire mon journal de cœur éprouve des palpitations douloureuses. Comme tous les amoureux éperdus de ce monument national, j’en suis peiné. J’ose noyer mon chagrin en rappelant les doux moments de ma balade des temps heureux que «La Presse» n’avait offerts, il y a un demi-siècle.
Dominant la rue Bach-Hamba - le fleet street tunisois le bâtiment de La Presse fut de 1971 à 1973 mon cocon douillet. J’y ai filé des moments studieux mais ô combien heureux. Ce furent les années de mon épanouissement intellectuel. Grace soit rendue à notre directeur de l’époque Si Amor Belkhiria et à mes compagnons de plume Noureddine Tabka, Hédi Grioui, Abdeaziz Dahmani, Youssef Seddik, Slah Maaoui, Mohamed Mahfoudh, Abdelhamid Gmati, Ahmed Boughnim, Khaled ben Sassi, Ahmed Beltaef, Moncef Ben Amor, Brahim Labbassi, Mondher Ben Dana, Cherif Arfaoui, Alia Bouhdiba, Flavio Ventura, Khaled Najjar, Moïse Madar sans oublier Elizabeth Badri avec laquelle je partageais l'un des bureaux du 3ème étage.
La Presse m’offrit presque quotidiennement à la une, un espace de rencontre avec mon cher lectorat auquel je m’adressais sous le pseudonyme d’Ibn Hichem. Parce que venant d'où ce que l'on sait , je me devais d’occulter mon nom. J’empruntais donc aux Maqamet d’El Hamadhani le nom du personnage central: Aissa Ibn Hichem. Je prenais ainsi une nouvelle identité à laquelle j'étais reconnu au-delà même de nos frontières. Puisqu’à la faveur de mon nouveau statut de journaliste économique, je pus voyager ici et là pour couvrir les évènements notamment relatifs aux crises monétaire et pétrolière. J’eus l'honneur de rencontrer des hommes de la stature de François Bloch-Lainé, d’Octave Gélinier et de Zaki Yamani. Je me rendis à plusieurs reprises en Algérie au temps du flamboyant héraut du tiers Monde des années 70 Abdelaziz Bouteflika.
Je fus l’un des premiers tunisiens à avoir visité l'île iranienne de kharg, le plus grand port pétrolier de la région.
Mais j’eus surtout l’immense bonheur de connaître des membres hauts en couleurs de l’intelligentsia de ces années-là, en compagnie desquels il m’arrivait de faire les mille et un pas sous les ficus de l'avenue Bourguiba qui bruissaient du gazouillis des tourtereaux... et des rumeurs de Carthage, ou de m’attabler avec eux au bar de l'Univers que fréquentaient alors Midani Ben Salah, Bouzaîane Saadi et les autres.
Lorsque j'ai quitté la Presse en octobre 73 j'étais riche de mille jours au cours des quels j’y avais beaucoup appris et, me semble-t-il, assez donné. J'étais comblé puisqu’enfin j'avais réussi à assouvir une passion qui me dévorait dès les premiers aurores de mon âge tendre.
En ce temps où il traverse une zone de fortes turbulences, il est à craindre que le Phénix de nos années glorieuses soit réduit en cendres. Est-il présomptueux d’espérer qu’il n’en sera rien. «Mieux vaut, écrit Marouane Ben Yahmed dans la dernière livraison de Jeune Afrique, se nourrir d’espoir que de souvenirs».