Mohamed Larbi Bouguerra: Les cent ans de l’insuline
Avant la découverte de l’insuline, avoir le diabète de type 1 était une condamnation à mort sans appel. Mais les choses ont commencé à changer le 11 janvier 1922. Ce jour-là, le jeune Léonard Thompson, âgé de 14 ans, devint la première personne atteinte de diabète à recevoir une injection d’un extrait de pancréas de chien. Aujourd’hui, nous savons que cet extrait contenait de l’insuline.
Ce premier extrait n’était pas très pur et, même si la concentration du sucre dans le sang du jeune malade a accusé une légère décrue, au total l’expérience se révéla décevante. Deux semaines plus tard, Léonard reçut une nouvelle injection d’un extrait mieux purifié. Les résultats furent plus prometteurs. Au cours de ce mois de janvier 1922, six autres personnes atteintes de diabète reçurent des injections de l’extrait canin et leur taux de sucre dans le sang diminua.
L’insuline sauve des vies
Les historiens considèrent que ces essais, réalisés à l’Université de Toronto (Canada), ont marqué le début d’un traitement vital, salvateur pour les diabétiques de type 1 et ont amélioré la santé des diabétiques de type 2.
L’insuline a d’abord été utilisée pour traiter le diabète de type 1.
Cent ans, c’est assurément un bel âge… qui n’empêche pas les recherches de se poursuivre à l’orée du second siècle de cette hormone. Pour en améliorer les performances, médecins, chimistes, biotechnologues, ingénieurs… sont toujours à la tâche pour produire de plus grandes quantités de cette hormone, pour qu’elle agisse plus vite et sur de plus longues périodes de temps. Ils innovent pour mieux contrôler la glycémie et réduire les épisodes hypoglycémiques si angoissants.
Depuis la première dose d’insuline injectée à Léonard, en cent ans, cette hormone est aujourd’hui bien connue. Les scientifiques ont purifié, identifié et caractérisé ce peptide. Ils ont élucidé le rôle qu’il joue dans le métabolisme du glucose, ils ont développé des process biotechnologiques pour une production en grandes quantités et ont mis au point des analogues plus performants.
L’insuline est l’hormone sécrétée par une structure particulière du pancréas : les cellules ß des îlots de Langerhans. Cette sécrétion vient en réponse au glucose dans le sang. Chez une personne non diabétique, l’insuline est sécrétée de manière continue(1). Elle régule le métabolisme des sucres (carbohydrates), des graisses et des protéines.
L’insuline est un peptide (petite protéine) formé de 51 acides aminés répartis sur deux chaînes A et B reliées par des ponts disulfure.
La science a beaucoup fait, depuis 1922, pour percer les secrets de cette hormone essentielle.
Des recherches continues
Ainsi, le biochimiste britannique Frederick Sanger a réalisé la séquence de l’insuline en 1955, première protéine à être séquencée. Sanger a été couronné par deux Prix Nobel de chimie, un cas très rare.
En 1963, l’Allemand Johannes Meienhofer et son équipe à Aix-la-Chapelle (Allemagne) ont réalisé la synthèse de l’insuline au laboratoire.
En 1969, la chimiste britannique Dorothy Crowfoot Hodgkin et son équipe en ont déterminé la structure cristalline aux rayons X.
Dans les années 1960, la firme pharmaceutique américaine Eli Lilly avait besoin du pancréas de 56 millions d’animaux (porc et/ou vache) pour répondre à la demande croissante d’insuline du marché américain. Une course frénétique s’engagea entre les mastodontes de la recherche - Université Harvard, Université de Californie à San Francisco - et la compagnie de biotechnologie Genentech qui ne comptait que 12 employés.
En 1978, cette dernière utilisa la technologie de l’ADN recombinant pour produire de l’insuline en utilisant la bactérie E. Coli. Ce fut la première protéine humaine produite par bio-engineering.
En 1982, Eli Lilly utilisa le procédé Genentech pour produire de l’insuline humaine mise sur le marché sous le nom Humulin. En 1996, la multinationale américaine commercialisa le premier analogue autorisé de l’insuline, vendu sous le nom Humalog, et dont la séquence modifiée d’acides aminés permet d’agir plus vite que l’insuline native. L’insuline d’origine animale disparut complètement des pharmacies et, avec elle, les cas d’allergie qu’éprouvaient certains diabétiques.
Cependant, malgré ces nombreuses avancées, les chercheurs, tant à l’Université que dans l’industrie pharmaceutique, continuent de ferrailler ferme pour améliorer l’insuline et en optimiser le bénéfice pour les malades. «Il y a autant à faire chimiquement avec l’insuline aujourd’hui qu’il n’y en a jamais eu dans son histoire», assène Richard D. Di Marchi, professeur de chimie à l’Université de l’Indiana (Etats-Unis). Il affirme: «Bien qu’il s’agisse d’une substance miraculeuse, c’est une drogue imparfaite selon les normes conventionnelles(2).» Son index thérapeutique est, en effet, étroit. Cet index est la différence entre la dose efficace et la dose toxique. Dans le cas de l’insuline, «trop peu» ou «trop» sont également dangereux. Si le patient prend trop peu d’insuline, il ne métabolisera pas efficacement le glucose ; ce qui peut conduire, sur le long terme, à des difficultés cardiovasculaires ainsi qu’à des atteintes nerveuses et rénales. Mais s’il prend trop d’insuline, il court le risque de l’hypoglycémie et peut se retrouver aux urgences de l’hôpital, voire tomber dans le coma et mourir si on ne prend pas en main la situation à temps. Aucune des insulines sur les rayons des pharmacies n’est parfaite et le risque hypoglycémique plane toujours.
En règle générale, l’insuline est injectée dans le tissu adipeux, sous la peau. Avant de commencer à agir, elle doit passer dans la circulation sanguine. Même les préparations rapides de l’hormone prennent 15 minutes avant de se mettre à l’œuvre pour agir durant 3 à 4 heures après administration. Les travaux actuels visent à accélérer l’action de l’hormone et à la stopper plus vite. La difficulté tient au fait que l’insuline se trouve sous la forme d’une sorte de pelote de laine amalgamant plusieurs unités (six généralement appelée hexamère) et que, pour agir, elle doit prendre la forme monomère qui est la seule active, d’où le délai de 15 minutes signalé plus haut, temps nécessaire à la dissociation de l’hexamère en monomères actifs. Des recherches sont en cours pour la mise au point d’une insuline monomérique ultrarapide dans les cinq prochaines années.
De même, les multinationales Novo Nordisk et Eli Lilly travaillent à mettre au point une insuline hebdomadaire, à combiner avec une insuline au moment du repas pour les personnes souffrant de diabète de type 1 ou seule pour celles souffrant de diabète de type 2. L’insuline hebdomadaire, appelée Icodec, de Novo Nordisk, est en phase 3 des essais cliniques. On cherche des investisseurs pour faire avancer les travaux. La firme californienne Zenomics estimait le marché du diabète en 2020 à 39 milliards de dollars(3). Cette compagnie pharmaceutique est en train de développer un système innovant d’administration de l’insuline. Il s’agit d’un patch intelligent de la taille d’une pièce de monnaie, muni de microaiguilles remplies d’insuline, réagissant au glucose et contrôlant la livraison de l’hormone. Ce patch régule ainsi le taux de glucose dans le sang des gens atteints de diabète. Zhen Gu, de l’Université de Zhejiang en Chine, fondateur de Zenomics, et son équipe ont essayé ce dispositif sur des cochons diabétiques. Ils pensent que ce dernier améliorera la vie des malades qui doivent habituellement s’injecter avant les repas et manger assez tôt pour éviter l’hypoglycémie. Il suffit à présent d’appliquer le patch avant le repas mais le patient a plus de flexibilité pour ses heures de restauration. Zhen Gu affirme que son dispositif a une réponse rapide, qu’il est facile à manier par le patient, qu’il réduit le risque d’hypoglycémie et qu’il est indolore car il n’y a pas de prise de sang.
Que l’insuline agisse vite ou lentement ou en réponse au glucose, bien des chercheurs aimeraient la fournir oralement aux patients plutôt que via une injection. Mais jusqu’ici, la biodisponibilité – la quantité du médicament qui se retrouve dans la circulation sanguine - a toujours été un tel obstacle que certaines firmes de premier plan ont renoncé à continuer l’exploration dans ce sens car la biodisponibilité stagnait à moins de 10%. Il existe quand même des structures de recherche qui ne se résignent pas à abandonner cette voie.
Les investigations futures pourraient s’orienter vers une combinaison de l’insuline à d’autres hormones. Ainsi, l’amyline est produite par les cellules ß en même temps que l’insuline. Il en résulte que les patients souffrant de diabète de type 1 manquent aussi d’amyline. L’idéal serait donc de fournir simultanément les deux hormones comme le fait le pancréas.
D’autres cellules pancréatiques libèrent du glucagon, une hormone hyperglycémiante qui est souvent utilisée pour secourir un malade en proie à une crise d’hypoglycémie. Certains essayent de mettre au point des co- formulations qui tentent de copier le complexe contrôle métabolique du corps humain.
L’insuline a beau avoir cent ans, les chercheurs n’arrêtent pas de demander à la vieille dame d’autoriser des innovations.
Mohamed Larbi Bouguerra
1) Harrison, « Médecine interne », McGraw-Hill et Arnette (Paris), 1994, p. 1979- 2000.
2) Celia Henry Arnaud, Chemical and Engineering News, 31 janvier 2022.
3) On notera que ni Louis Pasteur ni Alexander Fleming n’ont déposé de brevets pour leurs découvertes. L’argent a depuis complètement asservi la recherche biomédicale avec des retombées dramatiques pour la partie pauvre de l’humanité comme l’a amplement prouvé la dernière épidémie de Covid-19 s’agissant des vaccins.