Hajer Djilani
Romancière talentueuse, chef d'entreprise entreprenante, mère affectueuse et compagne fidèle, Hajer Djilani nous a quittés. Cette grande dame élégante et distinguée, d'un rare raffinement et d'une totale discrétion, nourrie de nobles valeurs qui président à chacune de ses pensées et à chacun de ses gestes, laisse un souvenir inoubliable. Qui mieux que son époux affligé par sa perte, Foued Zaouche, pour peindre de sa superbe plume, cet émouvant hommage.
A Hajer…
Comment témoigner de ma propre femme, celle qui a accompagné ma vie durant vingt quatre ans sans céder à ce qu’on appelle la mauvaise foi de l’amour… et pourtant, le portrait que je peux faire de Hajer Djilani est l’exacte vérité et tous ceux qui l’ont côtoyée peuvent le confirmer.
Hajer est née le 1er novembre 1946 dans une famille d’industriels. Elle portait un véritable culte à son père Si Mongi Djilani, créateur d’entreprises. Elle reporta plus tard cet amour sur son frère, Hédi Djilani, entre lesquels existaient une complicité et une intimité qui dépassaient les seuls liens de sang.
D’un premier mariage, elle eut trois fils, Mohamed-Ali, Walid et Fares El Annabi qu’elle vénérait par dessus-tout.
Elle poursuivit des études de Lettres Modernes jusqu’à la maîtrise.
Si je devais définir Hajer, je dirais qu’elle était l’exemple même de la femme tunisienne, enfant du Code du Statut Personnel qui lui a donné la maîtrise de sa propre vie, une liberté et une indépendance qu’elle a pleinement utilisée pour construire et choisir une autre vie en bravant des interdits avec courage et détermination. Une tunisienne, cheveux au vent, de ces femmes de tête et de caractère qui sont la fierté de notre pays. Je voudrais rapporter quelques extraits d’une conférence qu’elle avait tenue et qu’elle avait intitulée : « La femme, garante de la démocratie» : « L’évidence qui s’impose est que les droits de la femme sont les révélateurs d’une société démocratique. Chaque fois que celle-ci est menacée, remise en question ou tout simplement altérée, c’est la femme qui en pâtit la première car elle a toujours été l’otage des sociétés primitives et réactionnaires, des sociétés moralisantes et démoralisantes, des sociétés où la force prime le droit, des sociétés où sévit la primauté d’un dogme sur l’évolution et le comportement des personnes. Cette sujétion, nous femmes, l’avons vécu pendant des siècles comme une fatalité asservissante. Ce rôle d’otage, ce mauvais rôle nous a sacrifiées et maintenues dans une obscurité dommageable pour nous et pour l’humanité. Il faut alors s’interroger sur ces attitudes qui nient ou refusent à la moitié de l’humanité le droit d’exprimer son originalité ou qui veulent définir à sa place le rôle qui lui est dévolu…
Je voudrais solennellement dire et il n’est pas présomptueux déjà de l’affirmer que les siècles prochains considéreront ce siècle comme celui d’une véritable révolution dont on n’a pas encore mesuré l’ampleur, celui de la reconnaissance pleine et entière de la femme comme individu, comme être, comme personne ayant pour rôle et pour fonction d’assurer la pérennité de la conscience humaine au même titre que l’homme. ».
Ces quelques lignes traduisent mieux que je ne pourrais le faire la dimension et la personnalité de Hajer. Elle créera sa propre entreprise « Les Pages Jaunes de Tunisie » dans laquelle elle va investir toute son énergie et sa créativité pour en faire l’éditrice du seul annuaire économique de référence. Une compétence reconnue par tous dans le domaine des annuaires et qui amènera Tunisie Télécoms à lui confier l’édition de l’annuaire officiel des abonnés au téléphone.
Il y a un autre aspect de Hajer, celui-ci plus secret et plus intime qui est sa vocation d’écriture qui naîtra comme un torrent dévalant une montagne, prenant possession d’elle avec passion et enthousiasme. Elle écrira trois romans. « Et pourtant le ciel était bleu » qui raconte l’histoire d’une jeune femme médecin, Shems, s’embarquant pour l’Irak durant la guerre de1990, « Hamza », le héros d’un roman empli de cris et de fureurs, « Passion inquiète » relatant l’amour de deux femmes pour le même homme et leur combat feutré et sans merci pour l’emporter.
Son activité connaissant un nouvel essor avec la prise en charge de l’annuaire officiel, elle se tourna alors vers la poésie pour son plus grand bonheur et pour le mien car notre vie fut ponctuée par ces moments de grâce comme autant de pépites qui brillent au soleil des souvenirs. Elle publia un premier recueil « Saisons à Chouicha ». Elle n’eut pas le temps hélas de publier le second qui devait s’intituler : « Le silence des oliviers ».
Je vais clore par ces quelques mots à l’adresse de Hajer… Oui j’ai vécu avec un être exceptionnel, généreux, fondamentalement bon et dont chaque jour de notre vie a été un privilège. Merci à toi, Hajer, où que tu sois.
Foued Zaouche