Faut-il aller à la COP 28? Organiser une conférence sur le climat à Dubaï, une opération de greenwashing
Pr Samir Allal. Université de Versailles/Paris-Saclay
La tradition mortifère d’aboutir à l’inaction sera perpétuée à la COP 28
La question est de savoir ce que recouvrent ce rendez-vous qui sonne bien dans l’instant. Et comme souvent apparaît alors un défaut manifeste d’analyse, en l’occurrence un contresens.
Qu’est-ce qui se construit à Dubaï ? Qu’est-ce que se détruit? Où allons-nous ? Nous l’ignorons pour une grande part, mais c’est paradoxalement parce que nous avons compris quelque chose: par des boucles nouvelles et inattendues, nous allons de plus en plus dépendre d’événements qui dépendent largement de nous.
Dès lors comment savoir ce qui se passera demain si ce qui va se passer dépend en partie de ce que nous allons faire? Cette question est d’autant plus difficile que nous sommes désormais bien conscients de grignoter de plus en plus avidement le fruit terrestre qui nous porte, de déréguler notre climat, mais sans bien savoir comment enrayer cette mauvaise tendance.
A Dubaï, les ambitions et les objectifs seront poliment rappelés, mais les moyens concrets de mise en œuvre – en particulier la réduction massive de la consommation d’énergies fossiles – et l’aide promise aux pays en développement (au nom de la réparation !!!) seront muselés et renvoyés aux calendes grecques. «L’idée d’un avenir en commun et désirable sera (encore) laissée en jachère intellectuelle et en lévitation politique (Etienne Klein).
C’est la première fois qu’un président d’un groupe pétrolier exerce la responsabilité de chef d’orchestre des négociations climatiques, celui qui doit permettre aux 196 pays de trouver des compromis pour accélérer la lutte contre le réchauffement. En effet, le Sultan Al Jaber, PDG d’une compagnie pétrolière émiratie, est le président de la COP 28.
Sa double casquette pose question, alors que le dérèglement climatique est principalement causé par la combustion d’énergies fossiles: charbon, pétrole et gaz. Sa nomination a suscité le scepticisme et la colère de nombreux experts et ONG du climat.
Derrière les belles «ambitions écologiques» annoncées par les Émirats arabes unis, le pays est surtout le septième extracteur mondial d’or noir et le cinquième plus gros émetteur de CO2 de la planète. Abou Dhabi prévoit même d’augmenter sa production de barils de 25 % d’ici à 2027 ! Ce pays vit «par et pour» le pétrole, et y organiser une conférence des Nations unies sur le climat est non seulement absurde, mais dangereux.
La transition mondiale vers une énergie propre fait dangereusement fausse route. Le monde n’est pas sur la bonne voie pour atteindre l’objectif de 1,5 °C. Le rapport portant sur le bilan mondial de l’accord de Paris confirme ce que nous ressentons déjà dans notre vie quotidienne.
Avec une telle gouvernance mondiale pour le climat, nous sommes incapables de construire un horizon projectif neutre en carbone. La transition climatique est une grande transformation, que tout retard pris dans le nouveau contexte géopolitique en crise commande de la conduire à un rythme encore plus accéléré. Elle affectera la croissance, l’inflation, les finances publiques, la compétitivité, l’emploi, les inégalités, et la paix. Ces incidences sont aujourd’hui mal comprises.
Du point de vue de l’économiste, cette transition repose sur trois mécanismes principaux: la substitution de capital à des combustibles fossiles, qui va impliquer une augmentation substantielle des investissements; la réorientation accélérée du progrès technique vers les alternatives aux énergies fossiles et la modération des usages et des consommations énergivores (sobriété).
Le dosage entre ces mécanismes relève de choix collectifs, qui peuvent différer d’un pays à l’autre et qui peuvent aussi varier dans le temps. À moyen terme (2030), il faut miser sur les technologies déjà fiables, et donc combiner substitution du capital aux énergies fossiles et efforts de sobriété. Il ne faut pas se cacher les coûts économiques de ces efforts.
Mettre un prix sur une ressource jusqu’ici gratuite (un climat stable) constitue un choc négatif sur l’offre et entraîne une réduction du potentiel productif. Cela reste vrai quelles que soient les modalités retenues (tarification du carbone, réglementation, incitations).
Les lobbyistes des énergies carbonées ont fait main basse sur les COP, distillent leurs éléments de langage et influencent les débats
Cette année figurera parmi les plus chaudes jamais enregistrées et les incendies de forêt, les sécheresses, les inondations et les conditions météorologiques extrêmes imputables au changement climatique ont provoqué des pertes et des dommages dévastateurs dans le monde entier.
Le Programme des Nations Unies pour l’environnement indique que les effets du changement climatique pourraient coûter aux pays du monde entier jusqu’à 300 milliards de dollars par an d’ici à 2030.
Le rapport annuel de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), publié mardi 26 septembre, avance que pour espérer respecter l’accord de Paris, la majorité des pays vont devoir considérablement avancer leurs objectifs de neutralité carbone.
Le délai d’action pour atteindre l’objectif de zéro émission nette en matière d’énergie se rétrécit. En matière d’énergie propre, et de sobriété, il va falloir faire plus, mais surtout plus vite.
Or, les lobbyistes des énergies fossiles iront à Dubaï «pour faire du greenwashing et trouver de nouveaux contrats». Ils se présentent comme «partie de la solution à la lutte contre le réchauffement», mais ils «retardent l’action» en défendant la compensation carbone ou des technologies de stockage et de captage du CO2, et en «poussant les pays à extraire davantage de pétrole et de gaz».
Déjà à la COP27 de 2022 à Charm El-Cheikh, la présence de six cents lobbyistes des énergies fossiles avait réussi à contrecarrer les propositions les plus ambitieuses et à annihiler toute mesure concrète. Avec la COP à Dubaï, la dérive devient caricature.
Pis encore : en organisant un tel symposium en grande pompe dans un pays champion des émissions carbones, c’est tout le combat contre le dérèglement climatique qui s’en trouve décrédibilisé.
Comment convaincre les populations des pays en développement de revoir leur modèle de croissance depuis le cinquième pays le plus impliqué dans le réchauffement climatique ? Comment convaincre les sociétés de questionner leurs usages depuis Dubaï? Impossible, car indécent.
Pourtant, ce modèle de sommet international rassemblant pouvoirs publics, ONG, associations et entreprises avait fait ses preuves: la COP21 de 2015, demeure un succès inégalé en réussissant à bâtir un consensus politique à l’échelle du globe.
Mais si la Conférence des parties a su aboutir à des consensus et objectifs ambitieux par le passé, elle est désormais dénaturée et accaparée par les partisans du statu quo. Dès lors, la lutte contre le réchauffement climatique ne peut s’en remettre à un simple instrument de prestige vidé de sa substance.
A ce jour, la somme des engagements pris par les États nous amène au-delà de 3,2 °C de réchauffement en 2100. Nous sommes donc loin du 1,5 °C de l’accord de Paris. Le Monde ne peut pas se permettre une COP pour rien. Il faut sortir de la caricature qui se répète de COP en COP et reconstruire une gouvernance climatique plus efficace et plus juste.
Plusieurs initiatives, de scientifiques, de villes, d’ONG, d’entreprises (comme celle du World Impact Summit), appellent les États à reconstruire ce grand rendez-vous climatique pour préparer des modèles économiques viables et compatibles avec les objectifs climatiques et environnementaux.
Des membres du GIEC, des militants, des diplomates et des entrepreneurs réclament un renouvellement de ces conférences pour les rendre plus transparentes, plus équitables et plus cohérentes.
La hauteur des enjeux impose qu’il ne soit plus possible qu’un État, parce que financièrement en capacité d’organiser l’événement, puisse s’offrir une opération de greenwashing sous l’égide de l’ONU sans garantie et sans engagement d’aller dans le sens de la préservation de l’environnement.
Les COP doivent être à l’avenir un outil protégé par les Nations unies. Elles doivent aussi, privilégier la mise en valeur des pratiques et des États exemplaires et sortir de la caricature qui s’annonce et se répète, mise en scène dans quelques jours par les Émirats arabes unis.
Le chantier est immense, pour renouveler cette gouvernance mondiale et tracer le difficile chemin qui limitera l’impact sur l’humanité de nos dérives climatiques. On a plus le choix pour aller de l’avant.
Réduire la conscience politique aux conditions de la réalité qui la motive est une réduction caricaturale de l’esprit humain
Ce monde et ses puissants sont incapables d’assumer un quelconque intérêt général humain. On nous invitera à l’issu de cette COP de nous réjouir des «mesures» adoptées. Une fois de plus les bornes de leur horizon vont être imposées à toute l’humanité. Et cela au moment où nous apprenons que nous sommes huit milliards d’humains, dans un monde en guerre.
Cela signifie qu’avec le mode de production et de consommation actuel, l’écosystème compatible avec la vie humaine sera inéluctablement détruit. Peut-on l’empêcher ? En principe oui, en pratique non.
Le système capitaliste financiarisé est le seul coupable. Il ne peut fonctionner sans cette course permanente à l’accumulation pour laquelle il doit produire les besoins et les marchandises de sorte que l’argent devienne toujours plus d’argent. Ce système mène le monde, achète les plumes et les esprits, corrompt les décideurs.
Dès la COP 21 on avait déjà tous fait semblant. Tous avaient voté pour une limitation de l’augmentation de la température a +1,5 °. On a tous su que les engagements réels pris par les États qui venaient de signer produiraient déjà une augmentation de +3,5°. Oui, on a fait semblant!
On voulait donner sa chance à l’esprit de compromis et de négociation tels qu’ils semblaient être devenus rois sur cette planète. On y croyait parce que c’était ce dont on avait besoin. Parce que ça nous faisait croire qu’il existait une humanité et une conscience universelle en chacun de ceux qui agissaient. Et parce que l’intérêt général humain existe bel et bien.
La COP28 risque de nous ramener à la case départ, celle qui dure depuis le «sommet de la terre» de 1992. A l’issu de cette COP, la transition écologique va devoir repenser ses méthodes: et s’affirmer. Assez de mièvreries et de demi-mesures. Les accords par le haut ne sont plus suffisants.
Les gens s’étouffent déjà dans l’air pollué, les cancers, les malformations, les perturbations génétiques pullulent déjà. L’eau est déjà pourrie. Les mobilisations devront se déployer pour construire une opinion publique (nationale et internationale) plus déterminée et agissante pour sortir du carbone.
De COP en COP, le changement climatique continu à dévaster la planète et les sociétés. Et pourtant, il ne se passe pas ce qui devrait être une insurrection générale des sociétés contre un ordre aussi dangereux.
Réduire la conscience politique aux conditions de la réalité qui la motive est une réduction caricaturale de l’esprit humain. Un réductionnisme mutilant. Il faut assumer la rupture que le nouveau monde à faire naitre exige… Il faut tout changer.
Lutter contre le dérèglement climatique, c’est placé au cœur des enjeux environnementaux la question des inégalités sociales, les relations Nord/Sud et le pouvoir d’influence. Ce sont d’abord, les enjeux sociaux – à la fois l’injustice sociale et le changement social – qui structurent entièrement le champ des politiques de transition aujourd’hui. Sans vision ni stratégie sociale, toute référence à la «transition juste» fait office de provocation.
Les canicules deviennent sous nos yeux, plus fréquentes, plus intenses et plus meurtrières. Tout le monde souffre de la chaleur excessive, mais les plus vulnérables, eux, peuvent en mourir. Les niveaux actuels d’émissions de gaz à effet de serre nous conduiront à coup sûr vers davantage de souffrance sociale, il faut donc rapidement réduire ces émissions pour réduire les risques d’un climat invivable. Mais il faut aussi adapter nos espaces urbains et nos zones rurales à la réalité de la crise climatique déjà là.
La précarité énergétique, enferme des dizaines de millions dans les énergies fossiles que l’on subventionne massivement au nom de la justice sociale. Il est difficile d’imaginer un système plus absurde sur le plan économique que celui qui revient à subventionner les émissions de gaz à effet de serre que l’on dit par ailleurs vouloir réduire tout en prolongeant la dépendance fossile et la vulnérabilité sociale qui en résulte.
Pr Samir Allal
Université de Versailles/Paris-Saclay