La Tunisie et la transition écologique: Eclairages sur la nouvelle stratégie
De grands enjeux, mais aussi de réelles opportunités : l’essentiel est de s’y prendre tout de suite et avec résolution. La transition écologique s’impose en effet à la Tunisie de toute urgence et avec acuité. Une stratégie nationale est quasi finalisée. Le gouvernement s’y est mis et le ministère de l’Environnement, en chef de file, a redoublé d’efforts ces derniers mois pour boucler cette stratégie, en collaboration avec les différentes parties concernées. Elle sera mise en débat lors d’assises nationales prévues les prochaines semaines. Quelles sont les grandes lignes de cette stratégie et comment sera-t-elle mise en œuvre? Eclairages.
«La transition écologique vise (… ) à mettre en place un modèle de développement résilient, durable, socialement juste et inclusif, souligne à Leaders Leila Chikhaoui-Mahdaoui, ministre de l’environnement. Un modèle qui transforme nos façons de consommer, de produire, de travailler et de vivre ensemble en tenant compte des facteurs spatio-temporels et intergénérationnels. En l’état actuel de la planète, la Tunisie ne peut rester à l’écart des changements mondiaux et a tout intérêt à se doter d’une Stratégie de transition écologique ambitieuse, à la hauteur des enjeux et opportunités d’une telle démarche dont la pertinence est aujourd’hui évidente».
Passant en revue les enjeux, la ministre mentionne notamment:
• La rareté et la dégradation des ressources en eau, en termes quantitatifs et qualitatifs.
• La gestion peu rationnelle des ressources en eau et de l’énergie et l’existence de gaspillages et de pertes énormes (ex. près de 30% en eau et presque autant en produits alimentaires) induisant une très faible productivité des ressources.
• La gestion inefficiente des déchets ménagers et assimilés, industriels et dangereux.
• L’aggravation de la pollution hydrique, atmosphérique et terrestre, avec une forte exposition des populations les plus vulnérables, tant en milieu urbain que rural.
• La désertification et la dégradation des sols.
• La dégradation du littoral.
• La perte de la biodiversité continentale et marine.
En outre, ajoute la ministre, à côté de ces défis endogènes, la Tunisie se trouve confrontée à des menaces exogènes globales: le réchauffement climatique et ses conséquences désastreuses ; la perte de la biodiversité et la disparition des espèces; la pollution marine, notamment en Méditerranée, dont celle par le plastique et l’accroissement de la production de déchets.
Face à tant de défis, de bonnes opportunités s’offrent à la Tunisie, à travers notamment l’Agenda 2030 des Nations unies, l’Accord de Paris sur le climat, les contributions déterminées au niveau national, les financements, les gains technologiques, l’industrie 4.0 et la mise à l’échelle de l’économie numérique, le développement de la mobilité électrique et la coopération internationale.
Les éléments de la Stratégie de transition écologique, indique Mme Leila Chikhaoui Mahdaoui, se fondent sur une vision intégrée et inclusive déclinée en une série d’objectifs et de domaines d’intervention spécifiques, l’ensemble en interaction avec les stratégies, plans et programmes d’action nationaux, ainsi qu’avec les instruments internationaux signés et ratifiés par la Tunisie en matière d’environnement, de développement durable et de lutte contre les changements climatiques.
La vision de la transition écologique à l’horizon 2035-2050 est claire. Il s’agit d’assurer «le bien-être matériel et immatériel des générations actuelles et futures, dans le cadre d’un modèle de développement économique et social juste et inclusif, sobre en ressources naturelles et en énergie, écologiquement neutre, adapté aux changements climatiques et résilient aux crises et catastrophes.»
Cinq objectifs et cinq domaines
Cette vision est déclinée en cinq objectifs stratégiques et cinq domaines d’action. L’objectif central est « d’assurer la pérennité du capital naturel et améliorer l’efficience des ressources dans les activités de développement. » A cet effet, cinq objectifs spécifiques sont fixés:
1. Instaurer une gouvernance institutionnelle systémique, intersectorielle et territoriale et mettre à disposition des systèmes de financement adaptés et accessibles.
2. Renforcer les capacités d’adaptation et de résilience des secteurs, des milieux et des populations vis-à-vis des changements climatiques et de leurs effets et réduire l’intensité carbone pour atteindre la neutralité en 2050.
3. Assurer une gestion rationnelle des ressources naturelles, préserver et restaurer les écosystèmes (terrestres et marins), y compris la lutte contre la désertification.
4. Asseoir les bases de l’économie verte, bleue et circulaire dans le cadre de modes de consommation et de production durables et éradiquer à terme les points chauds de pollution, décontaminer et réhabiliter les sites pollués.
5. Développer la culture environnementale, les sciences, la connaissance et la qualification des ressources humaines dans les domaines de la protection de l’environnement, du développement durable et de la lutte contre les effets des changements climatiques et diffuser ces valeurs auprès des divers acteurs.
Quant aux domaines d’intervention de la Stratégie de transition écologique, ils sont aussi au nombre de cinq et développent les objectifs stratégiques, à savoir :
1. La gouvernance et le financement.
2. La prise en compte des changements climatiques, via la CDN nationale (2015, actualisée en 2021) et la Stratégie nationale de développement neutre en carbone et résilient aux changements climatiques (SDNC-RCC 2050).
3. La gestion durable des ressources naturelles et des écosystèmes et la lutte contre la désertification.
4. La promotion de modes de consommation et de production durables et la lutte contre la pollution.
5. Le développement de la culture environnementale, de la science et de la connaissance en faveur du développement durable, de l’adaptation aux changements climatiques et de la transition écologique.
Des recommandations appropriées
Au titre de la gouvernance institutionnelle, la stratégie propose notamment la création auprès de la Présidence du Gouvernement d’une Haute instance spécialisée présidée par le/la Chef(fe) de Gouvernement et composée de tous les ministres, ainsi que d’unités chargées du suivi de la transition écologique dans tous les secteurs. Pour ce qui est des changements climatiques en termes d’atténuation, d’adaptation et de renforcement de la résilience, une mise en œuvre immédiate et concertée de la Contribution déterminée au niveau national (CDN 2015, actualisée en 2021) est recommandée. Il est également proposé la conception, l’adoption et la mise en œuvre de mesures d’adaptation et de résilience du littoral et des écosystèmes insulaires aux effets des changements climatiques (proposition de Kerkennah : système insulaire modèle d’adaptation aux CC dans le cadre du Plan 2023-2025), ainsi que la mise en place d’un système national d’alerte climatique précoce, connecté aux réseaux internationaux en la matière, dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie et du Plan d’action national relatif au cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe (2015-2030).
S’agissant de la gestion durable des ressources naturelles et des écosystèmes, la stratégie préconise notamment l’élaboration d’une vision et d’un programme national pour une agriculture durable et résiliente, la protection, la restauration et la régénération des écosystèmes (continentaux et marins) et de la biodiversité biologique et la lutte contre la désertification et la dégradation des sols (mise en œuvre du Programme national de lutte contre la désertification 2018-2030).
Au titre de la promotion des modes de consommation et de production durables et de la lutte contre la pollution, la stratégie entend œuvrer à la rénovation et au renforcement des mécanismes et des instruments de précaution et de prévention de la pollution, à la modernisation et au renforcement des mécanismes de surveillance des milieux et de contrôle de la pollution, à l’éradication progressive des points chauds de pollution, à la restauration des sites contaminés et à la mise en œuvre immédiate du Plan d’action national de consommation et production durables, élaboré en 2016. Elle recommande le développement d’un transport en commun commode, sûr et durable et d’une mobilité électrique et hybride dans le cadre de la Stratégie des transports durables à l’horizon 2035, la mise en œuvre de la Stratégie industrielle verte et résiliente, de la Stratégie de transition énergétique (promotion des énergies alternatives telles que le solaire ou l’hydrogène vert dans le mix énergétique), de la Stratégie du tourisme durable et alternatif, de la Stratégie de gestion circulaire globale et sectorielle des déchets, basée sur l’intégration des secteurs et la durabilité et incluant essentiellement la lutte contre la pollution par les plastiques, la gestion durable des déchets de démolition et de construction (DDC – gravats) et leur usage comme matière première dans la construction de routes, autoroutes et autres éléments de mobilier urbain, la généralisation du compostage en vue de restaurer les sols, réduire les quantités de déchets et créer des emplois, la lutte contre les pollutions diffuses issues des activités économiques autorisées (engrais, pesticides …), via la promotion de mesures d’accompagnement destinées à modifier les pratiques irrespectueuses des milieux, ainsi que la conception et la mise en place d’un programme d’action national de santé environnementale, via la réalisation d’enquêtes épidémiologiques et le suivi de l’état de santé des populations, notamment les plus exposées à la pollution.
Le développement de la culture environnementale, de la science et de la connaissance en faveur de la transition écologique constitue lui aussi un pilier important. Ce domaine inclut notamment la promotion d’une culture de transition écologique, le développement des connaissances scientifiques et de la recherche transdisciplinaire en la matière ainsi que la formation académique et professionnelle des ressources humaines dans tous les domaines servant la transition écologique.
Participation et concertation
La Stratégie de transition écologique est adossée à des cibles précises et des indicateurs de performance fixés sur la base d’une série de mesures opérationnelles. Ces mesures sont détaillées et énoncées par acteur(s) de mise en œuvre et indicateur(s) et leur impact est projeté à divers horizons, du plus proche (plan 2023-2025) au plus lointain (2050) en passant par le moyen terme (2035).
Pour la ministre de l’environnement, ce travail de réflexion et de conceptualisation stratégique est important. Il s’agit à présent de le doter du portage administratif, sociétal et financier nécessaire. C’est ainsi que préalablement à leur adoption, il est prévu de soumettre les mesures et cibles proposées à une concertation interministérielle élargie, ainsi qu’à un dialogue constructif avec les parties prenantes du secteur privé et de la société civile.