Le thon en conserve: un aliment intéressant et un potentiel important
Par Ridha Bergaoui
1- Le thon est très apprécié partout et consommé souvent dans le monde entier. La texture fine et tendre de la chair, sa couleur attrayante et sa saveur agréable en font un met délicat et raffiné. Le thon est très riche en éléments nutritifs (protéines, minéraux, vitamines, myoglobine et surtout des acides gras insaturés du type omégas 3). Il est pauvre en graisses et peu calorique.
Il représente un excellent aliment. Il est bon pour le fonctionnement du cerveau et prévient de nombreuses maladies cardiovasculaires et certains types de cancers.
2- Le thon rouge (Thunnus thynnus L.) fait partie de la famille des Scombridés qui comprend d’autres thons dont essentiellement la bonite à ventre rayée ou Listao et le thon jaune ou Albacore ou Yellowfin dont seules les nageoires sont jaunes mais la chair rosée. La bonite est l’espèce dominante la plus abondante suivie par l’albacore. Le thon rouge, qu’on pêche en Méditerranée, est l’espèce la plus rare dont la pêche est contingentée.
3- Très puissant, un excellent nageur et infatigable, le thon avec sa forme fuselée et aérodynamique est un prédateur pélagique féroce. Son poids est très variable. Des records de 650 et 800 kg ont été enregistrés.
4- Le thon est de plus en plus consommé en conserve. Cette présentation préserve les qualités nutritionnelles et gustatives du produit et permet de le conserver facilement très longtemps (3 à 4 ans). Le thon en conserve est très pratique à utiliser et se consomme directement sans aucune préparation préalable. Pour répondre aux besoins variés des consommateurs, les industriels proposent de nombreuses présentations (thon entier, en morceaux et en miettes) avec différents milieux de couverture (saumure, huile, sauces variées).
5- Le Tunisien raffole du thon surtout au mois de Ramadan et en été alors qu’il a tendance à consommer des plats légers, rapides et faciles à préparer. Le thon est utilisé soit en garniture, pour décorer les plats, pour leur donner plus de gout et de saveur soit comme composant principal. Brick, fricassé, casse-croûte, salade mechouia, plat tunisien, pizza, leblabi, ojja, spaghetti, riz, viande au thon…sont autant de spécialités tunisiennes où la présence du thon est obligatoire.
6- Le Tunisien consomme en moyenne 0,500 kg de thon/an (INC, 2018). Sa consommation est multipliée par 4 au mois de Ramadan. Durant ce mois, une famille moyenne composée de quatre personnes, consomme en moyenne quatre boites de 160 g de conserve de thon. Elle en consomme une boite/mois pour le reste de l’année. La moyenne de la consommation de thon dans l’Union Européenne est de 3 kg/personne/an. Cette moyenne est seulement de 2,5 kg en France.
7- Le thon est un grand voyageur. Le thon rouge du Nord vit dans l’océan Atlantique, il migre en été en Méditerranée pour s’accoupler, se reproduire et pondre. La Tunisie est un lieu de ponte et de croissance des alevins et juvéniles. La pêche se fait du mois de mai à juillet après la ponte des reproducteurs.
8- La pêche au thon rouge en Tunisie remonte au temps des Carthaginois. Durant le XIXe siècle, les Italiens détenaient le monopole de la pêche à la madrague (filets de pêche fixes). Au XXe siècle, les madragues se multiplièrent et se trouvaient répartie le long des côtes Tunisiennes. La plus importante et la plus ancienne était celle de Sidi Daoud. Jusqu’il y a quelques années on organisait la pêche traditionnelle du thon, appelée « Matanza » (qui signifie tuerie en Espagnol), où les pêcheurs, sur leurs barques, se rapprochaient des poissons, piégés dans la chambre de mort de la madrague, et commençaient à abattre en les assommant ou les harponnant les gros poissons de thon. A la fin des années 1970, la pêche à la senne tournante (filets utilisées pour encercler les bancs de thon) avec des thoniers-senneurs modernes et bien équipés fut introduite. Depuis, les madragues ont perdu de leur importance et la pêche à la senne a pris la relève. De nos jours, les madragues ont été complètement abandonnées.
9- Face à l’engouement des consommateurs (surtout les Japonais) pour la consommation du thon rouge, la rareté et le déclin des stocks de thon rouge et afin de protéger cette espèce ainsi que la biodiversité, la pêche du thon rouge a été réglementée par la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique qui octroie chaque année et pour chaque pays un quota déterminé. A son tour, le Ministère de l’Agriculture des ressources hydrauliques et de la pêche (Marhp) distribue ce quota aux pêcheurs. Les dernières années, le quota attribué à la Tunisie est de 3000 tonnes/an qui est réparti sur une centaine de pêcheurs.
10- Le thon péché en Tunisie est de très bonne qualité et très recherché à l’échelle mondiale. Il est presque exclusivement et totalement exporté. Il est soit conditionné, éviscéré et étêté et envoyé rapidement par avion, pour être vendu surtout au Japon, gros consommateur et importateur de thon. Soit amené en haute mer pour engraissement dans des cages flottantes appartement à des entreprises off-shore. La production nationale est d’environ 2500 tonnes. Un thon moyen pèse 30 à 70 kg. Certains peuvent arriver jusqu’à 250 kg et dépassent les 3 m de long.
11- La Tunisie exporte le thon rouge et importe du thon congelé de moins bonne qualité et moins cher (listao et albacore) pour le préparer et le mettre en boites pour la consommation locale. Elle importe environ 7 000 tonnes de thon congelé par an.
12- Le thon est préparé soit dans de l’huile d’olive soit dans d’autre huile végétales soit tout simplement dans une saumure. Le milieu de conservation est un liquide riche qui a presque la même valeur nutritive que le thon lui-même. Il est conseillé de ne pas le jeter mais de l’utiliser pour assaisonner les salades par exemple.
13- La mise en boite du thon comporte les phases suivantes: élimination de la tête, viscères et nageoires, cuisson dans de l’eau, découpe du thon en morceaux, mise en boite et remplissage avec le liquide de couverture et enfin stérilisation. Certains industriels procèdent à la mise en boite du thon frais et le stérilisent sans le cuire au préalable. Le thon obtenu dans ce dernier cas est de meilleure qualité puisqu’il aurait subi une seule cuisson et aurait perdu moins de sa valeur nutritive. Une boite de thon peut se conserver plusieurs années. Toutefois, la boite ouverte, le thon contenu peut se dégrader rapidement par des bactéries de décomposition. Sa conservation au frigo et son utilisation rapide (dans les 48 h) sont recommandées. On trouve sur le marché des boites de thon de différentes capacités allant de 60g à 5kg. La Tunisie dispose d’une douzaine d’usines de conditionnement du thon pour une capacité de 200 tonnes/jour environ.
14- En 2018, l’Institut national de la consommation (INC) a effectué une étude, à partir des boites de thon fabriquées en Tunisie et disponibles dans le commerce. De nombreuses analyses ont été effectuées aussi bien sur la présentation que les résidus et métaux lourds. Les boites de thon de 160g commercialisés semblent conformes à la législation en vigueur avec des variations de l’appréciation générale allant de très bien à médiocre. On constate qu’il n’y a aucune relation entre le prix du thon et l’appréciation générale attribuée dans l’étude. On trouve ainsi des boites très chères qui se trouvent classées au bas du tableau après des boites beaucoup moins chères. Sur le plan sensoriel, la présence de l’huile d’olive ne semble pas avantager le thon en conserve.
15- Le rendement en chair du thon est d’environ 50%. Des efforts sont menés pour valoriser les déchets. Ils peuvent être séchés et transformés en farines pour l’alimentation animale et huile de thon riche en omèga3. Les poches remplies d’œufs des femelles peuvent être salée, pressée, et séchées pour fabriquer un produit exceptionnel, raffiné et luxueux : la poutargue ou boutargue.
Celle-ci est consommée en fines tranches en toast beurrés ou râpée dans un plat de pâtes… Les japonais mangent les yeux ou globes oculaires du thon, vendus dans les grandes surfaces. On en fait un plat délicat avec des recettes variées et servies avec des légumes et des sauces piquantes.
Des recherches sont effectuées pour extraire des substances bioactives qui peuvent avoir un potentiel pharmaceutique intéressant. On peut extraire de la gélatine marine qui remplace avantageusement les gélatines bovines ou porcines classiques. Certains ont confectionné un cuir innovant à partir de la peau de thon pour la fabrication de chaussures de sport et sneakers solides et confortables.
16- Les thons péchés durant la saison de reproduction sont généralement épuisés et maigres. Pour améliorer la valeur marchande de ces poissons, surtout pour le marché Japonais, qui exige des thons dont la chair est bien colorée, d’un rouge vif, et grasse, on procède à l’engraissement de ces poissons.
17- Le thon ne se reproduit pas en captivité comme le reste des poissons. Son élevage artificiel dans des enclos est impossible pour le moment. Seul l’engraissement dans des enclos en pleine mer est possible. Dès la fin du siècle dernier, plusieurs pays se sont lancés dans l’engraissement du thon (Espagne, Croatie, Malte, Chypre, Italie). La Tunisie dispose de 4 sociétés off-shore qui engraissent le thon dans des cages flottantes en pleine mer. Le thon péché par les thoniers-senneurs est acheminé vers les stations d’engraissement. Ils sont alors nourris avec de petits poissons et crustacés (sardines, maquereaux, calamars…) durant quelques mois (3 à 8 mois) pour les vendre plus tard surtout à la fin de l’année où les cours sont les plus élevés. A la fin de l’engraissement, les thons sont abattus, vidés, nettoyés, surgelés puis exportés.
18- Pour le Tunisien, le prix du thon représente probablement le facteur limitant sa consommation. Il est considéré, un produit cher qu’on ne peut se permettre tout le temps. Dans les grandes surfaces, c’est la jungle. La multiplication des marques (une douzaine au nombre des usines de conditionnement du thon), l’appellation du produit (thon entier, en morceaux, en miettes), la nature du milieu de couverture utilisé (huile d’olive, huile d’olive vierge, tournesol, huiles végétales, au naturel etc.) et surtout la multitude du poids des boites qui ne semble obéir à priori à aucune règle. En effet, on trouve de tous les poids allant de 60g, 70, 80, 82, 85, 130, 140, 160, 162, 300, 400, 620… 2,050kg. Les professionnels qui achètent de grosses boites ont certainement leurs repères pour le choix de la marque et du type de conserve. Le consommateur se trouve par contre perdu devant une telle panoplie de produits et la comparaison se révèle compliquée. Il y a intérêt à normaliser la présentation et surtout à réduire sérieusement la gamme de poids, à l’image des conserves de tomate par exemple, pour plus de simplification. Par ailleurs, quoiqu’elle ne soit pas exigée par la réglementation, il serait intéressant, pour plus de transparence) d’indiquer sur la boite le type de thon utilisé: thon rouge du Nord (donc Tunisien) ou thon importé (bonite ou Albacore). Cela peut également être un critère de différenciation des marques et un argument marketing intéressant.
19- Le thon en conserve est un aliment intéressant et pas cher. Il pourrait représenter un intéressant substitut à la viande rouge. En Tunisie, bien qu’il fasse partie de nos traditions culinaire et bien apprécié, sa consommation reste limitée. Un effort important de la part des industriels est nécessaire pour promouvoir le secteur. Des efforts de communication, pour éduquer et informer le consommateur, ainsi que plus de transparence dans la présentation du produit sont indispensables.
20- Enfin, le thon est un poisson carnivore qui vit longtemps et peut accumuler et concentrer des métaux lourds comme le mercure et des polluants organiques. Ces éléments sont néfastes pour la santé de l’homme surtout les femmes enceintes, femmes allaitantes et enfants. Afin de protéger le consommateur, l’Etat se doit de suivre la qualité du produit et de veiller à l’application stricte de la réglementation en vigueur.
Ridha Bergaoui