Tunisie: Jardins scolaires et réforme éducative
Par Ridha Bergaoui - Un des piliers importants de la société est indiscutablement l’éducation. Le Président Bourguiba l’avait bien compris et avait entrepris, dès les premiers jours de l’indépendance, la réforme de l’enseignement en lui accordant la priorité et le budget le plus important.
Malheureusement, depuis quelque temps, l’éducation a perdu de son éclat. Le niveau des élèves ne cesse de se dégrader, le pourcentage d’abandon et d’échec scolaires prennent un niveau alarmant. Plus de 70 000 jeunes quittent l’école chaque année.
Autrefois ascenseur social, les diplômes de nos jours se dévalorisent et le nombre de diplômés du supérieur chômeurs avoisine les 300 000.
De nos jours, l’école, le collège et le lycée ne sont plus comme avant, un creuset pour puiser des connaissances et acquérir les valeurs morales enrichissantes et des compétences. Le feuilleton ramadanesque « El Fellouja », sévèrement critiqué lors des premiers épisodes, a été, finalement, massivement suivi par les téléspectateurs en raison de la pertinence des problèmes qu’il soulève et qui, il faut le reconnaitre, agitent et secouent notre système éducatif et toute la société.
Une réforme indispensable et urgente
Tout le monde s’accorde pour dire que l’école publique est en crise. Personne n’est plus satisfait de la situation actuelle. Enseignants, élèves et parents vivent depuis quelques années un état de tension, de stress et d’angoisse quasi-permanente. La solution tarde à venir et la situation ne fait que s’empirer et s’envenimer aux dépens de la formation des apprenants et de leur avenir.
Des incidents entre les enseignants et les parents ou les enseignants et les élèves se multiplient et prennent parfois des tournures très graves. Les perturbations du déroulement de l’année scolaire deviennent fréquentes, grèves et autres formes de contestations syndicales ne cessent de se multiplier. Cette année, les syndicats de l’enseignement de base et secondaire, suite à un différend avec le Ministère de l’Education, ont décidé la rétention et le blocage des notes pour les deux premiers semestres 2023. Le risque de s’achemine tout doucement vers une année blanche commence à se dessiner, avec toutes les retombées sur le moral des élèves et des parents, la qualité de l’enseignement et d’importants dégâts pour tout le pays.
Les problèmes sont nombreux et touchent aussi bien le contenu que les moyens. La nouvelle constitution prévoit la création d’un Conseil Supérieur de l’Education et récemment, le Président de la République vient de charger une commission afin de lancer une consultation nationale sur la réforme de l’éducation et de l’enseignement.
Fort besoin de sensibilisation des jeunes aux problèmes environnementaux et climatiques
La Tunisie est un pays essentiellement agricole. L’agriculture génère 10% du PIB et occupe plus de 15% des emplois. L’agriculture revêt une importance socio-économique primordiale surtout que plus de 35% de la population (4 millions environ) vivent en milieu rural. A côté du secteur des phosphates, dont la production est devenue aléatoire, les produits agricoles (huile d’olive, dattes, maraichage…) représentent les principales exportations du pays et jouent un rôle primordial dans l’équilibre de la balance commerciale alimentaire.
La Tunisie connait de nombreux problèmes d’épuisement des ressources, d’environnement en général, de sécheresse et de déficit alimentaire affectant directement les produits alimentaires stratégiques comme les céréales, les huiles végétales, l’alimentation animale…
Le pays vit, depuis quelques années, une situation de sécheresse grave qui risque de durer et de s’installer longtemps en raison du réchauffement climatique mondial qui met en question l’avenir de l’humanité entière. « Le pire est à venir » prétendent les experts. Le manque de pluies et d’eau douce représente particulièrement une grave menace pour notre alimentation et notre survie.
La crise climatique est certainement, pour les jeunes et les générations à venir, le défi majeur et crucial auquel ils devront faire face. Pollution, épuisement des ressources, crises énergétique, déforestation, érosion, changement climatique, déficit de la production agricole… sont autant de thématiques dont il est nécessaire de préparer, sensibiliser les jeunes, les impliquer et leur donner les outils nécessaires pour y faire face et les surmonter.
Les jardins scolaires
Un jardin scolaire (JS) est un espace, au sein de l’établissement scolaire du primaire et même du collège, réservé à la pratique du jardinage par les élèves sous la responsabilité d’un éducateur. La surface peut être plus ou moins importante selon la localisation et les disponibilités pouvant aller d’une importante étendue à un espace très réduit et même le recours à des pots et des bacs de culture. A côté de la culture de légumes, fleurs, plantes aromatiques…, le JS peut abriter un petit élevage de quelques animaux comme des lapins, quelques poules, pigeons, des tortues, des escargots, des vers de terre… Le JS peut se prolonger par un petit local de conservation, transformation et conditionnement des produits.
Très ancien dans de nombreux pays, mais abandonné au cours du dernier siècle, le concept de jardins scolaires revient en force. L’objectif n’est pas seulement d’apprendre aux élèves à faire pousser quelques légumes mais servir plutôt comme outil pédagogique et support pratique pour l’acquisition de connaissances et valeurs ayant un impact sur la vie quotidienne.
Les jardins scolaires serviront à illustrer et véhiculer de nombreuses disciplines théoriques enseignées à l’école à commencer par les sciences de la vie. Ils permettent de suivre les différentes étapes d’évolution des êtres vivants aussi bien des végétaux que des animaux, de reconnaitre les ennemis des cultures et les différentes méthodes de lutte. Les élèves seront sensibilisés l’importance de la qualité du sol et les problèmes de dégradation, d’érosion, de conservation et de fertilité. Les JS peuvent aider à mettre en pratique les notions d’économie et de lutte contre le gaspillage des ressources comme l’eau et les aliments en apprenant à recycler et valoriser les déchets. Les JS représentent une aide importante pour acquérir des connaissances sur les aliments, leur provenance et les chaines de valeur. On peut y apprendre la valeur alimentaire des aliments, les principes d’une alimentation saine et équilibrée, les techniques de conservation et de transformation…
Les jardins scolaires permettent également d’apprendre un ensemble de valeurs comme travailler en équipe, la patience, le sens de la responsabilité, l’estime de soi, le gout du travail, l’aptitude à décider et prévoir…Ils aident également à apprendre à bien s’organiser, résoudre les problèmes, développer le sens de l’observation, l’esprit critique et la démarche scientifique (observer, questionner, émettre des hypothèses et vérifier). Ils permettent de toucher la terre et de ne plus sous-estimer les travaux agricoles et manuels d’une façon générale.
Grace aux JS, en rapportant les connaissances pratiques acquises à domicile, l’enfant peut être vecteur d’informations, et de progrès pour la famille et son entourage. Les JS peuvent stimuler et développer chez les jeunes l’esprit entrepreneurial et les amener plus tard à se lancer dans la création d’entreprise dans le domaine agricole ou annexe.
Organiser des séances de dégustation et associer le jardin à une cantine scolaire permet aux élèves de consommer des produits sains, frais et de qualité. Ceci les aide à améliorer leur régime alimentaire et de les habituer à découvrir de nouvelles sensations liées à la consommation d’aliments dont ils n’ont pas toujours l’habitude de manger chez eux.
Le travail de la terre, le contact avec les animaux domestiques et d’élevage sont très bénéfiques et procurent plaisir et épanouissement. Ils ont été, depuis longtemps, utilisés comme thérapies pour guérir de nombreuses pathologies tant physiques que psychiques.
Les contraintes
En milieu rural, il n’est probablement pas difficile de trouver de l’espace pour créer un petit jardin. En milieu urbain il en sera certainement plus compliqué. Toutefois, il est possible d’aménager de petits carrés, des bacs, d’avoir des pots et contenants de différentes tailles, de pratiquer du hors sol ou même l’hydroponie dans une classe ou un local désaffectés.
Prévoir du temps à consacrer à cette activité (l’allégement des programmes scolaires a été sollicité depuis bien longtemps par tous les intervenants dans le système éducatif) et la création de clubs avec l’ouverture possible des établissements scolaires les week-ends et les jours de congé) et l’élaboration de supports pédagogiques.
La question de l’eau peut être cruciale sachant que de nombreux établissements scolaires ne sont pas raccordés au réseau et souffrent de manque d’eau potable. C’est une occasion pour sensibiliser les élèves à l’importance de l’eau, la lutte contre le gaspillage et les différentes techniques de collecte et d’économie d’eau. A la limite il faut prévoir un petit budget pour amener quelques citernes d’eau jusqu’à l’école.
La réussite des JS dépend beaucoup de la coordination entre les différents organismes impliqués, la motivation et l’adhésion de tous, la formation des formateurs. La collaboration et la contribution des services du Ministère de l’Agriculture, les responsables locaux et régionaux, la société civile, les syndicats et des associations peuvent être déterminantes dans la réussite de ces projets. La coopération entre les différents établissements pour échanges des connaissances, du matériel biologique, produits et du petit équipement sera également intéressante.
Sur le plan financier, un petit budget est à prévoir pour l’installation et le fonctionnement du jardin. Les produits peuvent être vendus au personnel de l’établissement ou aux élèves et les recettes servir à financer les activités du JS.
En Tunisie, une information, qui a été très peu relayée par les médias, c’est la rencontre de la Cheffe du Gouvernement, il y a quelques jours, avec les responsables de l’association « Wallah we can » au sujet de leur projet « Green School ». En effet la dite association essaye d’améliorer les conditions de vie des élèves et de garantir une certaine indépendance énergétiques et autosuffisance alimentaire des établissements scolaires grâce à l’exploitation de jardins scolaires dont la vente des produits peuvent servir à améliorer les infrastructures éducatives. Une expérience concluante a été menée au Collège de Makthar et l’association compte l’étendre à d’autres gouvernorats comme Bizerte, Siliana et Gabes. Il faut signaler que le concept « Green School » existe dans de nombreux pays comme l’Indonésie (Bali), les Etats Unis, Nouvelle Zélande, Afrique du Sud avec des approches un peu différentes selon les pays et les conditions locales. Ce concept est un peu différent des JS puisque la rentabilité et les recettes financières représentent le souci principal des « Green School ».
Les JS sont des outils pédagogiques et didactiques, qui ont fait leurs preuves dans de nombreux pays tant du Sud que du Nord du globe, pour améliorer la pertinence et la qualité de l’éducation des jeunes. Les JS ont permis de transformant l’école en un lieu attractif pour les écoliers et représentent un moyen efficace de lutte contre l’abandon scolaire.
A la veille d’une réforme et d’une mise à niveau du système éducatif national, l’introduction des jardins scolaires dans les programmes des écoles et collèges permet de sensibiliser les élèves, qui représentent les citoyens actifs de demain, à l’importance de l’écologie, de l’environnement, de l’eau, des arbres, de l’alimentation équilibrée et bien d’autres notions et valeurs indispensables pour leur épanouissement. .La FAO encourage la création de jardins scolaires et se dit, dans une note publiée en 2004, prête, avec le PAM, « à aider les gouvernements à préparer leurs programmes de jardins scolaires, aux niveaux national et local, et à mobiliser des ressources à cette fin».
Ridha Bergaoui