Vers un nouveau départ pour le secteur hélicicole en Tunisie
Par Ridha Bergaoui - L’escargot a été, depuis très longtemps, un aliment intéressant pour l’homme, agréable et riche en protéines. En Tunisie, nos ancêtres les Capsiens, il y a plus de 8 000 ans avant JC, se nourrissaient principalement de la collecte d’escargots et occasionnellement de la chasse. Dans de nombreuses régions les escargots sont très appréciés. Le ragout d’escargots ou «market babbouch», bien pimenté, est un plat national qui a de nombreux adeptes surtout au Sahel. Le couscous et la chackchouka aux escargots sont également des spécialités régionales très prisées. Presque toute l’année, dans les souks de Tunis et les grandes villes, ainsi qu’au bord des routes, de jeunes vendeurs vous proposent les escargots et de nombreux acheteurs s’y arrêtent souvent.
Quelques données sur la biologie de l’escargot
L’escargot a toujours fasciné. Tout est original et particulier chez l’escargot. Sa façon d’avancer et sa lenteur parfois énervante, sa faculté de grimper partout et de s’échapper facilement, ses yeux placés au bout des tentacules qu’il déploie comme un télescope, ses accouplements et sa reproduction… L’escargot arrête toute activité durant la période estivale chaude (estivation), il se cache et se referme sur lui-même à l’intérieur de sa coquille. Il s’active dès les premières pluies d’automne. Il est surtout actif tard le soir et consomme diverses plantes.
L’escargot est hermaphrodite et possède à la fois des organes mâles et femelles. L’accouplement est cependant indispensable. L’escargot possède un dard (ponte en calcium) qui l’aide à s’accoupler. L’accouplement peut durer des heures. L’escargot produit une cinquantaine d’œufs qu’il pond dans un trou confectionné dans ce but. Ceux-ci vont éclore 15 à 20 jours plus tard. La croissance est lente et le stade adulte est atteint lorsque la croissance de la coquille s’arrête avec la formation d’un bord externe (escargot bordé).
L’escargot est herbivore. Il a besoin de quantités importantes de calcium pour fabriquer sa coquille et ses œufs. Il possède une radula (genre de râpe avec une multitude de petites dents) qui lui permet de broyer ses aliments.
L’animal est fragile et le taux de mortalité est assez élevé. C’est un plat très apprécié par de nombreux prédateurs (oiseaux, reptiles, batraciens…) à l’origine de nombreuses pertes.
Depuis une cinquantaine d’années, des recherches ont été menées, particulièrement en France, afin de développer l’élevage de l’escargot. De nos jours les techniques en vue d’une production intensive existent et permettent une maitrise parfaite des différentes étapes de la production. L’élevage peut se faire aussi bien en plein air que dans des bâtiments en dur complètement conditionnés.
Escargots de ramassage vs escargots d’élevage
Avec l’intensification de l’agriculture et l’utilisation fréquente des produits chimiques parfois très toxiques, l’escargot issu du ramassage présente un certain risque pour le consommateur. En effet, les escargots peuvent être contaminés par des produits toxiques et des métaux lourds qui sont stockés au niveau de la peau et certains organes. L’escargot est également un hôte intermédiaire et peut être porteur de nombreuses maladies parasitaires. Pour ces raisons, les escargots sauvages peuvent être dangereux surtout consommés crus ou insuffisamment cuits.
Par ailleurs, l’urbanisation, l’intensification de l’agriculture et surtout le ramassage intensif et sauvage des escargots ont entrainé une diminution importante des populations et une rupture de l’équilibre de certains écosystèmes naturels. Certaines espèces d’escargots ont complètement disparu d’autres sont menacées et protégées. Partout le ramassage des escargots est réglementé et il est interdit durant la période de reproduction. Il est également recommandé de ne ramasser que des animaux adultes «bordés».
Pour toutes ces raisons, l’élevage des escargots est partout encouragé afin d’une part de protéger les milieux naturels et d’autre part de proposer au consommateur un produit de qualité garanti, sans risque pour sa santé. Les espèces utilisés en élevages sont essentiellement le gros gris (Helix aspersa maxima) dont le poids adulte se situe entre 20 et 30 g et le petit gris (Helix aspersa aspersa) plus petit de 10 à 15g de poids adulte. Ces deux espèces existent à l’état naturel en Tunisie.
Les escargots d’élevage reviennent beaucoup plus chers que ceux issus ramassage. La rentabilité de l’élevage passe par la traçabilité du produit et sa valorisation en produits élaborés, transformés.
Rien ne se perd chez l’escargot
La chair d’escargot est constituée essentiellement de muscle. Elle est peu calorique, riche en protéines, acides aminés essentiels, acides gras oméga-3, certains minéraux (fer, calcium, zinc) et en vitamines A et B. Elle convient pour tous, y compris ceux qui souffrent des maladies cardio-vasculaires ou du diabète.
La chair d’escargots peut être commercialisée sous des formes élaborées et cuisinées, en frais, congelé ou surgelé. Le produit peut être présenté en boite ou en bocaux en verre. Moyennant un peu d’imagination, la chair d’escargot peut-être cuisinée d’une multitude de façons. Des centaines de recettes, élaborées par de grands chefs de cuisine, sont disponibles sur la toile et peuvent convenir à tous les gouts.
Jadis l’escargot était considéré comme l’aliment du pauvre et des épisodes de famine. C’était également la viande des marins qui, afin de disposer de produits frais, emmenaient avec eux des tonneaux pleins d’escargots. De nos jours, l’escargot jouit, d’une bien meilleure réputation. Il séduit de plus en plus des consommateurs exigeants. Il est servi dans des restaurants de luxe, très raffinés. C’est un produit festif, très bien consommé durant les fêtes de fin d’année. On envisage même en faire un aliment pour les astronautes qui peuvent en produire et en consommer lors de leurs voyages dans l’espace.
A côté de la chair, fort appréciée par les fins gourmands et les connaisseurs, il est possible de valoriser et d’élaborer de nombreux produits. La coquille est essentiellement constituée de calcium d’excellente qualité qu’il est possible de valoriser dans de nombreuses préparations. Elle peut également être récupérée et utilisée de nombreuses fois pour rempoter des préparations à base de chair d’escargots. Il est possible également de traiter les œufs pour en faire un produit raffiné de luxe appelé «caviar d’escargots» (pour sa similitude avec le véritable précieux produit élaboré à partir des œufs d’esturgeon). Enfin la bave d’escargots possède de nombreuses propriétés thérapeutiques. Elle est très recherchée et est utilisée dans de nombreuses préparations cosmétiques et de soins.
L’escargot est de plus en plus utilisé comme animal de compagnie, très pratique, calme et paisible. C’est également un animal qui présente pour les petits un intérêt pédagogique certain du fait de son cycle court avec les différentes étapes de la vie. Enfin, les biologistes utilisent souvent les escargots dans leurs recherches et les études diverses.
En Tunisie, une filière embryonnaire
Jusqu’aux années 1990, il n’y avait que le ramassage des escargots. Une grande partie est consommée sur place. Il s’agit surtout de la Mourguette (Eobamia Vemiculta) à coquille blanche rayée de marron. Une autre partie est exportée (environ de 500 tonnes/an) particulièrement en France et l’Italie. Les circuits de commercialisation sont connus et comprennent les ramasseurs, les collecteurs, les grossistes et les exportateurs. Le ramassage, la vente, l’achat et le colportage sont en principe interdits durant les mois de mars, avril et mai.
En raison des potentialités importantes qu’offre l’élevage de l’escargot (création d’emplois pour la femme rurale et les jeunes diplômés du supérieur, débouchés importants, condition climatiques favorables…), l’Etat, par le biais de l’APIA, a entrepris d’encourager ce secteur et développer l’élevage d’escargot.
Des jeunes se sont lancés dans l’aventure. Malheureusement, à côté des difficultés techniques et de financement auxquelles ces jeunes se sont confrontés, le problème de commercialisation s’est posé. Les éleveurs devaient céder leur produit à bas prix (au même titre que les escargots de ramassage) à des intermédiaires surtout qu’il s’agissait généralement d’éleveurs isolés avec de petites quantités de produit. Seuls quelques promoteurs ont pu continuer à pratiquer l’élevage.
En 2017, l’Etat décida de relancer la filière. Un cahier des charges fixant les conditions techniques et sanitaires réglementant l’exercice du métier d’héliciculteur fut publié dans le journal officiel. Il faut souligner que l’élevage est très délicat et la réussite dépend en grande partie de la technicité de l’éleveur qui doit disposer d’une bonne formation théorique et pratique. L’AVFA s’est mise à dispenser dans certains de ses Centres de Formation Professionnelle (surtout celui de Manouba), une formation continue en héliciculture. Des bureaux d’Etudes privés organisent également une formation théorique et pratique.
Afin de relancer l’élevage, l’APIA a essayé d’une part de pousser les éleveurs à s’organiser au sein d’une société mutuelle SMH (la Société Mutuelle des Héliciculteurs Tunisiens) et d’autre part à résoudre le problème de commercialisation des escargots d’élevage. C’est ainsi qu’en 2018, grâce à la coopération fondation qatarie ARF, un « Centre Pilote de Conditionnement et de Transformation des Produits Agricoles » fut créé, près de la ville de Zaghouan. Ce centre comprend des installations modernes pour traiter et conditionner les escargots dans des conditions impeccables d’hygiène. Ceux-ci, après lavage et tri sont ébouillantés, décoquillés, mis en récipients en verre et appertisés avec possibilité de congélation. La gestion de cette unité fut confiée gratuitement à la SMH pour une durée de 7 ans. Malheureusement, exposé à de nombreuses difficultés, ce centre n’a pu démarrer réellement qu’en 2022.
Les prévisions initiales tablaient sur une exportation de 800 tonnes d’escargots en 2020 et une centaine d’éleveurs. Actuellement, en 2023, on est très loin de ces chiffres et la production actuelle, issue de la cinquantaine de petits élevages existants, ne dépasse probablement pas les 100 tonnes.
La SMH compte à peine une quinzaine d’héliciculteurs. Elle offre de nombreux services aux coopérateurs: formation, suivi et encadrement, achat de la production, vente des naissains pour engraissement… Elle met également à la disposition des adhérents des chambres froides pour le repos estival des reproducteurs ainsi que des camions frigorifiques. La SMH traite les escargots et commercialise les produits élaborés semi finis pour le moment sur le marché local. Plus tard, elle distribuera à la fin de chaque année une partie des bénéfices aux adhérents. Pour le moment la production est limitée et écoulée auprès de certains restaurants et les hôtels.
Avec l’encadrement de l’APIA, la SMH et le centre de conditionnement et de transformation des escargots les conditions sont désormais favorables pour une reprise et une relance sérieuse du secteur. Les différents partenaires devraient toutefois doubler d’efforts pour d’une part motiver les jeunes promoteurs et d’autre part promouvoir la consommation de l’escargot sous sa forme moderne, un produit raffiné de haute qualité.
L’élevage de l’escargot peut être source de richesse et d’emplois. Il permet également de limiter le ramassage et de préserver la faune locale. Il présente de fortes potentialités qu’il faut savoir exploiter.
Ridha Bergaoui