La route et la ceinture: Chacun pour soi(e) et la Chine pour tous
Ibn Khaldoun (1332-1406) a cité le royaume dans quinze passages de sa somme historique universelle.
A la demi-journée organisée par le Conseil tunisien des relations internationales présidé par Si Khemaies Jhinaoui, anicien ministre des Affaires étrangères, à l’occasion du 10ème anniversaire du lancement par le président chinois Xi JINPING de la route de la soie, il fut question de l’auteur du «livre des exemples» ainsi que des personnages légendaires Hannibal (247-182 av J.C) «Si tu ne trouves pas la route, construis-en une» et Confucius (551-479 av J.C) «celui qui déplace une montagne c’est celui qui commence par enlever les petites pierres».
En présence de son excellence Wan Yi, ambassadeur de la République populaire de Chine, l’auditoire a suivi en visio- conférence une intervention pertinente de Mr Ding Yifan chercheur à l’institut Taihe.
Pertinente parce que ce locuteur francophone a sûrement profité de ses longs séjours à Parsis et à Bordeaux, pays du polémiste François Mauriac (1885-1970), manie assez bien les filons de la dialectique.
Avec beaucoup de subtilités et un brin d’ironie, il a fait le deuil de la mondialisation à visage américain qui a atteint très vite ses limites en raison des crises récurrentes du capitalisme outrancier. Il a en revanche encensé la nouvelle mondialisation à visage chinois, l’autre nom de la fameuse «route et ceinture». Mais il a avoué aussitôt, avec un accent enjoué, que la proposition de cette route, quand bien même pavée de bonnes intentions, n’est pas totalement altruiste.
En effet, la Chine qui dispose désormais d’un potentiel de plus en plus impressionnant d’exportations généré par un taux de croissance du PIB qui a souvent tutoyé les deux chiffres, a un besoin vital, en raison du retour du protectionnisme en Occident, de diversifier ses débouchés. D’où cette ouverture sur d’autres continents d’autant plus que l’Europe souffre en son sein, en Ukraine, d’une guerre qu’elle croyait improbable.
En réponse à une question posée par l’un des participants à cette réunion portant sur les critiques adressées aux chinois selon lesquelles la route n’est qu’un paravent pour exploiter les matières premières, principalement minières en Afrique, Mr Yifan a calmement réagi en affirmant, chiffres à l’appui, que ce n’est guère le souci principal des chinois. Ce sont plutôt les investissements dans les infrastructures qui prédominent, en ajoutant pour être bien entendu que si la Chine exploite des mines au Congo (RDC) par exemple ce n’est qu’à la demande insistante des autorités locales.
Donc, exit les préjugés?
Bri or not Bri(1), il ne fait plus de doute que la Chine est en passe de devenir la première puissance économique au monde.
L’Empire du Milieu redore son blason. Et puis quoi, le soleil ne se lève-t-il pas à l’Est?
Certains tunisiens l’avaient très tôt pressenti. Avant la parution en 1973 du livre d’Alain Peyrefitte (1925-1999) «Quand la Chine s’éveillera», feu Mahmoud Maamouri (1924-2012) devenu plus tard un diplomate émérite, de retour d’un périple au début des années 1960 en Chine, à la tête d’une délégation de la jeunesse tunisienne, a écrit un opus dont le titre est évocateur: «Vent d’Est».
Quelques années plus tard, lors de la visite à Tunis en 1964 de Mr Chou-en-lai, premier ministre chinois à l’époque, le président Bourguiba devait entériner l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays (2).
En présentant quelques pistes pour le renforcement du raccordement de la Tunisie à la route, scellé à Pékin le 11 Juillet 2018, le professeur Karim Ben Kahla a émis, au terme de son admirable présentation, l’espoir de voir cette route à laquelle sont rattachés plus de 150 pays puisse devenir aussi une route du savoir. Eurêka! Cela s’inscrit aussi bien dans notre patrimoine cultuel «instruis-toi même s’il faut partir en Chine» que dans les trames de la sagesse chinoise «Quand vous plantez une graine une fois, vous obtenez une seule et unique récolte. Quand vous instruisez les gens, vous en obtenez cent».
L’un des jeunes participants(3) dont la langue file de la soie, a carrément proposé que le chinois devienne la première langue étrangère enseignée en Tunisie.
N’ya-t-il pas là une réminiscence de l’enseignement khaldounien qui avait stipulé que «la langue du plus puissant est nécessairement la plus suivie». Décidément, le savant de Tunis restera à jamais un phare qui éclaire toutes les routes qui traversent notre planète(4).
Aïssa Baccouche
(1) BRI: acronyme de l’expression anglaise Belt and Road Initiative
(2) Le leader tunisien, pro-occidental invétéré, avait jusqu’alors décliné les recommandations sans cesse réitérées dans ses motions par l’Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET)
(3) De fait, Mr Mohamed Aziz B. diplômé des universités Tunisienne et Suisse, maitrise également la langue chinoise
(4) Lors du G20 tenu le 09-09-2023 à New Delhi, les chefs d’Etat présents ont eux aussi promu une route baptisée «Le couloir».