Méditations pour célébrer le 40ème anniversaire du livre Presse Radio et Télévision en Tunisie de Fethi Houidi et Ridha Najar
Par Mehdi Jendoubi. Universitaire - Les fins de journées oisives de ce saint mois de ramadan de l’an 2023, m’amènent à reprendre la lecture d’un livre sur les médias en Tunisie, paru en français 40 ans plus tôt en 1983, et dont j’ai présenté à l’époque, un compte-rendu en Arabe, pour un journal étranger.
Presse Radio et Télévision en Tunisie, est une œuvre maitresse de 330 pages, de la littérature médiatique tunisienne à peine naissante, rédigé par mes professeurs de journalisme, à l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information (IPSI), Fethi Houidi et Ridha Najar et publié par la Maison Tunisienne d’Edition (MTE), vendu au prix de 3,5DT.
Riches de leur double expérience professionnelle de journalistes, et de leurs cursus académiques, couronnés par la soutenance un peu plus tôt, de leurs thèses de doctorat (l’une sur la communication sociale, l’autre sur la télévision), les deux auteurs ont su fructifier leur amitié ainsi que leurs attaches avec le ministère de l’Information, pour donner naissance à un livre écrit à deux, où ils synthétisent brillamment, l’ensemble de la documentation administrative et académique fort éparpillée, disponible à l’époque sur les moyens d’information et sur la politique médiatique conçue et appliquée par le pouvoir. Ils y incluent une réflexion critique soutenue de certaines pratiques médiatiques, eux qui pourtant sont réputés, proches du pouvoir et qui ont assumé de hautes responsabilités dans le système médiatique tunisien.
Lacunes dans notre fonctionnement d’universitaires
Ce livre reste incontournable pour comprendre une période clé couvrant les décennies 60-70, qui a vu naitre le nouveau système médiatique tunisien post-colonial, marqué par la prise en main par l’Etat de l’ensemble des moyens d’informations, par la forte empreinte officielle et officieuse sur le contenu, et par l’apparition de la télévision nationale comme moyen de communication de masse, relayant la radio qui a dominé les années 50-60.
Cette décennie, tirant à sa fin, a vu aussi se dessiner les prémisses d’une timide «ouverture», au lendemain de la crise politique majeure, qui a opposé le pouvoir à la centrale syndicale UGTT, et qui a atteint son paroxysme avec les évènements tragiques du 26 Janvier 1978.
Un livre ne se réduit pas à son contenu ni à ses auteurs, il fait son chemin dans la mémoire collective de la communauté scientifique, professionnelle et peut être aussi nationale, c’est ce que les spécialistes appellent la réception d’une œuvre.
Certes Presse Radio et Télévision en Tunisie, s’est imposé comme ouvrage de référence, et a été largement cité par un grand nombre de travaux ultérieurs et de rapports sur les médias en Tunisie, mais la «qualité» de la réception reste bien en deçà de la qualité intrinsèque du livre, et révèle de fortes lacunes dans notre mode de fonctionnement universitaire et scientifique, dans le champ restreint des études sur les médias en Tunisie.
La bonne volonté et l’engagement scientifique ne nous font pas défaut, mais notre organisation, nos méthodes de travail, nos traditions (ou plutôt absence de tradition), nos rapports personnels et professionnels sont de vraies pesanteurs, qui entravent ou limitent dynamisme et créativité ou interactivité intellectuelle et scientifique.
A l’échelle de notre pays, Ce livre reste unique dans son ambition synthétique, puisque dans la littérature tunisienne spécialisée dans les études sur les médias, aucun autre titre depuis 40 ans, n’a été publié dans cet état d’esprit, de faire le point de l’ensemble du système médiatique en Tunisie, malgré l’accélération progressive de la créativité scientifique dans ce domaine, qui sera «boostée» par l’apparition en 1982, de la Revue Tunisienne de Communication (RTC), et ce aussi bien dans le microcosme académique que dans le milieu professionnel.
Je n’ai jamais assisté à un cercle de discussion, pour débattre du contenu de ce livre dès sa parution, au sein de notre honorable institution, ce qui en soi pose problème. Comment bouder les rares livres tunisiens, disponibles dans notre propre spécialité?
Ce livre n’a pas fait l’objet, d’un compte-rendu critique dans la revue Tunisienne de Communication, RTC comme cela est généralement d’usage dans d’autres disciplines scientifiques. A cette époque les ouvrages récents sur les médias, pouvaient se compter sur les doigts d’une seule main.
Ni les auteurs (puisse Dieu leur donner santé et longue vie), ni leurs collègues ou élèves (dont moi-même), n’ont tenté d’actualiser ce livre vieux de 40 ans, et Dieu sait si le système médiatique tunisien, complètement bouleversé depuis 1980, date de remise du manuscrit Houidi/Najar à l’imprimerie, mériterait une description analytique globale qui intègrerait dans un seul «tableau scientifique», l’ensemble des médias actuels, et surtout l’ensemble de la littérature sur les médias tunisiens, comme l’ont si bien fait nos professeurs Houidi et Najar pour les trois premières décennies de l’indépendance. Les jeunes chercheurs, ont du pain sur la planche.
Ce livre n’a pas été traduit en langue Arabe, alors que nos étudiants sont essentiellement arabophones depuis les années 1980. Et pourtant nous avons en legs le fascinant concept forgé par le génial Salah Garmadi, qui a prôné et pratiqué lui-même ce qu’il a appelé le «retour du texte» (عودة النص ) à savoir, traduire vers l’Arabe des livres écrits par des tunisiens francophones, pour permettre à l’ensemble de la nation de profiter du génie de ses propres fils, qu’ils soient d’expression arabophone ou francophone.
Un livre n’appartient pas à ses auteurs, sinon ils en garderaient le manuscrit dans leurs tiroirs. C’est notre intelligence collective qui se joue, chaque fois qu’un livre parait, et la manière de le recevoir durant quatre décennies après sa parution, fait partie de notre propre histoire scientifique.
Mehdi Jendoubi