Ridha Bergaoui: Climatisation et lutte contre les vagues de chaleur
La Tunisie, en tant que pays méditerranéen, se caractérise par des étés chauds et secs. Avec le réchauffement climatique, la chaleur est de plus en plus intense et les canicules de plus en plus fréquentes. Quoique les Tunisiens soient habitués à la chaleur et que des mécanismes et des habitudes ancestrales existent pour s’organiser et combattre la chaleur (utilisation de la peinture blanche pour les bâtiments qui réfléchit les rayons du soleil, travail en séance unique, vacances scolaires en été…), ces techniques restent, de nos jours, insuffisantes pour assurer aux habitants un confort thermique suffisant afin de travailler ou vivre chez soi confortablement.
L’excès de chaleur fragilise le corps
La température moyenne du corps humain se situe à 37°C. La température ambiante idéale, pour des personnes en bonne santé et vêtues normale, se situe entre 20 et 22°C. En dehors de cette température, le corps humain est obligé de lutter contre le froid ou la chaleur pour maintenir sa température intérieure constante. L’humidité aggrave l’effet du froid ou de la chaleur. Un froid sec ou de la chaleur sèche est plus facile à supporter. Le vent également, en accélérant l’évaporation de l’humidité des parties du corps exposées, amplifie froid et réduit les effets de la chaleur. Finalement, la température ressentie est différente de la température affichée par le thermomètre et dépend de l’humidité de l’air et du vent.
L’excès de chaleur fragilise le corps et peut avoir des conséquences graves sur la santé. C’est un facteur d’inconfort important qui épuise le corps et le déshydrate. Maux de tête, nausées, étourdissement, faiblesse, fatigue, insomnies… sont parmi les symptômes d’hyperthermie qui peut aboutir au décès des personnes âgées et vulnérables. La transpiration demeure le moyen le plus important utilisé par l’organisme pour combattre la chaleur.
Afin de préserver sa santé et vivre normalement, il est indispensable de fuir la canicule et la chaleur et de se rafraichir fréquemment. Plusieurs techniques peuvent être utilisées dont la climatisation.
La climatisation comme moyen pour lutter contre les fortes chaleurs
L’invention de la climatisation remonte à 1902 par Willis Carrier aux Etats-Unis. Depuis, d’énormes progrès ont été réalisés ces dernières années surtout avec l’arrivée du «split system». Ce dernier est composé de deux parties une partie intérieure qui souffle l’air frais et une partie technique externe servant à produire le froid et comprenant compresseur et condenseur. Les deux parties sont reliées par une liaison frigorifique. L’installation d’un split-system est simple et consiste à relier les deux parties et d’assurer le fonctionnement de l’unité grâce à une alimentation électrique. Une télécommande permet de commander à distance le fonctionnement du climatiseur.
Les progrès techniques ont permis de réduire les prix du climatiseur et de démocratiser son usage. Réservée, il y a quelques années, à une certaine élite, le climatiseur est de nos jours à la portée des classes moyennes. Le climatiseur devient partout populaire. Avec le réchauffement climatique et les vagues de chaleur successives, même les pays européens, qui ne s’en servaient pas il y a quelques années, commencent à encourager leurs citoyens à s’équiper d’un système de climatisation.
En Tunisie, presque toutes les administrations publiques et privées sont équipées, depuis de nombreuses années de climatiseurs. De plus en plus de familles disposent d’un ou de plusieurs climatiseurs. On compte deux à trois millions d’appareils de climatisation avec une évolution annuelle du parc de 20 à 25%. Cette progression est imputable à l’amélioration du niveau de vie moyen et surtout à la baisse très sensible du prix de ces appareils. La plupart de ces climatiseurs sont du type 12 000 BTU. De nombreuses études montrent le développement futur du parc pouvant dépasser 90% des ménages à l’horizon 2030 soit environ 4,500 millions d’unités.
Un commerce qui explose
Le commerce des climatiseurs est en plein boom. A côté des magasins d’électroménager et des grandes surfaces, le commerce des climatiseurs individuels est dominé par le circuit informel qui écoule de nombreux climatiseurs à bas prix provenant de la contrebande à partir des pays voisins. Certains de ces climatiseurs sont vendus par l’intermédiaire de pages anonymes sur les réseaux sociaux. Ce phénomène est en partie dû à l’affaiblissement du contrôle aux frontières mais surtout à une sur taxation en Tunisie des climatiseurs des circuits formels comparée aux pays voisins comme la Lybie par exemple.
De nombreuses marques sont d’origine chinoise et une partie des climatiseurs est montée sur place. Ce secteur emploi une main d’œuvre saisonnière, active en été, pour le montage, l’installation, l’entretien et la réparation qui peut être estimée à un millier de personnes.
A côté du manque à gagner pour les finances de l’Etat, la commercialisation des climatiseurs par les circuits informels pose un problème de conformité énergétique. L’ANME a élaboré pour les appareils électroménagers, depuis des années, des normes énergétiques avec huit échelles (de 1 à 8) allant de l’appareil le plus performant au plus énergivore. Il est conseillé de ne pas dépasser la classe3. Les performances énergétiques des climatiseurs de contrebande ne sont pas connues et probablement très mauvaises. Ceci entraine une détérioration des performances énergétique moyenne du parc national et une demande importante en énergie électrique. La qualité de ces machines est également douteuse et sont souvent très bruyants.
La limitation des climatiseurs énergivores peut amener à une diminution sensible de la consommation énergétique et une économie en installations lourdes de production d’électricité pour répondre au besoin en heure de pointe. Il semble toutefois que les ménages privilégient un faible coût du climatiseur à l’achat sur ses performances énergétiques de l’appareil.
L’Etat doit combattre la contrebande et empêcher la pénétration sur son territoire de climatiseurs énergivores. Il serait intéressant, par le biais de campagnes de sensibilisation et d’information et d’incitations fiscales et de primes, d’orienter le consommateur vers l’achat de climatiseurs de qualité et de le motiver pour l’achat dans les circuits formels dont les climatiseurs obéissent aux normes et possèdent une bonne efficacité énergétique.
Climatiseurs et pics de consommation électrique
Avec la canicule et les fortes chaleurs les Tunisiens se sont précipités pour mettre en marche leurs climatiseurs. Des pics de consommation électrique ont été enregistrés, dans la journée, par la Steg, ces derniers temps occasionnant des perturbations sur le réseau et des coupures ponctuelles localisées. Les responsables de la Steg prévoient pour cet été des pics allant jusqu’à 4900 MW.
Afin d’alléger la pression sur le réseau et d’éviter des pannes importantes, la Steg a appelé à rationaliser la consommation électrique des ménages, limiter le fonctionnement des appareils électroménagers aux heures de pointe (entre 11h et 16h) et de régler les climatiseurs à 26°C. En cas de forte demande, la Steg procède généralement au délestage électrique périodique dans quelques régions pour alléger le réseau et éviter des coupures plus élargies.
Avec d’une part le réchauffement climatique et les canicules et d’autre part l’augmentation du nombre des climatiseurs surtout non conformes du point de vue énergétique, le problème de l’approvisionnement en électricité risque de s’aggraver surtout avec les difficultés de la Steg d’investir dans de nouvelles installation de production. Une trop forte pression sur le réseau électrique peut entrainer, à côté de l’endommagement des installations, l’effondrement de tout le réseau et une coupure générale d’électricité de portée nationale avec le risque d’un arrêt de l’activité du pays et de graves pertes économiques.
Des coupures imprévisibles d’électricité même de courte durée peuvent avoir des conséquences dramatiques. Les médias ont rapporté le cas de personnes malades, placées à domicile sous respirateur, qui ont décédé suite à une coupure imprévue de l’électricité et l’arrêt de la machine. Des boulangers ont rapporté également la perte de milliers de pains en cours de cuisson suite à une panne d’électricité. Les appareils électroménagers (frigos, congélateurs, téléviseurs, machine à laver…) peuvent être endommagés en raison d’une coupure suivie d’une reprise brutale d’électricité.
La surconsommation d’électricité a également une incidence environnementale importante suite à l’augmentation de la production de CO² qui résulte de la fabrication du courant électrique. Les fuites du gaz frigorifique des climatiseurs et sa libération à la réforme de l’appareil entrainent des dommages environnementaux graves.
Pour une bonne utilisation de la clim
La climatisation permet de réduire la température de l’air, elle est toutefois très énergivore. Il faut l’utiliser d’une façon rationnelle et intelligente pour éviter des factures d’électricité trop lourdes. Il faut tout d’abord choisir un équipement en fonction du volume du local à climatiser et un climatiseur qui réponde au critère d’efficacité énergétique. Son installation doit se faire par un spécialiste agréé qui vous conseille pour le meilleur emplacement tant de l’unité intérieure que l’unité externe. Le climatiseur doit être vérifié et entretenu avec un nettoyage des filtres pour préserver son efficacité et assurer une bonne longévité.
Une climatisation excessive est susceptible également nuire à la santé (céphalées, sécheresse des muqueuses…) et provoquer des chocs thermiques en quittant un local frais surtout si la différence de température avec l’extérieur est importante. Elle peut également conduire à une forme grave de dépendance où la personne ne peut plus s’en passer et à recours à la climatisation partout où il se trouve aussi bien au travail qu’à la maison en passant par la voiture.
A part les charges excessives d’électricité, il est recommandé de ne pas utiliser la climatisation d’une façon continue mais uniquement quelques heures par jour quitte à la compléter, si nécessaire, par un système de ventilation.
Des alternatives à la climatisation
A part la climatisation, d’autres techniques plus simples et moins couteuses existent et permettent de se rafraichir et lutter contre la chaleur.
• La ventilation
Le ventilateur le plus simple est probablement l’éventail traditionnel qui, en l’agitant, permet de déplacer manuellement l’air autour du visage. Les ventilateurs mécanique ne refroidissent pas l’air mais créent un courant d’air qui accélère l’évaporation de la sueur au niveau du visage ce qui permet de remplacer la couche d’air chaud et humide qui enveloppe le visage par de l’air moins chaud et plus secce qui entraine la sensation de fraicheur. Les ventilateurs ont l’inconvénient de faire du bruit et de dégager de la chaleur suite au fonctionnement du moteur. Des ventilateurs fixés au plafond (ou brasseurs d’air) peuvent faire bouger des quantités importantes d’air. Il est possible d’abaisser la température de l’air proche en plaçant des glaçons ou un récipient d’eau froide devant le ventilateur ce qui permet de refroidir l’air soufflé par le ventilateur.On peut trouver également des ventilateurs humidificateurs. En effet, l’eau en s’évaporant absorbe de la chaleur. Dans ces systèmes, l’air soufflé par le ventilateur passe à travers une couche d’un filtre de matériau poreux et constamment mouillé par de l’eau contenue dans le réservoir de l’appareil ce qui entraine l’évaporation de l’eau et l’abaissement de la température de l’air soufflé. Ce système fonctionne bien tant que l’air est sec.
• La brumisation
Les brumisateurs libèrent sous pression un nuage de microgouttelettes d’eau. Celles-ci s’évaporent instantanément en absorbant de la chaleur et en refroidissant ainsi l’air. Plus les gouttelettes sont fines plus elles s’évaporent rapidement. Les grosses gouttelettes risquent de tomber et de mouiller le sol sans effet sur la température de l’air.• La protection des bâtiments contre le soleil
Protéger le local des rayons solaires permet de le garder frais. Fermer les volets et les rideaux permet de garder la fraicheur à l’intérieur du local. Nos architectes et ingénieurs des bâtiments doivent, avant de penser à la climatisation, penser à bien isoler les bâtiments et les garder frais en été. Des solutions simples comme le choix judicieux des matériaux, l’orientation des bâtiments et des ouvertures, prévoir des protections solaires, créer de l’ombre… La plantation des végétaux permet de réduire le rayonnement solaire. Les arbres produisent de l’ombre et entretiennent, grâce à l’évapotranspiration, une ambiance fraiche. Ils favorisent également la biodiversité (oiseaux, insectes, abeilles…) et rendent l’environnement plus agréable.
Enfin, aller à la plage et se baigner est une agréable alternative pour se rafraichir tout en respectant les consignes de sécurité et d’éviter les plages interdites.
Pour un plan national de lutte contre la chaleur et canicules
A part des effets négatifs et graves de la chaleur et du stress hydrique sur la production agricole et les disponibilités en eau, la chaleur représente un problème de santé publique. Les coups de chaleur entrainent de la fatigue et mènent à des hospitalisations et même des décès des personnes âgées et vulnérables. Ils entrainent également des difficultés de concentration, une réduction de l’activité et des performances au travail et un ralentissement de l’activité économique en général.
En réalité les canicules affectent tous les secteurs: la santé, les transports, l’électricité, le bâtiment, l’environnement, le tourisme, l’éducation-enseignement-formation… L’Etat se doit de disposer d’un plan de lutte contre les canicules afin d’assurer la continuité des services publics, des activités économiques et de protéger les personnes vulnérables. Ce plan doit être cohérent et global. Il doit concerner tous les départements à la fois, le Premier ministère, la santé, l’intérieur, l’équipement, le transport, l’environnement, l’agriculture, le commerce… Dans ce cadre, la séance unique et les horaires de travail dans les administrations publiques doivent être revus et ajustés. L’utilisation et l’état de la climatisation dans les lieux publics doivent être surveillés de près pour éviter gaspillage et surconsommation énergétique. Des campagnes de sensibilisation et d’information doivent également être prévues, plus particulièrement en période de fortes chaleurs, pour avertir les citoyens en général et les personnes vulnérables en particulier (personnes âgées, enfants, femmes enceintes, travailleurs à l’extérieur…) des dangers des hautes températures sur la santé et les moyens de les combattre. En ville, l’atténuation des îlots de chaleur urbains, la création de points pour se rafraichir et se reposer, la végétation et les espaces verts… doivent être prévues afin d’atténuer les effets des canicules.
Et pourquoi ne pas prévoir des programmes pour améliorer le bilan énergétique des bâtiments et prévoir des aides et des primes pour les propriétaires afin d’améliorer les performances énergétiques et la climatisation de leurs habitations tout en veillant au respect des normes pour une efficacité énergétique optimale ?
Le soleil est source de vie, de richesses et de bonheur. Ses rayons réchauffent mais peuvent d’être mortels si on ne prend pas suffisamment garde.
Ridha Bergaoui