Pourquoi Hakim El Karoui a-t-il quitté l’Institut Montaigne
Chercheur associé depuis 2015 dans le think-tank l’Institut Montaigne, Hakim El Karoui ne s’est pas résigné à la non-publication du rapport qu’il a dirigé sur l’intégration des enfants d’immigrés en France. Il a repris sa liberté et publié le rapport sur un site (véritable think-tank) qu’il vient de créer sous le titre de Des idées pour 2027. Il s’agit «d’une structure non partisane qui veut contribuer au débat d’idées qui aura lieu en 2027. L’objectif est d’éviter l’arrivée au pouvoir des partis extrémistes, notamment celui qui est le mieux placé, le Rassemblement national. La méthode est inédite: proposer des idées plutôt qu’un candidat. Inverser donc l’ordre des priorités et proposer des remèdes aux maux français avant d’envisager leur portage politique.»
Première publication mise en ligne, le rapport «L’intégration des enfants d’immigrés: Échecs criants, succès silencieux». «S’appuyant sur des faits et des chiffres plutôt que des clichés et des faits divers » ce travail «s’intéresse aux parcours des immigrés et de leurs enfants (et) vise à identifier tout ce qui peut permettre une intégration réussie, collectivement ou individuellement, afin de comprendre ce qui a pu fonctionner et comment les obstacles bien réels ont pu être contournés pour inspirer une vraie politique d’intégration en France.»
L’objectif est «d’essayer de comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas et donner une explication aux différences de trajectoires des immigrés et de leurs enfants. Il cherche aussi et surtout à comprendre les déterminants du succès, ce qui en général n’intéresse personne!
Onze propositions sont formulées comme suit
1. Créer enfin une vraie politique d’intégration
Proposition N°1: Mettre en œuvre une politique publique d’intégration à travers des moyens adaptés aux situations diverses des immigrés et de leurs enfants, dans les zones où ils sont concentrés.
Proposition N°2: Avoir une image précise de la réalité en intégrant dans la statistique publique les données chiffrées sur les enfants d’immigrés et utiliser ces données pour la politique d’intégration.
2. Lutter contre la concentration spatiale des immigrés et de leurs enfants
Proposition N°3: Adopter une stratégie de déconcentration et de répartition dans la politique du logement par la définition d’un plafond maximal d’occupation des immigrés dans les logements sociaux, immigrés qui garderont évidemment leurs droits à occuper un logement social.
Proposition N°4: Adopter une loi permettant de plafonner le logement social à 40 % dans les communes ayant déjà largement atteint les seuils fixés par la loi SRU. Une circulaire allant en ce sens a été adoptée en mai 2021, il faut désormais aller plus loin en inscrivant ce principe dans la loi.
3. Lutter contre la surconcentration scolaire par l’adoption d’un plafond maximal d’enfants d’immigrés par classe et par la répartition et la mixité sociale au sein des écoles
Proposition N°5: Définir un plafond maximal d’élèves immigrés et enfants d’immigrés dans les établissements scolaires REP et REP+, avec une obligation de scolariser dans d’autres établissements les élèves qui se situent en dehors de ce quota.
Proposition N°6: Adopter des stratégies de répartition scolaire des élèves immigrés et enfants d’immigrés ainsi que des indicateurs permettant de piloter efficacement cette répartition.
4. Réinventer l’action sociale et l’encadrement institutionnel et associatif
Proposition N°7: Attirer dans les établissements scolaires concentrant les élèves immigrés et enfants d’immigrés les professeurs les plus expérimentés, parle déploiement d’une série d’incitations à l’installation et de nouvelles voies de recrutement.
Proposition N°8: Augmenter le nombre d’adultes dans les espaces publics des quartiers pauvres (des médiateurs sociaux et culturels, gardiens d’immeubles ; encourager le militantisme politique, l’encadrement par le sport; faciliter l’installation des enseignants dans les quartiers où ils travaillent).
Proposition N°9: Rebâtir des associations d’éducation populaire qui œuvrent pour l’intérêt général dans les quartiers, avec un pilotage national, des moyens renforcés par la généralisation des contrats pluriannuels d’objectifs et la professionnalisation du modèle associatif. Cela signifie que ces associations seront soumises à des obligations de résultat et indicateurs de performance, et devront démontrer de capacités à diffuser des bonnes pratiques et à se déployer sur l’ensemble du territoire.
Proposition N°10: Systématiser le mentorat à travers la mise en œuvre d’un contrat de solidarité nationale obligatoire entre des adultes en poste et des élèves des quartiers les plus difficiles. Ces adultes peuvent être des pairs également issus de ces quartiers et de l’immigration et témoignant de leurs réussites personnelles.
5. Promouvoir la diversité
Proposition N°11: Mesurer la diversité des entreprises à l’échelle des branches professionnelles et inciter à la mise en place de l’index diversité et inclusion dans les organisations publiques et privées.
La politique d’intégration que ce rapport appelle de ces vœux ne doit pas oublier que de tous les témoignages et toutes les études réalisées, il ressort que l’origine a des effets importants sur les trajectoires individuelles, scolaires, professionnelles, culturelles. Ne pas prendre en compte l’origine dans la politique publique, c’est dans une certaine mesure ignorer les réalités vécues par les immigrés et leurs enfants. Un changement de regard sur l’intégration est nécessaire. Celle-ci n’a rien de magique ou d’automatique. Ce n’est pas qu’une question de désir, de part et d’autre ; il faut chaque fois pouvoir s’en donner les moyens. C’est ainsi que l’on inventera une réelle politique d’intégration à la française, que l’on rassurera ceux qui s’inquiètent et qu’on luttera efficacement contre l’extrême droite.