Les fenêtres*: Une nouvelle de Mahmoud Tarchouna(**)
Par Tahar Bekri - Des nuages gris couvrent le ciel de la ville, une chaleur lourde tombe sur les murs des maisons, un silence lugubre plane sur l’école et ceux qui sont dedans, la porte de la classe et les fenêtres sont fermées, l’air n’entre en classe que par d’étroites fissures, il n’est plus en mesure de se faufiler car les souffles des enfants l’ont rempli et il est devenu pourri.
La sonnerie se refuse de sonner depuis des heures ou cela sembla-t-il à ceux qui sont en classe. Maudite sonnerie qui ne sonnera jamais, ressentent-ils, les paroles continues du maître, ne finiront jamais! Ils ont lu plusieurs fois tout ce qu’ils ont écrit sur les murs, sur les tables, malgré cela, la séance s’étire et s’allonge… Ils ont lu différents slogans «La science et la connaissance sont la joie de vivre» «Vive l’Etoile Sportive du Sahel», «Avec le système coopératif et la planification, le peuple tunisien vivra heureux»; Ils ont lu ce que l’un d’eux a écrit en français avec de la craie jaune «Je me sens seul»(***) afin d’exprimer son sentiment de solitude.
Tout cela pendant que le maître parle. Il fait le va-et-vient en classe, frappe le sol avec ses souliers, le regard collé au plafond, il ne voit personne, n’entend personne, ne sent rien, plongé dans son long discours et son explication de la parole de Dieu «O croyants, obéissez à Dieu, à son prophète et à ceux qui sont responsables de vous».
Il n’entend pas les discussions des enfants, qui voltigent avec leur imagination à l’extérieur des murs de la classe et les vitres de ses fenêtres peintes en blanc, Ils disent que les oiseaux ont dévoré les olives, que le printemps a fleuri dans les champs, que la mer est verte ces jours-ci, ils disent que la brise dans les jardins est pure, que les papillons se multiplient dans les prairies, que les abeilles butinent le pollen des fleurs, ils disent que les enfants de la ville s’amusent, chantent et dansent.
Et le maître parle!
Ils disent que le petits sont dans d’autres mondes, qu’ils sont des princes de l’éloquence, qu’ils jouissent de l’amour, de la magie et de l’art.
Le maître dit; «Le paradis est la récompense de l’obéissant».
Un enfant dit «Où se trouve le paradis?»;
- Tais-toi mécréant !
- Est-ce qu’on y trouve des oiseaux, des abeilles, des papillons et des fleurs?
Le maître ne répond pas et continue l’explication de la sourate.
Les enfants continuent leurs discussions, ils s‘imaginent hors de la classe, montant une barque puis naviguant. plongeant au fond de la mer, libérant leur barque, jouant avec les poissons, puis montant les ailes des oiseaux et revenir à la plage.
Et le maître parle.
L’air est de plus en plus lourd, l’atmosphère plus pourrie, les enfants plus inquiets.
Un élève s’est évanoui.
Le maître continue à parler au sujet de l’enfer et du paradis, de l’obéissance à Dieu, à son prophète et à ceux qui sont responsables de vous, il frappe le sol de souliers, ne voit personne, n’entend personne, ne sent rien. Il ne se rend pas compte d’odeurs étranges qui se propagent en classe, il ne sait pas que les enfants laissent ses propos pour porter secours à leur camarde.
Un deuxième s’est évanoui.
Puis un troisième.
Puis un quatrième.
Le maître poursuit ses propos sur la promesse et la menace, le destin et la fatalité, les transmetteurs et les gens de Raison, les gens de la solution, comment ordonner le bien et condamner le mal.
Les nuages dans le ciel deviennent plus gris, poussés par le vent comme des troupeaux, ils s’épaississent et l’atmosphère s’assombrit, les rues se vident, les portes se ferment, la pluie tombe doucement au début, puis violement, suivie de froid lourd qui cogne contre les vitres des fenêtres, qui se brisent et tombent en morceaux pour finir dans l’eau de pluie.
Les enfants laissent leurs livres, leurs papiers, leurs murs, leur maître, son paradis et son enfer sa fatalité et son destin, sa solution et son problème, sa transmission et sa raison, son ordre et son contraire, ils sautent à travers les fenêtres en se dépêchant, criant, s’appelant, chantant, dansant, et restent sous la pluie danser, se lançant le froid et respirent.
A ce moment-là le maître s’est évanoui.
Mai 1970
Nawafedh (fenêtres), MTE, 1983;
(*) Nouvelle traduite de l’arabe par Tahar Bekri
(**) Mahmoud Tarchouna, né en 1941 à Sfax, originaire des îles Kerkenah. Prof des Universités, spécialiste de la littérature picaresque, romancier, nouvelliste, essayiste, auteur de nombreux ouvrages de création et des essais sur la littérature tunisienne de langue arabe.
(***) en français dans le texte