Tony Blair : est-il trop tôt pour juger son attitude dans "la crise irakienne ?
« Avez-vous des regrets ? ». En janvier2010, la Commission (britannique) d’enquête sur la guerre en Irak posa la question à Tony Blair. Réponse de l’ancien Premier ministre : « c’est ma décision. J’assume mes responsabilités. ». Une phrase sibylline qui mérite bien des explications. Dans ses mémoires publiées récemment (1) celui qui dirigea l’exécutif britannique de 1997 à 2007 s’y emploiera dans les 120 pages consacrées à la « Crise irakienne » sur les 782 que compte le livre. Blair reconnaît d’emblée que l’objectif déclaré de ce conflit consistait « à faire respecter les résolutions de l’ONU au sujet des armes de destruction massives (ADM) et nous n’en avons trouvé aucune » avant de se lancer dans des explications pour le moins embarrassées, maniant le paradoxe et s’attardant dans des arguties :
« le temps manque pour réfléchir et méditer, les problèmes sont vite pesés et l’on ne s’intéresse guère à ce qui se trouve dans les plateaux de la balance. Alors, on juge avec une rapidité et une sévérité qu’un processus plus circonspect exclurait. Une fois de tels jugements posés, on élabore les scénarios qui renforcent ces a priori et l’on vient à estimer que toute remise en cause de ces préjugés relèvent du délire. L’équilibre est devenu un concept étranger à notre monde qui exige des certitudes et des opinions prémâchées. A cette fin, ma tâche demeure modeste : convaincre le lecteur non pas de la justesse de la cause, mais qu’elle se justifie. Je me suis souvent demandé si j’avais eu tort. Je souhaite que vous vous demandiez si j’ai pu avoir raison ».
Les renseignements sur Saddam Hussein se sont - ils révélés faux ? On exhibera devant le Conseil de Sécurité des photos présentées comme celles d'installations militaires secrètes irakiennes «prises par satellite» ou des documents apocryphes de supposés contrats de vente d'uranium nigérien à l'Irak. Des preuves dont Hans Blix n'aura aucun mal, séance tenante, à refuter l'authenticité. Sept ans après les faits, Blair ne se laissera pas démonter : « laisser Saddam au pouvoir se serait révélé un risque plus important pour notre sécurité que le fait de le renverser ». Et puis qui nous garantit que Saddam ayant acquis «le savoir-faire et les moyens », ne soit pas tenté de recourir un jour aux ADM.
Mais que de mots finalement pour justifier l'injustifiable. Il lui arrive même de citer à l'appui de ses thèses des arguments et des exemples qui en bonne logique le desservent comme "cette malheureuse irakienne" qui lui avait envoyé une lettre le suppliant de «libérer»l'Irak. Après la chute de Saddam, elle rentre dans son pays. Quelques mois plus tard, elle assassinée par des intégristes. On tremble à l'idée de ce que serait le monde si on jugeait les gens non pas à leurs actes mais à ce qu'ils risquaient de faire, comme nous y convie l'ancien Premier ministre britannique. Comme s'il doutait d'emporter l'adhésion de ses lecteurs, Blair nous cite cette phrase de l'ancien Premier ministre chinois, Zhou en Laï à propos de la révolution française : « c'est trop tôt pour en parler ». Je ne suis pas sûr que dans deux cents ans, on serait plus compréhensif à l'égard de son attitude dans l'affaire irakienne.
(1) Tony Blair Mémoires édit. Albin Michel Paris 802 pages