Tunisie: L’avenir est dans le poisson
Par Ridha Bergaoui - Le Tunisien consomme en moyenne 11,5 kg de poisson/an. La consommation moyenne mondiale se situe à environ 20 kg/habitant/an avec de très grandes variations allant de presque 55 kg pour les Coréens du Sud et 35 kg pour les Japonais à, à peine, un kilo pour certains des pays enclavés qui n’ont pas accès à la mer.
Près de chez nous, la moyenne dans les pays de l’Union Européenne serait d’environ 25 kg avec de gros consommateurs comme le Portugal (60 kg), la France (35 kg), Malte (29 kg) et l’Espagne (25 kg). Les Marocains consomment presque autant que nous alors que les Algériens en consomment très peu (3 à 5 kg seulement).
Alors que le prix de la viande, surtout la viande rouge, ne cesse d’augmenter, le poisson est, d’une façon générale, plus abordable et représente un substitut intéressant à la viande.
Le poisson, un aliment «healthy» et gourmand
Contrairement à la viande rouge, grasse et riche en cholestérol et acides gras saturés nuisibles pour la santé, le poisson jouît d’une bonne réputation et est conseillé par la plupart des spécialistes de la santé. Aussi riche en protéines et en acides aminés que la viande, le poisson est beaucoup moins calorique et bien pourvu en vitamines (B, A, D, E…) et en minéraux comme le zinc et surtout l’iode, indispensable pour la synthèse des hormones thyroïdiennes dont l’importance pour l’organisme est primordial. Les poissons gras, comme la sardine ou le maquereau, sont riches en oméga-3, très connu pour ses nombreux rôles dans la protection du système cardio-vasculaire, la lutte contre le cholestérol et la prévention de nombreuses pathologies.
Bien cuisiné (grillé, au four, frit ou en sauce), le poisson est un plat gourmand et succulent. Le couscous au mérou est un must de la cuisine Tunisienne. Un complet poisson avec une bonne salade méchouia ou tastira est souvent un véritable régal. Pas la peine d’aller chercher dans les poissons nobles, rares et trop chers. Des maquereaux frits ou même un plat de sardines grillées, au four, frits ou farcies font le bonheur du consommateur.
Le poisson est toutefois moins riche en fer que la viande rouge. Le fer entre dans la composition de l’hémoglobine du sang et intervient dans le transport de l’oxygène vers les organes du corps ainsi que le bon fonctionnement du système immunitaire.
La mer, un excellent allié pour l’environnement
Avec la pollution, l’épuisement des ressources et le dérèglement climatique, la question environnementale revêt une importance capitale pour le devenir de la terre et l’avenir des générations futures.
L’élevage est une source importante de dégradation des ressources et de production de gaz à effet de serre. Déforestation, importantes superficies et eau réservées aux aliments du bétail, mauvaise transformation des aliments et production de méthane par les animaux (essentiellement les ruminants) sont d’importants griefs qu’on reproche à l’élevage et l’intensification des productions animales.
Mers et océans représentent au contraire de véritables puits de carbone et absorbent plus de 30% du carbone produit par l’homme dont une partie est dissoute dans l’eau salée et le reste fixé par les organismes marins. Végétaux marins, algues et plancton fixent le carbone de l’air et le transforment, par photosynthèse, en matière organique. Cette fixation du CO² est à l’origine de la production de près de la moitié de l’oxygène terrestre. Le plancton est par ailleurs à la base de la chaine alimentaire marine et représente l’aliment essentiel pour de nombreuses espèces.
Certes la pêche génère du carbone par l’intermédiaire des bateaux de pêche, le transport et la conservation du poisson. La surpêche détruits les écosystèmes et la disparition de nombreuses espèces marines. La pollution des mers surtout par le plastique est également un problème grave qu’il faut traiter sérieusement. Il est indispensable de lutter contre la surpêche, la pêche industrielle et de pratiquer une pêche responsable et durable.
Le changement climatique impacte aussi le milieu marin
Les effets du réchauffement climatique, avec le manque de pluie et la sécheresse, et les menaces qui l’accompagnent pour l’agriculture, sont beaucoup plus connus par le public que les effets sur les océans et les mers. A côté de la fonte des glaciers et la montée du niveau de la mer, mettant en péril de nombreuses régions du globe, le réchauffement climatique déstabilise les mers suite à l’augmentation de la température de l’eau, son acidification et la perturbation de la circulation des courants marins.
Dans une intéressante étude publiée en 2021 intitulée : « Tunisie- Contribution aux éléments de la phase préparatoire du processus du plan national d’adaptation (axe 2) » dans le cadre de la Facilité Adapt’Action, financée par l’AFD, les différents experts essayent de mettre en relief les risques du changement climatique pour l’eau agricole, les cultures céréalières, l’oléiculture, les parcours et l’élevage ainsi que pour la pêche. Les auteurs indiquent qu’aux horizons 2050 et 2100, la Tunisie va connaitre:
• Une augmentation de la température, augmentation du nombre de journée de canicule avec une augmentation de la fréquence des événements climatiques extrêmes et de la sécheresse
• Une diminution des précipitations, un quota en ressources renouvelables par habitant par an pouvant passer actuellement de 366 m3/habitant à 150 m3 seulement à l’horizon 2100
• Une diminution de l’apport en eau disponible pour les productions agricoles
• Une diminution de 16% en moyenne des aires favorables aux cultures céréalières (blé dur, blé tendre et orge) et une importante diminution des rendements de 14 à 32% et jusqu’à 38% des productions
• Une baisse, estimée à 30%, du rendement de l’oléiculture avec également une diminution des aires de culture de 14% environ et une chute de la production d’huile jusqu’à 70% à l’horizon 2100 (en passant de 200 000 tonnes pour la période 1980-2010, à seulement 60 000 tonnes) entrainant une baisse considérable des recettes
• La baisse des précipitations, l’augmentation des journées de canicule et le stress hydrique entrainent une baisse de la production fourragère et pastorale d’environ 40% à l’horizon 2100. Les gouvernorats du Sud, dont l’élevage est essentiellement basé sur les parcours, seront particulièrement touchés. La baisse de la production des viandes rouges serait importante, surtout pour les élevages qui dépendent des parcours, et les frais d’alimentation du cheptel très élevés.
Pour la pêche, les experts indiquent que l’augmentation de la température de l’eau risque d’entrainer la disparition de nombreuses espèces endémiques et l’invasion d’espèces exotiques. Quoique les ressources benthiques soient déjà surexploitées, les ressources pélagiques et les espèces exotiques présentent un potentiel très important. La productivité des zones de pêche pourrait doubler en 2100 pouvant atteindre 3 tonnes/km² pour la zone du sud. A part la pêche au charfia (surtout à Kerkena) et la pêche à pied de la palourde, dont les aires vont se rétrécir en raison de l’augmentation du niveau de la mer, la production halieutique pourrait dépasser les 200 000 tonnes d’ici 2100.
Contrairement au reste des productions agricoles, les disponibilités en produits de la pêche seront plus importantes et pourraient représenter une importante source de protéines animales pour la population et une augmentation substantielle des recettes à l’exportation. Toutefois, suite à l’augmentation de la température de l’eau, un changement important de la composition des ressources maritimes, avec disparition d’espèces natives et l’installation de nouvelles espèces, est attendu. Cette tendance à la tropicalisation est déjà très nette avec l’apparition du poisson barracuda, la sardine de la mer rouge… et surtout du crabe bleu.
Conséquences sur le régime alimentaire
Avec le réchauffement climatique et la sécheresse qui s’installe depuis quelques années déjà, l’agriculture qui dépend directement des ressources hydriques, se trouve directement impactée. La production fourragère et les parcours nécessaires pour l’alimentation du bétail se trouvent également pénalisés. La production alimentaire est en baisse et les prix flambent. Le consommateur Tunisien arrive difficilement à joindre les deux bouts. Il doit s’adapter et changer ses habitudes alimentaires.
Par ailleurs, il est admis que le régime alimentaire du Tunisien a été complètement bouleversé depuis l’indépendance. Le régime est actuellement franchement hypercalorique. Face à un besoin moyen de 2000-2200 kcal/jour, la consommation énergétique moyenne se situerait à 3200 kcal. Le Tunisien consomme trop de pain, trop de pâtes et trop de gâteaux et sucreries. Sa consommation de viande, d’œufs, de lait et dérivés a très sensiblement augmenté au cours des années. Trop de sucre, de boissons gazeuses, trop de sel ajouté en plus de la sédentarisation, un manque flagrant d’activité sportive et le tabac expliquent en grande partie le surpoids, l’obésité et toutes ces pathologies cardiovasculaires, les cancers, le diabète et autres pathologies devenues fréquentes.
Lutter contre le gaspillage alimentaire et réduire sa consommation de pain, de pâtes, de viande, sucre, boissons gazeuses et sel fera du bien à la santé du consommateur et à son porte-monnaie. Manger plus de poisson, disponible en des quantités suffisantes et à des prix tout à fait raisonnable, est tout à fait conseillé tout en faisant du bien pour sa santé, pour son budget et pour l’économie nationale.
S’occuper encore plus de la mer et des pêcheurs
La mer a été depuis très longtemps source de vie, de richesse et un facteur important de développement et d’épanouissement de nombreuses civilisations. La Tunisie est bien avantagée de ce côté puisqu’elle possède 1570 km de littoral et 96 000 km² d’espace maritime. Elle dispose d’une respectable infrastructure marine composée de 41 ports de pêche, 9 ports de commerce et 7 ports de plaisance. L’activité de la pêche est pratiquée par 13 500 unités de pêche et 52 000 marins. La production de poissons et autres produits de la mer (hors aquaculture et pêche continentale) est estimée à 125 000 tonnes/an.
De nombreux Ministères interviennent au niveau de la mer (Agriculture, Défense Nationale, Intérieur, Commerce, Finance, Environnement, Tourisme…). Le Ministère de l’Agriculture, des Ressources Hydrauliques et de la Pêche (MARHP) a longtemps fonctionné avec un Secrétariat d’Etat dédié à la pêche.
Un Secrétariat Général des Affaires de la Mer (SGAM), rattaché à la Présidence du Gouvernement, fut créé en 2019 et devait coordonner entre les différents intervenants. Dommage que ce SGAM soit actuellement en veilleuse et ne se manifeste presque plus, depuis l’arrivée de Mme Najla Boudenen octobre 2021, alors qu’il existe bien sur l’organigramme de la Présidence du Gouvernement.
Pour ses dimensions stratégique, juridique, sécuritaire, environnementale et commerciale, la mer en Tunisie revêt une importance capitale. Elle joue un rôle important dans la régulation du climat. En Tunisie les régions côtières abritent presque 8 millions de personnes (soit environ les 2/3 de la population) qui vivent et dépendent en grande partie des ressources côtières et marines.
Le réchauffement climatique risque d’impacter sérieusement les régions côtières et toute l’activité de la pêche surtout avec l’arrivée de nouvelles espèces invasives dont on ne connait nullement le comportement et l’évolution. Il faut rappeler que le crabe bleu, surnommé par les pêcheurs «Daech» pour les importants dégâts qu’il occasionne aux poissons et aux filets, était perçu au départ comme une véritable malédiction pour être, heureusement, finalement exploité et exporté en Asie.
Il serait primordial de prêter un maximum d’attention à cette ressource qui, gérée correctement, représente une véritable richesse pour le pays et source d’aliments nobles et de qualité.
Ridha Bergaoui