Mohamed Salah Ben Ammar: Redescendre sur terre
Les déclarations se suivent et ne se ressemblent pas. Dimanche dernier à Al-Hamma, à quelques encablures de Gabès, le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, a déclaré «le pays doit compter sur lui-même au lieu de faire appel aux autres». Entretemps, Antonio Tajani, ministre italien des Affaires étrangères, échangeait avec la directrice du FMI, Kristalina Georgieva, au sujet de la Tunisie. En face et en l’absence d’une communication gouvernementale claire, le «Peuple» est bercé de promesses de lendemains qui chantent, empêtré qu’il est dans les contingences du quotidien, il semble avoir succombé pour le rêve comme anesthésiant bon marché. Khaled Boumiza, dans African Manager le résume ainsi: «La Tunisie, c’est désormais l’Etat du «Peuple veut», et ce dernier ne pense qu’à consommer et à en donner le moins à l’Etat qui ne donne rien». Un malentendu savamment entretenu.
Sinon que faut-il entendre par le «compter sur soi» du SG de l’UGTT ? Tous rêvent d’un État social fort qui interviendrait efficacement dans les domaines social et économique pour assurer des prestations aux citoyens et notamment pour les plus démunis mais tous comptent sur l’autre pour faire l’effort nécessaire.
Tous prétendent défendre l’intérêt supérieur de la nation, tous disent vouloir préserver l'État-Providence mais aucun ne dira un jour la vérité au «Peuple». En effet, qui osera dire que sans un effort national, sans une sérieuse remise en cause de nos pratiques, sans sacrifices, nous irons droit dans le mur? Qui nous débarrassera de nos pensées magiques. Nous ne baignons pas sur un océan de pétrole et nous n’avons aucun espoir de gagner à la loterie. Il nous faut travailler pour créer des richesses.
Le nationalisme: un outil de pouvoir et un dangereux poison
Chacun y va de son couplet nationaliste et souverainiste: Nos richesses sont pillées par les étrangers, nos malheurs s’expliquent par l’ingérence des autres dans nos affaires. Un discours qui nous absout de toute responsabilité dans la situation! Le discours nationaliste primaire nous berne. Un souverainisme de façade qui plait tant mais qui est tellement trompeur. Nos égos aiment entendre les responsables clamer la main sur le cœur que le moindre centimètre de souveraineté sera vaillamment défendu. Evidemment qui pourrait dire le contraire? Mais seul ce discours nous éloigne de la solution. C’est un déni de la réalité.
Qu’il se drape de religion, de culture ou d’économie, la finalité du nationalisme a toujours été le pouvoir, jamais de trouver des solutions. Un terrible piège qui a fait tant de mal. La logique nationaliste ne pense qu’en termes de prestiges et de rapport de forces. Elles n’évoquent l’histoire qu’en termes de gloire ancienne et de prestige perdu. Un discours manipulateur qui nous éloigne de la réalité. Les dérives nationalistes ont conduit bien des pays à la ruine. Il suffit de revisiter l’Histoire pour réaliser que les partis nationalistes ne cherchent rien d'autre que leur intérêt, pas celui du peuple qu’ils prétendent incarner. Malheureusement l’adhésion populaire est souvent là. Le «Peuple» aime être flatté. Le citoyen une fois enfermé dans la logique nationaliste paranoïaque, devient sourd et surtout aveugle incapable de remettre en question ses choix, quelques soient les évidences qu’on leur présente.
Au nom du principe de réalité
En Tunisie, le système ressemble actuellement à un château de cartes et gare celui qui fera bouger la première carte. Les belles promesses n’engagent que ceux qui y croient, dans ce contexte chacun se permet de fanfaronner mais sans plus. Aujourd’hui le chômage est à deux chiffres, notre dette explose et l’inflation toujours supérieure à 9% et au nom d'un nationalisme déplacé on nous fait croire que nous sommes maîtres de la situation.
Inutile de se mentir, nous sommes dépendants du monde extérieur. Nous sollicitons depuis deux ans le Fonds Mondial International (FMI) pour un crédit qui tarde à être accordé. Quand bien même, il adviendrait, cet accord avec le FMI - dont le décaissement de la première tranche est évalué à 400 millions d’euros - reste loin des besoins réels et urgents du pays. Le budget de l’année en cours, à lui seul, affiche un besoin en financement d’environ 1,5 milliard d’euros que les Français ont proposé de couvrir, en partie, en décaissant 250 millions d’euros conditionnés à un accord préalable avec le FMI.
Une crise migratoire qui tombe à pic?
Comment le FMI a-t-il été associé à l’immigration? Est-ce une belle image que nous donnons de notre pays? Hakim El Karoui dans l’Opinion du 18 juin 2023 a intitulé sa Tribune: «L’Union Européenne s’autohumilie en Tunisie» il a notamment écrit: «Les Européens sont inquiets de la situation pour une seule raison: ils ont peur de l’émigration qui pourrait venir de Tunisie en cas d’effondrement économique, social, politique du pays». Josep Borrell, à la tête de la diplomatie européenne, n’a-t-il pas insisté lui aussi sur le risque d’«effondrement» qui guette notre pays?
Faisant fi de la réalité, les politiciens de tous bords distillent des messages trompeurs! Dans ce contexte, les fanfaronnades nationalistes sont totalement décalées de la réalité et font du mal. Elles nous éloignent chaque jour un peu plus des solutions. Les plans d’ajustements structurels ont dans le passé détruit des tissus sociaux, ils ont détruit la santé, l'école, les transports mais faire le constat n'est qu'une première étape d'une prise de conscience collective. Nous n'en prenons pas le chemin pour le moment. Le propos n’est pas de faire confiance ou pas au FMI ou d’appliquer ou pas les plans d’ajustements structurels préconisés mais de réaliser qu’un jour ou l’autre il nous faudra redescendre sur terre et ne plus prêter l'oreille aux beaux discours pour entamer une réflexion sur les réformes nécessaires au bien être de nos concitoyens. Ces réformes ont un prix politique, social et économique énorme, à ce jour personne ne veut assumer ce rôle.
Mohamed Salah Ben Ammar