Crise du système éducatif tunisien: Un risque de régression, une chance de progression
Par Habib Batis - Le titre choisi pour cet essai, est inspiré des travaux d’Edgar Morin sur les notions de crise, de complexité et de la pensée globale. Commençons par y mettre de l’ordre en interrogeant la notion de risque quand elle est adossée à notre système éducatif. On appréhende la réalité d’un risque à l’a une de notre capacité de pouvoir le réduire. Autrement dit, si on ne prend pas de mesures pour réduire le risque, celui-ci n’est plus un risque mais une fatalité. En revanche, le risque est un risque, si on peut imaginer une stratégie qui permet de l’abaisser. Et ce n’est qu’à partir de cette prise de conscience du risque que la crise se métamorphose en chance de progression.
Le système éducatif tunisien dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est entré dans une crise profonde depuis quelques décennies, s’est tout de même révélé capable d’améliorer le taux de réussite d’élèves au baccalauréat. Pour autant, de nombreuses voix se sont élevées pour proclamer que ce progrès avait été réalisé au prix d’une «baisse de niveau» généralisée des performances des élèves. Certes il ne faut pas beaucoup d’imagination pour déceler l’ampleur et les dangers d’une baisse constante des niveaux, perceptible à travers tout le système scolaire. Aussi, on se rend facilement compte qu’on prend peu à peu conscience qu’il y a un «problème éducatif» dans la société. Les innombrables et vains efforts des responsables politiques, comme des sphères supérieures de l’administration et de l’expertise pour le contenir dans certaines limites, soulignent bien la gravité de ce problème.
Ces efforts se sont manifesté de multiples façons. Ils ont visé, entre autre aspects, à modifier les programmes, à améliorer la formation des formateurs, à mettre en place une politique d’arabisation d’une partie de la scolarité comme prétendue solution contre le faible rendement et l’abandon scolaire…. Bien que ces «réformes» aient, probablement, aidé certaines écoles à s’améliorer, le gouffre ne cesse de croitre entre les aspirations de la société pour son système éducatif, et ce que l’école est capable de produire réellement au quotidien. En effet, tous les efforts ont, jusqu’à présent, plus contribué à aligner l’appareil éducatif sur les normes libérales qu’elles n’ont permis de définir une «réforme» à la hauteur des enjeux.
Ce problème ne se réduit pas uniquement à la massification du système éducatif, au statut des enseignants, au contenu des programmes bien que ces dimensions ne soient pas absentes de la liste des facteurs qu’enferme le problème éducatif. Il porte principalement sur la forme et le sens que doit avoir l’école pour les jeunes générations. Aujourd’hui, on voit mal comment se sortir d’une logique de l’échec bien en place, si jamais on le souhaitait véritablement. Cela s’avère difficile parce que l’État s’est affaibli dans sa capacité de gouverner l’ensemble du champ éducatif. A-t-il renoncé à élaborer, décider et mettre en œuvre une véritable politique éducative? Se contente-t-il dorénavant de gérer un système dont il ne perçoit comme objets nécessitant son action que des dysfonctionnements et des inefficacités fortement médiatisés, de médiocres performances mesurées par les tests nationaux et internationaux et des coûts dont il faut contrôler la croissance? Poser la question, c’est y répondre, peut-on penser.
Depuis plus d’un demi-siècle, la demande sociale est de faire progresser le système éducatif au moins sur les trois objectifs suivants:
• Une école plus efficace et plus attrayante sur l’offre de la formation qu’elle dispense pour le plus d’élèves possibles,
• Une école plus efficiente dans la façon d’utiliser ses ressources particulièrement si les contraintes sur le financement public persistent,
• Une école qui réduit au maximum le décrochage scolaire sans préparation à une insertion sociale.
La recherche de progresser sur ces objectifs pose nécessairement la question de la meilleure façon de relever ce défis.
Modus operandi des réformateurs de l’éducation
De nombreuses tentatives de changement ont traversé le système éducatif. Cela s’est fait sans savoir véritablement comment effectuer les améliorations envisagées par les concepteurs des «réformes» voire même sans savoir si ces améliorations étaient possibles. Ainsi, on a vu défilé une première «réforme» pour résoudre le problème du rendement scolaire en adoptant une politique d’arabisation de l’enseignement en général et celui des enseignements scientifiques et techniques en particulier. Plus tard, lorsque les réformateurs ont concentré leur attention sur l’abandon scolaire, d’autres «réformes» ont redéfini les finalités et les missions de l’école en instituant l’enseignement de base obligatoire et ont restructuré l’enseignement secondaire. Des années après, les évaluations internes et externes ont révélé une détérioration des performances linguistiques et scientifiques des élèves, la désaffection des élèves pour les filières scientifiques en général et les mathématiques en particulier et l’aggravation de l’abandon scolaire.
Une telle approche paradigmatique soulève quelques interrogations. D’abord, elle manque d’une théorie explicite sur la manière dont les pratiques éducatives pourraient réellement s’améliorer. D’autre part, elle ne prend pas en compte la différence entre la connaissance que quelque chose peut fonctionner et la connaissance sur la façon de le faire fonctionner de manière fiable dans des contextes et sur des populations variés. Pourtant, c’est ce que les praticiens veulent généralement savoir: ils se demandent que faudrait-il faire pour que cela fonctionne pour eux, pour leurs élèves, dans la situation qui est la leur? Malheureusement, les réformateurs manquent généralement cette distinction cruciale.
Sur un autre plan, cette approche paradigmatique semble aussi ignorer les deux caractéristiques essentielles de l’établissement scolaire en tant qu’organisation: la complexité du travail demandé aujourd’hui, aux enseignants et corrélativement la grande variabilité des performances régulièrement constatée sur le terrain. En effet, l’explosion de la connaissance professionnelle à laquelle les enseignants font face impose une formation initiale et continue soutenue leur permettant d’être à la hauteur des exigences de leur métier. Aujourd’hui, il est question de prendre en compte les multiples formes d’intelligence, les différences dans les styles d’apprentissage tenant compte des résultats des recherches en science cognitive, les conceptions initiales des élèves…Comme dans d’autres systèmes (santé, transport…), peu de professionnels, moyennement ou faiblement formés, sont capables de répondre efficacement à toute cette complexité dans leur travail quotidien. Aussi, il n’est pas surprenant que le fossé ne fait que se creuser entre ce que nous attendons du système éducatif et ce que nous atteignons réellement.
Quelles conditions pour réussir une amélioration?
Une «réforme réussie» est une action publique dont le sens n’est pas le même pour le professionnel de la politique, le cadre intermédiaire, les acteurs du terrain et les familles. Le temps et les enjeux des uns et des autres n’étant pas du même ordre. Pour cela, il faut modestement se dire qu’une «réforme» éducative est déjà réussie lorsqu’elle est le fruit d’une action publique qui a permis de réduire au moins partiellement les effets indésirables (au moins un nombre significatif d’entre eux) et aux parties prenantes de se coordonner et de se professionnaliser, pour tenter d’atteindre des objectifs communs.
C’est de la naïveté manifeste que de considérer que toute «réforme» implique nécessairement un certain nombre de facteurs puisés dans les méta-analyses et articulés dans un modèle unique qu’il suffirait de contextualiser.
Notre propos est plutôt de présenter quelques leviers pour produire du changement, mais aussi les conditions à mettre en œuvre pour obtenir des effets positifs et éviter autant que possible les effets négatifs. Ceci revient d’abord à construire un indice composite de la qualité de vie scolaire en tenant compte de trois dimensions: le bien-être de l’élève à l’école, l’équité et l’éthique. Elles constituent les deux premiers leviers qui doivent être envisagés à court terme pour redonner la forme et le sens que doit avoir l’école pour les jeunes générations. Le troisième levier, visant à mettre à profit l’intelligence collective enseignante, exige une remise en cause de l’approche paradigmatique adoptée, jusque-là, par les réformateurs et décrite dans le paragraphe précédent.
Levier visant à améliorer le bien-être scolaire des élèves
Apporter les remèdes efficaces pour améliorer la qualité de vie des enfants c’est être à l’écoute des interrogations qui bourdonnent dans la société tunisienne voire au sein même de la majorité des familles au sujet des calvaires que subissent ces enfants et leurs parents quand ils sont au pas avec le système éducatif. Ces interrogations sont formulées à partir d’un vécu quasi quotidien et qui, souvent, sont loin d’être dénuées de bon sens. Les ignorer, comme il est le cas jusqu’à nos jour, c’est courir le risque d’une défiance de plus en plus grandissante, une fuite vers les solutions chimériques développées par un libéralisme sauvage et enfin l’abandon pur et simple d’un système qui est voué à la désintégration. Par contre, en tenir compte et apporter les réponses pertinentes et pragmatiques, remettra du respect et de la confiance entre l’État et la société et ouvre la voie pour cibler d’autres changements nécessaires pour un système éducatif qui a grandement besoin de se préparer pour affronter des défis d’une autre ampleur.
Améliorer le bien-être de l’élève revient à corriger les effets désastreux de plusieurs pratiques qui ont noirci l’image de l’école publique dans notre pays. Parmi ces pratiques, il est urgent de revenir au moins sur deux d’entre elles. La première est le rythme scolaire harassant et saccadé qui est le fruit de l’élaboration des emplois de temps, de l’absentéisme des enseignants, de l’absence d’infrastructure qui accueille les élèves… Le bien-être des élèves passe aussi par la réduction du nombre exagérément élevé de manuels scolaires, qu’il faut renouveler chaque année et autour duquel un trafic a pris place en incitant au consumérisme et au gaspillage sauvages de papiers. Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour se rendre compte que, au moins pour le cycle primaire entier, il ne faut pas autant de manuels et de cahiers pour atteindre les performances linguistiques et mathématiques nécessaires pour la suite de la scolarité.
Cette angoisse de la charge charriée quotidiennement, est présente chez les enfants, ils savent la manifester, mais les enseignements dogmatiques et le bourrage de crâne auxquels ils sont soumis leur fait croire que la solution de cette angoisse sera trouvée dans la réussite sociale. Quel appauvrissement !La politique adoptée est de laisser croire que la voie vers l’amélioration des résultats consiste à ajouter continuellement des manuels (de qualité souvent très discutable), de nouveaux programmes (pour amasser encore des concepts en les juxtaposant alors qu’on incite chimériquement à l’approche par compétence), de nouvelles matières (avec une conception de super spécialisation précoce). Alors qu’une autre perspective nous encourage à cibler d’abord l’amélioration de notre compréhension de l’environnement organisationnel de l’élève qui façonne la manière dont son travail est mené et le lien qu’il développe avec son école.
Levier visant à améliorer l’éthique et l’équité dans l’éducation
Pas un texte officiel destiné aux cadres enseignants n’inclue le fait d’agir «avec équité envers les élèves». Pas un texte de loi encadrant la mission de l’école n’insiste sur «l’éthique et l’égalité des chances» comme pratique et objectif de l’école républicaine. À regarder la pratique sur le terrain, on se rend compte que la contradiction entre valeurs déclaratives (explicites) et valeurs effectives (implicites) est manifeste. Cette contradiction peut être analysée et comprise à différents niveaux. D’une part, au niveau sociétal, l’école, organe de reproduction de la société imprégnée de l’idéologie néolibérale hégémonique, fonctionne sur la base de l’économie du marché: individualisme, compétition et recherche de l’accomplissement personnel dans le confort matériel. D’autre part, au niveau individuel, des mécanismes psychologiques contribuent à l’entretien ou au renforcement des inégalités. C’est le cas, en particulier, du modèle implicite de fonctionnement de l’autorité mobilisée par l’enseignant ou encore de ses croyances concernant son métier. Sur le plan éthique, il y a une différence entre ces deux niveaux, et c’est le dernier niveau individuel qui est visé par le levier pour améliorer l’éthique et l’équité dans la pratique.
La pratique enseignante soulève un des dilemmes fondamentaux auxquels l’enseignant est contraint de faire face, celui de la neutralité dans l’évaluation. À aucun moment, cette situation n’est aussi claire que lorsque les enseignants évaluent les performances de leurs élèves. Mettre une note, évaluer, voilà certainement une des activités du système éducatif les plus vulnérables du point de vue moral qu’est obligée de réaliser une personne. Dans cette situation, élève et enseignant occupent des positions dissymétriques. D’une part, la fragilité réelle de l’élève, son infériorité manifeste de savoir et de pouvoir lui confèrent une certaine attitude de dépendance, le place, si c’est possible, dans une condition d’otage de quelqu’un d’autre dont il ne peut, en aucun cas, manipuler l’altérité, condition qui met en évidence la racine profonde du comportement éthique. Ce dernier a sa finalité propre: que l’élève puisse se passer de l’aide que l’enseignant lui a apportée lors de son processus de maturation personnelle. D’autre part, la dissymétrie est accompagnée par la reconnaissance par l’élève de l’autorité de l’enseignant. Cette autorité est accrue si elle se présente dépouillée de tout pouvoir coercitif et favorise la reconnaissance rationnelle par l’élève que sans cette autorité, il n’a aucune possibilité d’arriver à être lui-même. Enfin, la dissymétrie élève-enseignant implique que dans leur relation, l’activité de l’enseignant doit être guidée par ses devoirs vis-à-vis de l’élève, tandis que ce dernier ne peut être protégé si ce sont ses droits qui l’emportent. Même si l’un et l’autre ont des droits communs notamment celui d’avoir droit à l’erreur, point de départ à tout apprentissage.
On peut penser que ce fondement éthique va de soi et qu’on n’a pas besoin qu’on lui consacre une attention particulière. Pourtant, à voir de près la pratique sur le terrain, on se rend compte qu’elle est, dans beaucoup de cas, tellement teintée d’absence d’éthique et d’équité qu’elle s’est métamorphosée en une question socialement vive. En effet, considérons le cas des cours particuliers dispensés hors des établissements scolaires dès le début de la scolarité jusqu’à l’université. Ils représentent un fructueux business qui gangrène depuis des années le système éducatif Tunisien. Cette pratique, qui est bel et bien entrée dans les meurs, a des visées et des attentes multiples. D’abord du côté des élèves, elle est considérée par certains comme un soutien scolaire ou aussi le moyen de récupérer une partie du savoir qui a été, volontairement ou non, retirée du contenu dispensé en classe. Dans ce cas, pourquoi les séances dispensées dans les établissements scolaires ne jouent pas ce rôle ? Du côté des parents, contraints ou non d’adhérer à cette pratique lucrative, elle est une garantie, pour leurs enfants, d’être bien suivis en classe et de surcroit, bénéficier de meilleures notes créant une illusion sur le réel niveau du formé et croyant remédier ainsi à la dégradation de la qualité de la formation dans les écoles. Enfin, du côté des enseignants impliqués, cette pratique est un besoin pour arrondir les fins de mois ou carrément pour la recherche de l’accomplissement personnel dans le confort matériel.
Depuis plus d’une décennie, cette marchandisation du savoir par le biais des cours particuliers représente, à l’instar de l’économie du pays, le volet informel de l’éducation. La dimension financière qui lui est attribuée a atteint des proportions très élevées et représente un enjeu économique conséquent. Et ce n’est pas l’envoi d’une circulaire (décret gouvernemental 2015-1619 du 30 octobre 2015) interdisant une telle pratique qui mettra fin à cette manne financière. Un décret sans modalité efficace pour son application vient, tout simplement se fracasser contre le sentiment d’impunité et de défiance envers les autorités de tutelle.
Cette pathologie de notre système éducatif n’épargne aucune de ses composantes. En effet, il est clair que quel que soit le point de vue qu’on adopte, l’attitude éthique de l’enseignant est profondément ébranlée par une telle pratique. D’abord c’est une pratique qui remet en cause le principe même de la «gratuité» de l’enseignement publique et corollairement discrimine les élèves qui ne peuvent se payer ces cours particuliers de ceux qui le peuvent. D’autre part, elle met à mal l’équité dans l’opérationnalisation des termes du contrat didactique en général et l’autorité de l’enseignant en particulier. Enfin, cette pratique peut être un des facteurs qui exacerbe notablement le comportement violent envers les enseignants et l’école de la part de certains parents et élèves qui se sentent discriminés par cette pratique.
La dégradation du métier de l’enseignant ne s’arrêtera pas de sitôt si le fondement intrinsèquement éthique de cette activité n’est pas préservé. La seule manière de partager avec les formés les valeurs de base auxquelles l’enseignant, qui a choisi ce métier, doit croire, est de le montrer par sa pratique quotidienne. C’est la seule manière de gagner en crédibilité sans laquelle le statut du maître se dégrade irrémédiablement.
Levier visant à améliorer l’intelligence collective
L’intelligence collective est considérée ici comme un levier essentiel pour améliorer ou transformer une organisation complexe telle que l’éducation en vue de lui conférer une performance durable. Le proverbe bien connu «Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin» résume à lui seul ce concept. Ce dernier vise à réunir les divers acteurs de l’éducation autour d’un but commun en s’appuyant sur l’émulation du groupe et la créativité de chacun pour améliorer une situation parfois complexe. La principale clé est la communication.
Plusieurs activités groupales peuvent être envisagées autour de l’éducation en tant qu’organisation: groupe de gouvernance intra école (enseignants, parents d’élèves, élèves, corps administratif…), groupe de chefs d’établissements scolaires, groupe d’enseignants inter écoles…Pour chacun de ces groupes, les individus qui échangent et collaborent trouvent toujours un bénéfice supérieur à ce qu’ils auraient obtenu en agissant isolément. C’est particulièrement vrai pour l’activité enseignante collaborative dont la dynamique permet d’envisager autrement l’amélioration du rendement scolaire.
Apprendre à améliorer exige l’ancrage d’un nouveau paradigme. Celui qui accorde la primauté à des questions spécifiques auxquelles sont confrontés les enseignants et qui prend appui sur leur manière d’apprendre-en-faisant. Celui qui est centré sur l’utilisateur et qui considère les enseignants comme des enquêteurs actifs liés par des normes et des structures apparentés à celles de la communauté scientifique. Accorder plus d’attention aux tâches accomplies par les enseignants dans leur environnement organisationnel qui façonne la manière de mener leur métier, permet de se concentrer sur l’amélioration de la compréhension des systèmes de travail qui produisent des résultats insatisfaisants. C’est dans cette capacité à voir le système pour élaborer des preuves fondées sur la pratique que des progrès significatifs peuvent être atteints. Ce besoin de preuves issues de la pratique ne vise pas à classer les individus ou les organisations, mais aide à discerner si les essais de changements spécifiques sont effectivement des améliorations.
Enfin, un paradigme qui prend en compte que souvent nous ne savons pas si un changement que nous introduisons entraînera réellement une amélioration ou s’il peut engendrer des conséquences négatives non prévues: penser à l’utilisation de la langue arabe pour l’enseignement des sciences considérée comme solution prétendue pour résoudre le problème du rendement et de l’abandon scolaires. Penser à l’introduction de l’approche par compétence autour de laquelle un langage faussement familier est construit et qui conduit à sous-estimer l’ampleur du changement de perspective… Cette incertitude est consubstantielle aux systèmes adaptatifs complexes. Elle nous incite à s’orienter vers une approche basée sur l’apprendre-en-faisant et à pratiquer des débuts d’expérimentations à petite échelle qui minimisent les dommages éventuels en cas d’erreur.
S’engager dans l’apprentissage de l’amélioration nous invite à réévaluer une norme éducative hautement appréciée : l’autonomie de la pratique dans les classes. Voir, comme dans le passé, l’enseignant comme un artisan individuel, n’est plus, aujourd’hui, soutenable compte tenu de la complexité du métier et l’expertise nécessaire pour sa pratique. Il est possible que certains enseignants parviennent à construire des pratiques en adéquation avec cette complexité. Mais, pour espérer rehausser la qualité de l’enseignement à plus grande échelle, et que de telles pratiques ne demeurent des cas isolés et peu répandus, un regroupement des enseignants dans des réseaux structurés, confèrerait au champ éducatif des capacités extraordinaires pour innover, tester et diffuser rapidement ces pratiques efficaces.
C’est cette intelligence collective qui, en appelant à écrire un nouveau récit, en activant ces forces, en travaillant et en apprenant ensemble, permettrait d’accomplir beaucoup plus, et plus efficacement pour un plus grand nombre de personnes, que nous n’avons jamais pu le faire précédemment. C’est aussi l’occasion pour que la communauté de recherche en éducation endosse un rôle différent permettant de réduire le fossé entre la recherche et les pratiques sur le terrain. Ce nouveau paradigme est inclusif dans la mesure où il met en synergie l’expertise des praticiens et des chercheurs pour résoudre les problèmes qui se posent. Il va de soi que ceci suppose un changement profond dans notre pensée ainsi que la façon de travailler et apprendre ensemble à améliorer pour faire advenir tout cela mieux et plus vite.
Habib Batis