Professeur Ahlem Belhaj: La noblesse d’un engagement
Par Mohamed Salah Ben Ammar - A la fin de la lecture d’une tribune de Hélé Beji «Chaima Issa défend l’œuvre des libertés publiques accomplies par la révolution» parue dans le Monde du 23 mars 2023 je me suis empressé, comme j’en ai pris l’habitude de le faire quand un article me semblait intéressant, de la partager avec Ahlem. Pourtant je savais qu’Ahlem était partie un triste samedi soir, le 11 mars 2023 exactement.
Peut-on un jour se consoler de la disparition d’un être aussi cher que Ahlem? Pourquoi se soumettre à cet exercice douloureux qui est celui de parler publiquement d’une amie exceptionnelle? Pour se consoler ou pour consoler ou encore pour enfin accepter la fatalité? Me vient à l’esprit Sénèque «Les grandes douleurs en outre, toutes celles qui passent la mesure commune, interdisent le choix des paroles; car elles étouffent souvent jusqu'à la voix.». La disparition physique du Professeur Ahlem Belhaj est de celles qui laissent sans voix.
Hallouma comme j’aimais l’appeler a, comme toujours, pris les devants, elle est partie la première. Elle a toujours été dans une élite, au lycée, en athlétisme, en médecine, en psychiatrie et en tant que citoyenne engagée, une militante pour la démocratie et pour les libertés. Démocrates et féministe de gauche certes mais humaniste avant tout. Ouverte à toutes les idées, à toutes les cultures mais toujours du côté des opprimés sans retenue c’était une seconde nature chez elle. De gauche, elle l’était et même d’une gauche rouge foncé mais cela ne l’a pas empêché de défendre les islamistes, qu’elle combattait idéologiquement, quand ils ont été l’objet d’injustices sous la dictature de Ben Ali.
Elle était exceptionnelle, une véritable icône toujours souriante mais solide comme un roc, autant elle était fédératrice autant elle était ferme sur les principes.
Les souvenirs se bousculent, deux me viennent à l’esprit. Un 14 janvier 2011 avenue Habib Bourguiba aveuglé, j’avais reçu une bombe lacrymogène sous mes pieds, je courais sans savoir où j’allais mes yeux me brûlaient quand j’ai reconnu une voix qui me guidait, c’était Ahlem. Plus récemment, il y a quelques mois lors de notre dernier dîner en ville, on avait parlé d’avenir. Je vais probablement partir dans 10 mois m’a-t-elle dit mais l’esprit tranquille car ma fille a eu le bac et mon fils licencié en droit a eu son CAPA. Mes larmes coulaient en silence.
Ahlem nous a quittés physiquement mais plus que jamais ses combats accompagneront les femmes et les hommes épris de liberté. La puissance invisible de Ahlem se traduira encore longtemps dans nos engagements. Qui mieux qu’elle peut représenter aujourd’hui des idéaux patriotiques, sociaux, d’équité et de justice qui font tellement défaut de nos jours à nos sociétés ? Une force tranquille qui désarmait ses ennemis les plus féroces. Elle était respectée de tous. Ses convictions étaient affirmées sans concession mais jamais avec méchanceté. D’une grande culture, elle avait l’art de savoir écouter puis de faire appel subtilement à des références qui finissaient par convaincre. Avec élégance, force, modestie mais détermination ton étoile a brillé par où tu es passée. Je dois te l’avouer à titre posthume, jeune résidente je t'admirai déjà lors des assemblées générales et je n’ai jamais cessé de le faire par la suite.
Ravie à la vie, à tes proches, tes ami(e)s, tes collègues, tes camarades, aux démocrates, aux militants, aux femmes tunisiennes, à la Tunisie tu resteras pour toujours notre fierté, celle qui a donné de notre métier la plus belle illustration, une grande maîtrise de l’art doublée d’un engagement citoyen sans faille.
Mohamed Salah Ben Ammar
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