Tunisie: Face à la sécheresse
Par Ridha Bergaoui - Le dérèglement climatique frappe de plus en plus fort. Sécheresses, canicules, inondations, tornades, ouragans… s’invitent de plus en plus dans les médias et dans notre quotidien. La méditerranée semble très affectée par le réchauffement climatique, un «hot-spot» comme disent les spécialistes. Toute la région occidentale (tous les pays du Maghreb, l’Espagne, le sud de la France, l’Italie…) est particulièrement touchée par la sécheresse et, pour cette année, le retard des pluies automnales.
A l’exception de l’année 2018, la Tunisie connait une décennie de déficit pluviométrique et de sécheresse. Réserves hydriques au plus bas, certains barrages sont complètement à sec et, en ce début d’automne, la pluie tarde à venir. La période de semis est déjà là et les agriculteurs hésitent à labourer et semer. Les conséquences sont inquiétantes aussi bien pour l’agriculture que pour l’approvisionnement en eau potable. Situation également difficile pour toute l’économie nationale dont l’agriculture représente un pilier incontournable, qui passe par de sérieuses difficultés. Les effets également sur les écosystèmes et les biotopes sont dramatiques surtout que la sécheresse dure déjà depuis des années. Parcours dégradés, cultures assoiffées et à bout...Même l’olivier, arbre résistant, souffre terriblement du manque de pluie.
Trop tard, trop peu et trop lent
Les ressources hydriques subissent actuellement des pressions sans précédent. Quoique cette situation semble logique dans un contexte planétaire de réchauffement climatique d’origine entropique, elle n’a toutefois pas été pressentie par les autorités malgré de nombreuses mises en garde par les spécialistes. Il faut rappeler que la COP 21, tenue à Paris en 2015, a représenté une véritable alerte pour une prise au sérieux du réchauffement climatique et que la Tunisie aurait dû plus tôt développer sa stratégie pour y faire face. Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat de l’ONU (Gieg) a bien attiré, à plusieurs reprises, l’attention sur les risques de sécheresse, de canicules et d’inondations. Les autorités, probablement en raison de l’instabilité politique qu’a connue notre pays après 2011, n’ont pas pris au sérieux les alertes de sécheresse et ses conséquences catastrophiques prévisibles. Depuis 2011, onze responsables se sont succédé au poste de Ministre de l’agriculture soit en moyenne un nouveau ministre/an. Il est clair que, dans ces conditions, aucune stratégie n’est possible et que le ministre se contenter de s’informer des dossiers et de gérer le quotidien.Par ailleurs, la Tunisie dispose d’une législation hydraulique «Code des eaux ou CDE» qui date de 1975. Devenue obsolète, un nouveau CDE a été élaboré dès 2018, transmis et discuté en commission à l’ancienne ARP. Il n’a pas pu être, jusqu’à nos jours, ni voté ni adopté. Une étude pour la mise en œuvre d’une stratégie de long terme de gestion intégrée des ressources en eau intitulée «Eau 2050» a été également entamée depuis 2018. Cette stratégie devait permettre d’assurer, en termes de quantité et de qualité, d’ici 2050, l’équilibre difficile entre une offre qui ne cesse de diminuer et une demande en croissance continue. Cette étude a connu beaucoup de retards et n’est pas encore finalisée. Sa mise en application nécessite d’énormes moyens financiers pour la réalisation de toutes les actions et tous les projets prévus En l’absence de ces deux référentiels importants (CDE et stratégie Eau 2050), la question de l’eau est gérée d’une façon aléatoire, peu rationnelle et au jour le jour en fonction des circonstances.
Les autorités ont continué à gérer nos ressources hydriques d’une façon tout à fait banale sans se soucier vraiment du contexte de plus en plus délicat et sans aucune anticipation. La croissance démographique, l’urbanisation, le désir d’amener à disposition de tous les citoyens de l’eau courante (considérée un droit constitutionnel), l’extension des périmètres irrigués publics et privés avec une surexploitation anarchique et sauvage des nappes phréatiques, le gaspillage d’eau par les divers utilisateurs… ont aggravé la situation. Les pertes en eau dans les canalisations et les réseaux de transport de l’eau, suite au manque d’entretien et de renouvellement ainsi que l’envasement des barrages ont également contribué à réduire les disponibilités hydriques et aggraver la situation de manque d’eau. Les réalisations en matière de l’utilisation de l’eau usée traitée et le dessalement de l’eau de mer sont très timides, trop lents et très longs. Tous ces facteurs ont entrainé une diminution drastique des ressources face à une augmentation effrénée de la consommation. On ne peut dans ces conditions mettre le tout sur le compte du changement climatique.
En attendant, et en espérant que les pluies arrivent afin de limiter le déficit hydrique et les dégâts, les autorités se sont contentés de prendre quelques mesures provisoires générales et classiques comme:
• Interdiction, dans les périmètres publics irrigués, des cultures exigeantes en eau
• Rationnement de l’eau potable
• Interdiction de laver voiture, remplir les piscines, arroser jardins publics
• Quelques spots pour sensibiliser et inviter les citoyens à économiser l’eau.
Une année agricole qui démarre mal
La situation des réserves hydriques est plus que préoccupante avec surtout les traditionnelles pluies d’automne qui tardent à venir. Le déficit hydrique ne cesse de se creuser compte tenu d’un apport quasiment nul face à des prélèvements importants, indispensables et continus. Au 01 novembre 2023 et selon l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri), le taux de remplissage moyen des barrages n’est que de 23,5% (27,5% pour les barrages du Nord, 10,1 % pour ceux du Centre et 5,1% seulement pour ceux du Cap-Bon). Les réserves d’eau sont estimées à 544,305 Mm3 contre 698,570 l’année dernière (représentant un taux de remplissage de 30%). Les apports enregistrés au niveau des barrages du début de l’année agricole le premier septembre au 31/10/2023 n’est que 18,608 Mm3contre 44,575 l’année dernière alors que la moyenne est de 177,090 Mm3. Le déficit serait de 159 Mm3. Certains barrages sont complètement à sec.Il est bien connu qu’un automne sec est synonyme d’une année sèche. L’année agricole démarre ainsi dans de mauvaises conditions et risque d’être beaucoup plus sèche et plus difficile que l’année dernière. Celle-ci s’est soldée par une récolte de céréales catastrophique, ne dépassant pas les 5 millions de quintaux dont 2,5 Mq collectés. La Tunisie doit importer presque la totalité de sa consommation de céréales, soit environ 35 Mqx (blé dur, blé tendre et orge fourragère), sans compter le maïs et le soja nécessaires pour l’alimentation animale.
Malgré les mesures prises par les autorités pour rationnement de l’eau et les interdictions diverses, le retard des pluies peut poser un sérieux problème pour l’approvisionnement en eau potable de certaines régions surtout que l’eau potable provient des forages ou est acheminée à partir des barrages du Nord par des systèmes de transport très énergivores et très couteux. Par ailleurs avec la sécheresse prolongée et le tassement des sols, même dans le cas d’une pluie importante, l’eau n’est pas absorbée mais a tendance à ruisseler pour se déverser dans les cours d’eau et la mer. Ceci augmente les risques des inondations, des crues et des glissements de terrains. Pour qu’elle soit bénéfique, la pluie doit être fine et lente afin que les sols secs puissent se réhumidifier et absorber toute l’eau qui tombe.L’élevage se trouve également impacté avec d’une part des réserves fourragères rares, des parcours et prairies naturelles complètement desséchés et dégarnis. L’éleveur se trouve obligé d’acheter à la fois paille et foin à des prix exorbitants et de s’approvisionner en aliments concentrés(composés de produits importés et dont les prix dépendent de la conjoncture politique et économique mondiale, le taux de change) dont les prix sont souvent à la hausse. De nombreux éleveurs ont été obligés soit de restreindre les aliments distribués aux animaux aux dépens de la production et de l’état de santé du bétail soit de se débarrasser d’une partie de son cheptel pour alléger les frais d’alimentation. Ceci explique en grande partie la pénurie actuelle en lait et le prix excessif des viandes rouges.
Avec le dérèglement climatique la Tunisie n’est pas à l’abri de tempêtes et d’inondations. Il est nécessaire d’être vigilent et de prendre les mesures pour la protection des villes et des habitations surtout que les infrastructures sont vieilles et souvent mal entretenues. Par ailleurs, avec la sécheresse, de nombreux oueds et ruisseaux ont été comblés de déchets divers. De nombreux citoyens se sont également installés et construit des logements dans les cours d’eau et les zones inondables. Enfin dans le cas où la sécheresse se prolonge encore, de nombreuses familles seront en difficulté et il convient de les soutenir et de les protéger.
La sécheresse est une véritable calamité, la surmonter n’est pas la responsabilité exclusive de l’Etat et des autorités. C’est à nous, tous ensemble, main dans la main, de la combattre pour la vaincre. L’histoire a montré que la Tunisie, grâce à la solidarité et l’intelligence collective arrive toujours à s’en sortir.
Ridha Bergaoui