Tunisie: de l’importance de la culture scientifique
Par Ridha Bergaoui - Il y a quelques jours, sur une chaine télé privée, un illustre invité avait affirmé avec beaucoup de conviction «que, scientifiquement, logiquement, philosophiquement et historiquement la terre est plate». Quoique les chroniqueurs de l’émission et l’animateur aient rétorqué en affirmant que la terre est bien ronde, toutefois la riposte n’était pas à la mesure de la conviction de l’illustre invité, journaliste de profession, homme des médias bien connu et porteur d’un projet de création d’une radio privée.
Une telle affirmation, à première vue anodine et innocente, risque de semer la confusion et d’avoir un effet dévastateur chez les téléspectateurs. En effet on a toujours enseignée à l’école que la terre est ronde et qu’elle tourne ce qui explique l’alternance du jour et de la nuit, les saisons, les fuseaux horaires, la gravité et la gravitation…
Affirmer que la terre est plate risque, chez nos jeunes surtout, de leur faire douter de la véracité des connaissances acquises à l’école et de penser qu’on est en train de leur mentir et de les induire en erreur. Alors que notre système scolaire est terriblement malmené et menacé, le taux de décrochage et d’abandon scolaire de plus en plus élevés, que l’école n’est plus l’ascenseur social d’antan et que les diplômes ne mènent nulle part, prétendre que les connaissances acquises sont fausses risque de mener les jeunes à dénigrer, perdre confiance dans tout le système éducatif et rejeter l’école et tous ses enseignants avec.
Renier que la terre est ronde, une vérité reconnue par tous et depuis très longtemps, risque de conduire à remettre en cause toutes les vérités et théories scientifiques, jusqu’ici élaborées et enseignées à l’école, pour les remplacer par des hypothèses farfelues et biscornues et nous replonger dans l’ignorance, la superstition, le fanatisme et l’obscurantisme.
Consciente de la gravité d’une telle affirmation dans un média très suivi par les téléspectateurs, la société astronomique de Tunisie, dans un communiqué publié samedi 17 mars, dénonce ces déclarations et met en garde sur ses dangers en particulier chez les jeunes.
Platisme et platistes
A première vue, la terre semble plate. Toutefois, depuis plus de 2000 ans, des scientifiques ont démontré que la terre est bien ronde et qu’elle tourne autour du soleil. Vue l’étendue de notre planète (le périmètre de la terre étant environ de 40 000 km), il est impossible à l’œil nu, de voir ses courbures. Que la terre soit ronde est une vérité certaine et indiscutable. Elle est, de nos jours, bien acceptée par tous et enseignée partout dans le monde. Le globe terrestre était, il y a quelques années, un accessoire pédagogique et un outil important dont la présence était indispensable dans chaque établissement éducatif qui se respecte. On l’offrait même aux écoliers à l’occasion des réussites scolaires et en début d’année.
Néanmoins, depuis quelque temps, la théorie de la terre plate, abandonnée depuis le moyen âge, a refait surface. Ses adeptes à travers le monde (appelés platistes), ont fini par s’organiser pour défendre, arguments de tout genre à l’appui, leur point de vue. Les réseaux sociaux représentent une excellente opportunité pour répandre leur théorie et faire de plus en plus d’adeptes. Quoique tout à fait marginale, la tendance platiste se retrouve dopée par le web et grandit de jour en jour.
En Tunisie, les adeptes du platisme existent même au sein de l’université. En 2017, une thèse de doctorat en géologie affirmant que la terre est plate et que le soleil gravite autour, allait être soutenue si ce n’était l’intervention, suite à de nombreuses critiques de la part des universitaires, du Ministère de l’Enseignement Supérieur pour bloquer cette thèse.
Les platistes, visent remettre en cause la théorie de la terre ronde qui tourne, ainsi que toutes les théories annexes, alors que les preuves sont bien établies et que cette théorie est admise depuis longtemps par tout le monde. Leurs motivations sont diverses. Certains platistes ne croient que ce qu’ils voient, d’autres sont partisans de la théorie du complot. Il s’agit parfois également du plaisir de contredire, des considérations religieuses, ou simplement se faire valoriser et se donner de l’importance. Pour les platistes, les institutions officielles (agences spatiales, astronautes, gouvernements…) nous mentent ou nous cachent une partie de la réalité afin de mieux nous dominer et nous asservir.
Les réseaux sociaux, un puissant outil de propagation des théories du complot
De nos jours, nos jeunes sont séduits par les NTIC et utilisent beaucoup Internet et les réseaux sociaux. Ils lisent très peu les livres ou les revues scientifiques. Les réseaux sociaux et les plateformes des vidéos (comme YouTube et Tic Toc) sont devenus leurs seules sources d’information. Occasionnellement certaines émissions de divertissement, généralement de qualité douteuse, sont également suivies par les jeunes. Ces émissions sont généralement reprises en streaming sur les plateformes de vidéo.
Pour faire de l’audience, certains médias ébruitent parfois de fausses informations et des contre vérités ou invitent des personnalités très controversés. S’agissant de personnalités médiatisées, connues du public, certaines de leurs idées peuvent devenir, pour les spectateurs, des réalités absolues impossibles à mettre en doute. Ces médias ont ainsi un impact certain sur nos jeunes, leurs comportements et leurs façons de réfléchir.
Par ailleurs, face à un monde en crise, on finit par douter de tout, on perd confiance dans les institutions officielles, on rejette les versions administratives pour élaborer de nouvelles théories, expliquer nos malheurs et dénoncer «les vrais méchants responsables».
Les Américains n’ont jamais mis les pieds sur la lune, la 5G serait cancérigène, le virus du Covid-19 a été fabriqué au laboratoire et lâché exprès, le vaccin Covid est mortel, la théorie de l’évolution est complètement fausse… représentent quelques exemples de ces théories du complot qui ont fleuri ces dernières années sur Internet et les réseaux sociaux. Grace aux réseaux sociaux, le conspirationnisme, la multiplication des «fake news» et les théories du complot ont explosé et leurs adeptes sont de plus en plus nombreux.
Quoiqu’il soit inadmissible de propager de fausses informations pouvant induire les gens en erreur, détruire de précieux acquis scolaires et pousser un peu plus nos jeunes vers l’ignorance et l’idiotie. Il n’est cependant pas possible d’empêcher ou d’interdire aux gens d’exprimer leurs points de vue. La liberté d’expression et d’opinion est un droit crucial. Le seul moyen efficace pour combattre les contre-vérités demeure l’éducation et le développement chez le citoyen de la culture scientifique.
De l’importance de la culture scientifique
De nos jours, nous vivons dans un monde marqué par le progrès scientifique et technique. De grands progrès et innovations ont été réalisés aussi bien en médecine qu’en industrie, transport ou équipements ménagers... Avec le développement des NTIC et l’IA et l’omniprésence du numérique et de l’ordinateur, nous vivons de nos jours dans un monde plein d’outils technologiques parfois très sophistiqués. Bien profiter de son téléviseur connecté, de ses différentes fonctionnalités et applications ou utiliser correctement son Smartphone, sa machine à laver, son micro-ondes ou sa voiture… demandent un minimum de connaissances scientifiques générales.
Par ailleurs, le citoyen se trouve de nos jours confronté à une masse vertigineuse d’informations qui lui parviennent de tous les supports médiatiques. Il doit savoir faire le tri pour repérer les informations qui lui sont utiles et importantes et distinguer le vrai du faux.
La culture scientifique est garante d’un esprit critique. Elle permet au citoyen de faire des choix raisonnés et responsables dans la vie et d’avoir des opinions objectives sur les sujets objets de débats publics. Grâce à cette culture, le citoyen comprendra plus facilement son environnement (naturel, social et culturel) et pourra privilégier des comportements raisonnables, écologiques et civilisés. Elle lui permet également de poser les bonnes questions, de prendre les bonnes décisions en matière de santé, d’environnement, d’alimentation… et d’éviter les pièges, motivés par le profit ou l’idéalisme, des charlatans et des arnaqueurs. Elle nous apprend la rigueur et l’objectivité et représente une arme efficace contre l’obscurantisme et le fanatisme.
La culture scientifique doit être perçue comme une compétence de base, nécessaire pour tous afin d’acquérir, stimuler et développer des connaissances scientifiques de base, développer l’esprit critique, le sens de l’analyse et motiver les jeunes à aimer les sciences et le savoir. Elle doit démarrer dès le jeune âge et se poursuivre jusqu’à l’université et même durant toute la vie.
La société doit être ouverte aux sciences. Avoir des citoyens éduqués, possédant un minimum de connaissances scientifiques permettrait d’avoir une population en bonne santé et de développer un environnement stimulant, gage de bien-être et d’une vie agréable, et d’avancer dans la voie du développement et de la modernité.
Des acquis à développer et renforcer
Conscients de l’importance des sciences, de nombreux pays développent de nos jours le concept de la science pour tous, chaque jour et durant toute la vie. Il faut reconnaitre que la Tunisie dispose d’un certain écosystème scientifique intéressant. Saluons, à l’occasion de la fête nationale de l’indépendance célébrée le 20 mars, le grand combat mené par la Tunisie, sous la présidence de Bourguiba, pour la lutte contre l’analphabétisme, pour l’accès à l’éducation pour tous et qui a permis d’accumuler de nombreux acquis qui ont fait l’excellente réputation de la Tunisie en matière de la qualité de ses compétences. Cet héritage est cependant menacé et il est nécessaire de le protéger, le soutenir et le renforcer.
La Cité des Sciences à Tunis est en train de faire un excellent travail de vulgarisation scientifique auprès des jeunes et tous ceux qui s’intéressent aux sciences. Cette tendance doit être généralisée à toutes les régions du pays. Des clubs de sciences dans les lycées, à l’université, maisons de jeunes… doivent être développés partout. Faire de la vulgarisation scientifique, organiser des manifestations et des concours à caractère scientifique permettraient d’asseoir la culture scientifique dont l’importance n’est plus à démontrer. Les médias doivent s’intéresser davantage aux sciences et créer des rubriques et des émissions spécialisées dédiées à la vulgarisation scientifique. Investir dans le savoir est certes couteux toutefois l’ignorance revient beaucoup plus cher.
Ridha Bergaoui